Manset
est une légende. Il n'a pas encore trente ans. Un
homme profondément actuel, mais aussi le Balthazar Claës de
Balzac ou un héros de Dostoïevski, parfaitement anachronique, comme
tous ceux qui sont saisis par une passion profonde. Manset est une
légende. Une légende parfois inquiétante. On m'avait mis en
garde. Je m'attendais au pire, à un épouvantail, renfermé, paranoïaque,
insupportable en un mot. J'ai trouvé quelqu'un d'expansif, plein
d'humour, un passionné ouvert au talent d'autres que lui, exigeant avec
les autres parce qu'il l'est d'abord avec lui-même, un homme qui avance
pas à pas sur une route bâtie dans l'effort et non dans
l'autoindulgence. Voilà le Manset que j'ai vu...
MAN
OF ALL AGES Qu'importe
où il est né, où il a grandi, il est de ceux dont l'enfance n'est
qu'une longue attente, une longue impatience entre les murs d'un
collège ou d'un lycée. Qu'importe
ce qu'il rêvait alors, Rimbaud l'a rêvé avant lui. La vraie
chronologie de Manset commence le jour où le peintre qu'il
était (et qu'il reste) a découvert l'ivresse des sons, le jour où
l'écoute passive de Beethoven ou de Mac Cartney ne lui a plus
suffi, le jour où il a rêvé de faire comme eux de la musique. Depuis ce
jour, quelque part vers 1968, Manset a
produit quatre albums. Le premier, avec des chansons comme «
Animal on est mal », « La toile du Maître », « Je suis Dieu » et «
Golgotha » annonce une très forte personnalité. Manset a déjà assimilé
l'essentiel de la pop musique anglaise des années 60 et si son disque a
vieilli, ce n'est pas par rapport au niveau moyen, ou plus que moyen,
de la production discographique française actuelle,
ce n'est que par rapport à sa production ultérieure. Après un an de
silence, il présente un pur joyau, inclassable, unique, «
La Mort d'Orion ». «
Orion » se vend relativement peu. Manset n'en a cure. Il sait que le
succès viendra à son heure, les plus grands ont mis du temps à
s'imposer : il a le temps. Il sait que « Orion » est
inimitable et qu'il ne doit pas s'y laisser enfermer. Il commence donc
par un long silence qui valorisera son œuvre. Puis
il décide d'aller plus loin dans sa recherche et entreprend
alors coup sur coup « Caesar » et un concerto pour quatuor à cordes et
orchestre. « Caesar » va plus loin dans la démesure que «Orion ». C'est
un morceau, initialement prévu pour être un simple, chanté en latin, Un
peu plus tard, il en refait une version en français. Ce disque ne sera
jamais commercialisé : « Des démos sont passées une ou deux fois en
radio, mais j'ai vu qu'il ne se vendrait pas. Alors plutôt que d'en
vendre deux ou trois cents, j'ai préféré en faire quelque chose de
très rare, introuvable...» Quant au concerto, Manset en a
écrit le premier mouvement puis l'a abandonné. Là encore, le silence.
Un silence foisonnant, cependant. II
produit des disques pour René Joly («
Chimène », « L'amour fut doux »), Claude Léveillé, Herbert
Léonard, participe à de nombreux enregistrements. Enfin,
trois ans après « La Mort d'Orion», c'est un nouvel album, aussi blanc
que « Orion » était noir. Plus intimiste, moins solennel,
il contient des merveilles comme « Celui
qui marche devant » ou « Jeanne ». Mais là encore c'est un
coup pour rien. Les
chansons ne sont pas coupées pour passer en radio.
En fait, c'est un album de transition. Ce mois-ci est sorti le
quatrième album de Manset, un nouveau monument.
Cette fois-ci, Manset est plus direct, plus « abordable », il n'est pas
concevable que cet album ne devienne pas un monstrueux succès. Manset
chante le rock avec raffinement, on pense à « Imagine » et surtout à «
Band on the Run ». C'est vraiment de cette taille-là ! IL
VOYAGE EN SOLITAIRE La
mort d'Orion n'a pas eu un succès digne de sa qualité... -
C'est là où l'on peut discuter pendant 15 ans, parce que je
ne sais pas, je me demande... II y a un élément qui est inséparable de
la qualité, c'est le temps. Je ne connais pas de choses réellement
importantes qui se soient imposées en un jour, en 3 mois ... Bon, « She
loves you », d'accord ... Mais « Sgt. Peppers » ne
s'est imposé en un jour que parce qu'il y
avait les Beatles avant et les Beatles se sont imposés vite parce qu'à
l'origine c'était un produit populaire et
commercial. Le talent était dedans, bien sûr, mais ·« She
loves you », ce n'est pas « Sgt. Peppers » ... Admettons que «Sgt,
Peppers» soit le premier disque des Beatles, je ne sais pas s'il se
serait vendu en 8 jours ou même en un mois. Ce serait peut-être resté
totalement inconnu, ou ça aurait mis tellement de temps, je
ne dis pas qu'il aurait été démodé, mais tellement de fumistes seraient
venus faire des plagiats pardessus... Le nombre de
faux prophètes qu'on a ... C'est ça qui est difficile... Et
puis il y a aussi le problème de la presse… Il y en a eu, mais étalée
sur deux ans. Sauf finalement dans la presse de jeunes,
dans la presse spécialisée qui n'a pas
suivi ce qui est assez sidérant... La création est un parcours
solitaire... -
Oui. Il faut admettre que celui qui a de l'inspiration, c'est avant
toute chose quelqu'un qui a du discernement. On se
rend vite compte que l'inspiration est fonction de
la maturité, et que la maturité on ne l'acquiert que si on sait être
lucide, si on a du discernement ... Alors y'a des gens qui vont te dire
: « il ne reste plus qu'à s'asseoir et à attendre que ça
vienne. Le poète se balade dans la rue en attendant l'inspiration».
Mais si tu vois tous ceux qui ont laissé des traces sanglantes derrière
eux dans le domaine artistique, avant d'être des artistes, des
créateurs, ce sont tous des gens qui ont travaillé comme 25, souffert
comme 40, qui ont eu mille problèmes- c’est peut-être la seule chose
que je n’ai pas, j’allais dire malheureusement, mais il ne faut pas
exagérer ; enfin disons que je n’ai pas trop de problèmes, ou que je
sais les écarter dans une certaine mesure…..- Bon. Alors, avant le côté
poète, il y a le côté bâtisseur… La politique du produit fini. -
Comme depuis que j’ai commencé à faire de la musique, je fais tout,
tout seul, du début à la fin, j’essaie d’éviter les intermédiaires. Si
tu dis quelque chose à une personne, il n’y a pas trop de problèmes ;
mais si tu le dis à 4, c’est le catastrophe, le blanc arrive noir… Si
tu fais une musique, on parlait du discernement, tu as une petite idée
sur les paroles que tu voudrais. Ou bien tu écris un texte…. Qui va te
mettre de la musique dessus ? C’est pareil pour l’instrumentation… Tu
penses à une couleur, à un contrechant de cordes. Il faut bien que tu
le fasses toi-même. C’est pareil pour l’interprétation…. Je me suis
retrouvé en studio avec des gens remarquables qui jouaient toutes les
notes que j’avais écrit sur la partition, mais ce n’était pas ça, il
manquait le feeling…. C’est pareil pour le mixage… Le nombre de gens
qui travaillent trois nuits en studio, qui à la fin de la quatrième
veulent faire un mixage et s’aperçoivent qu’on entend pas la voix ! Tu
ne peux dissocier aucun moment de la création. Regarde « Orion ». J’ai
conçu la pochette, elle correspond tout-à-fait à ce qu’il y a dans le
disque. Si j’avais demandé qu’on me fasse une pochette noire avec juste
« La Mort d’Orion » en jaune, en lettrage tout à fait classique, ils
m’auraient lynché… Et pourtant cette pochette, sur le plan
promotionnel, est parfaite. Quand on a vu la pochette avec le livret,
tout est dit, il n’y a plus besoin de personne pour parler du disque…
Et pourtant, cette pochette ne coûte pas plus cher, livret inclus,
qu’une quadrichromie normale sur une cartoline simple…Bon. Mais, comme
c’est quelque chose qu’on a jamais fait, il faut tout surveiller de A à
Z, pour ne pas se trouver avec un autre lettrage ou n’importe
quoi…C’est toujours n’importe quoi… Or tu vois, c’est aussi important
de concevoir cette pochette, de la faire, d’en être content, que
d’arriver dans un studio, de chanter, de faire de la musique…. C’est
sidérant de voir le nombre de gens en France qui font une chanson et
qui croient que ça suffit. Et en plus ils la refont 40 fois de suite.
Alors, cette politique du produit fini, elle surtout valable chez nous,
parce qu’on est tous individualistes, on ne peut pas faire autrement,
moi j’en crève, mais c’est comme ça... Il
faut donc être dans un studio tranquille, prendre les meilleurs
musiciens, et tu fais le meilleur disque.
Y’A
UNE ROUTE J’ai
l’impression que la création…ou la procréation, c’est lié à la
souffrance et à la solitude. Je ne sais si c’est l’une qui provoque
l’autre ou si elles doivent marcher de pair, mais elles sont
indissociables…. La
clarté et la limpidité sont deux des qualités principales de ton nouvel
album….Mais combien de temps as-tu mis à le faire ? -Je
dois d’abord dire qu’il est fini depuis près d’un an. Et que je l’ai
gardé pendant un an, en ne le montrant qu’à Étienne (Roda-Gil), le seul
en qui j’ai une entière confiance sur le plan artistique. Bon, mais
c’est pas long à faire. C’est long parce que ça se déroule dans le
temps, ce n’est pas un processus continu. Mais par exemple j’ai fait
toutes les sessions rythmiques en deux après-midi, espacées de quatre
mois : on était quatre, 2 guitares sèches, 1 basse et 1 batterie. C’est
pas la peine de rester un mois en studio. Je crois que c’est très
important d’avoir des limites de temps et d’argent….Par contre, il ne
faut pas de limites sur le plan strictement humain…Tu ne peux pas bien
travailler avec quelqu’un chez qui tu sens des réticences…Ou alors,
bon, il n’y a que des personnes réticentes. A ce moment-là, tu prends
ta croix et tu y vas… Il
faut les meilleurs musiciens…. Le meilleur preneur de son ne peut pas
rendre bon quelqu’un qui ne joue pas bien ou qui ne sait pas régler son
instrument…. Il
y a un style Manset : la solitude géniale, le mec sombre, imbuvable… -La
solitude, je t’ai dit pourquoi… Et puis, je suis en marge du show-biz,
je ne sors pas… C’est pas ce qu’on voit au cinéma, au théâtre ou dans
les concerts qui me donne envie d’y retourner… Ceci dit, je ne vois
personne, et les rares gens que je rencontre, j’ai toujours de très
bons contacts avec eux, des gens comme Lancelot… On se voit une fois
tous les deux ans. Mais on est très bons amis… Alors je ne comprends
pas cette réputation, que rien ne justifie… Ceci dit, au moment
d’Orion, ça allait mal, j’étais à un point redoutable….Au point que je
ne pouvais plus entrer dans un magasin pour acheter quelque chose…
J’étais trop retourné sur moi-même et puis j’avais besoin d’activité…
Maintenant ça va beaucoup mieux. Et puis je suis moins seul…
VIVENT
LES HOMMES Tu
as aussi la réputation d’être un mystique… -C’est
marrant, ça me fait toujours bizarre d’entendre les gens parler de moi…
pour en revenir au mystique, oui je suis très mystique. (rires).
J’interprète ce mot à sens unique : mystique – Dieu – La Foi – la
recherche – la recherche de la Foi -. C’est ça. Je me promène tous les
jours avec l’amour divin, je le sais, je le sens. Je te dis ça tout à
fait naturellement parce que j’en ai la sensation physique… Je ne parle
pas forcément du « bon dieu », mais de ce côté humaniste…Je veux dire
que je me sens très transporté par tout ce qui touche à l’Homme. Est-ce
que c’est lié à une espérance de vie postérieure ?
-De
vie éternelle ? Non, pas de vie éternelle. La vie éternelle, par
rapport à moi-même, ça m’est égal. Je verrai bien si elle existe ou
pas. Non, je parle de vie ABSOLUE. Celle-là m’intéresse. Mais elle ne
peut être que par rapport aux autres, donc… en fait il vaut mieux
parler de vision absolue : il y a des choses dont on n’est pas
responsable, parmi ces choses, il y a la faculté de Voir ou de ne pas
Voir. Moi je crois que je l’ai. C’est difficile de vivre avec. Mais on
n’y échappe pas.
«
JE NE CHERCHE PAS, JE TROUVE » Qu’est-ce
que tu penses de la formule de Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve
» ? -Ah
oui, c’est une des plus belles phrases que je connaisse… Prends par
exemple Mc Cartney. Écoute cette chanson qui s’appelle « Monkberry Moon
Delight » (sur RAM) ; il a une voix que jamais personne n’a eu ; c’est
pas possible, on sait pas où il l’a trouvé. Et il l’a trouvé, il ne l’a
pas cherché. Pourtant au départ il avait une petite voix comme la
tienne, comme la mienne, il chantait comme un navet… Lamentable…Et
là…Mais ça ne veut pas dire « bon, je ne cherche plus ». Picasso, avant
de trouver sans chercher, il a passé des vingtaines, des trentaines
d’années à assimiler tout ce qui a été connu en peinture depuis que le
monde est monde… …Et
il en est revenu au point de départ. Moi depuis deux ans, après « Celui
qui marche devant », je me suis dit : « j’ai fait le tour, j’ai fait
toutes les chansons que j’ai à faire (j’avais du matériel pour plus de
dix albums)…C’est fini, je ne ferai plus jamais rien…je vais répéter
toujours la même phrase… ». Je ne pouvais pas concevoir que d’autres
chansons qui n’existaient pas allaient venir….Et puis il en est venu 1,
2, 3, 5… Depuis un an que j’ai terminé cet album, j’ai dix ou douze
morceaux uniques, complètement différents les uns des autres…Devant, il
n’y a rien… Mais ça ne m’angoisse plus… Il n’y a rien de gratuit. Tu
sais, il y a des gens qui font un métier et d’autres qui font un acte
de foi. Je suis de ceux-là.
Propos recueillis par FRANÇOIS-RENÉ CRISTIANI pour Rock’n’Folk n°86 (Avril
1974)
« La toile du maitre ne convient peut-être qu'à celui qui l'a faite ».
Ces paroles d'une chanson de Gérard Manset lui vont comme un gant. Il écrit, il
chante depuis plus de cinq ans, mais ses disques ne lui ont jamais donné l'aura
à laquelle il pense avoir droit. Curieux personnage, à la fois très sûr de son
futur, et enfermé, seul, dans son présent. Ses toiles - pardon, ses disques -
il les garderait volontiers pour lui-même si le système ne lui faisait pas
obligation de les sortir, de les diffuser. Elles - ils - se ressemblent toutes
- tous - un peu. Manset a incontestablement une personnalité, un climat bien à
lui, mélange de désespoir d'incantations et de mysticisme. Mais il est inclassable.
Plutôt pop ou plutôt rive gauche ? Dans son disque le plus réussi, « La Mort
d'Orion », se mêlent des emphases d'opéra et des voix sophistiquées, celles
d'Anne Vanderlove et Giani Esposito. Matériel rare, « unique », comme il
se plaît à le souligner, et pas toujours très accessible pour qui n'est pas
Gérard Manset. - Un matériel curieusement froid, trop plein de rigueur, non ? - C'est au lycée, quand j'étais interne que j'ai découvert l'ascétisme. Il
fallait se priver six jours pour prendre son pied le dimanche: évidemment il
m'en reste quelque chose. Excellent en logique et dans tout ce qui est
cartésien, Manset se fait recaler au bac avec une note éliminatoire en français.
Ceci n'entame en rien sa passion pour le dessin. - Je suis né avec un don pour le dessin. J'ai toujours dessiné. Aux Arts
Déco, je faisais de la gravure, je me croyais le meilleur jusqu'au jour où mon
prof m'a tout fait reprendre à zéro. Quelle claque ! Cela m'a amené à une
vision plus spirituelle de la gravure, à une compréhension de l'art dans son
ensemble. C'est là que j'ai compris ce qu'était la solitude de l'artiste, ce
côté un peu fasciste de l'isolement. La plénitude d'un créateur est liée au
malheur, à la perdition. Plus on sait, plus on est seul, moins on peut communiquer.
De la gravure. Manset passe à la musique. Elle l'attire par l'impressionnisme
des sons. Il se met à travailler le piano et la guitare. - Au début, je ne faisais ça que pour moi seul, renfermé comme toujours.
Puis j'ai écrit quelques textes pour un copain chanteur, assez mauvais (les
textes et le chanteur), avant d'en écrire pour moi. Un directeur artistique les
voit, me dit «C'est génial », puis fout le camp aux États-Unis: je les ai
enregistrés tout seul ! Sans avoir jamais chanté auparavant, sans connaitre
ce qu'était un disque. J'ai joué de quatre instruments, payé vingt-cinq
musiciens, fait des trafics de toutes sortes sur mes bandes et... me suis fait
jeter par Philips. Début 68, on m'a pris chez Pathé-Marconi. « Animal on est mal » passe un peu en radio. Succès d'estime, de curiosité
surtout. Puis c'est mai 68. - A cause de ça, le disque ne s'est pas vendu. Moi, pendant les événements,
j'étais en studio, bouclé, en train de préparer mon 30 cm. Mai 68, connais
pas... Extrait du 30 cm, « On ne tue pas son prochain » ne marche guère mieux
que « Animal »... - Mais j'étais sûr de moi. Je continuais à travailler. Pour moi, jamais
pour les autres. - Avec la bénédiction d'une grosse maison de disques ? -Oui, ils savaient bien qu'avec moi c'était du long terme. Or, je sais
maintenant qu'un matériel comme le mien est unique. Et eux, ils gagnent de
l'argent sur l'avenir… En attendant, ils n'en perdent pas. En effet, puisqu'avec son second 30 cm, « La Mort d'Orion », Gérard
Manset atteint progressivement la côte de dix mille exemplaires vendus. - Ce qui prouve que les gens ont eu envie de ce disque, qu'ils l'ont
cherché ! - Pourquoi un disque en forme de concerto, d'opéra ? - « La Mort d'Orion », c'est une suite de circonstances. Une phrase
m'est tombée dessus, comme ça, je n'y ai rien compris. J'ai simplement assumé
tout autour une construction, car je savais, d'après mes références à moi,
qu'elle était belle, cette phrase. J'ai été le traducteur de quelque chose qui
m'avait été délivré. -Jeanne d'Arc, en quelque sorte ? - J'ai un sens, un don que d'autres n'ont pas, que je ne retrouve nulle
part. Tous les jours, il me vient l'équivalent de trois, quatre chansons. Je
garde trente mots de chaque et je jette le reste. Avec mes premiers
disques, je me suis rendu compte que je pouvais faire des chansons uniques, du
texte qui se tient bien à côté d'un Prévert, par exemple. Avec «La Mort d'Orion
», je me suis rendu compte que je pouvais faire des musiques et des
arrangements tout seul, D'ailleurs ça n'était pas possible autrement, je ne pouvais
plus les confier à quelqu'un d'autre. Des trucs que j'ai trouvés par hasard
sont devenus des thèmes forts, tout s'est organisé pour devenir génial. -« Orion », cela représente donc un travail colossal ? - Un an et demi enfermé chez moi. Angoissé, traumatisé par ce qui
m'arrivait, La névrose approchait... - D'où l'aspect spatial, mystique de l'album ? - C'est irrémédiable, En général quand je réécoute ce que j'ai fait, je n'y
comprends rien. Mais je sais que, dans le texte, la musique, tout est logique,
irrémédiable. Le cercle d’Orion, c'est le cercle de toute vie, de tout
sentiment, de toute chose - Pourquoi tant de désespoir, aussi ? - Parce que je suis bouleversé par tout. Je suis malheureux pour les
autres. Malheureux de la déchéance de tous les artistes qui exercent et qui
n'en sont pas, par exemple. - Toi y compris, ou non compris ? - Moi, je m'en fous. Je n'ai pas l'impression d'exister sauf quand j'ai
peur ou que je joue le jeu de quelqu'un d'autre. - Pourtant, tu vis, tu fais des disques ? - Non, je ne fais que m'utiliser. D'abord, je ne suis pas à ma place. La
France, sur le plan musical, n'est pas au cœur de l'événement. Pour avoir vingt
ou vingt-cinq ans, en 1974, il faut être né au pied des gratte-ciel de
New-York. Moi, face à l'abêtissement du show-business français, j'ai
l'irresponsabilité géniale des Anglo-Saxons. - Tu es le seul pur esprit français à détenir la vérité ? - Oui, je crois, Ou l'un de ceux qui la détiennent. Il n'y en a pas beaucoup.
Ma place, en tout cas, sur le plan strictement professionnel, est en Amérique
ou au Canada. A Paris, on a besoin de Jean-Claude Petit, en Amérique, ils ont
besoin de Gérard Manset. - Tu pars quand ? - Je ne veux pas être Américain. Je n'ai pas honte de la France, ni même
d'y être un paria. Mais je sais que la France ne changera pas. Ici, je ne suis
rien, ni musicien, ni chanteur, ni producteur, ni éditeur. - Pourtant, tu as assumé toutes ces fonctions pour ton dernier album ? - Oui, j'ai encore tout fait moi-même. J'ai même redémarré à zéro, avec ma
petite guitare. Et mon inspiration a un peu changé. Le mariage m'a transformé,
j'ai maintenant un côté plus tranquille, presque paternel... Mais ce que je
veux avoir, et je crois que j'y suis maintenant, c'est l'efficacité
anglo-saxonne. Voir McCartney, par exemple: il est sidérant. Aznavour n'a pas
le dixième de ses qualités. Aujourd'hui, j'arrive au commencement de la sagesse
artistique, au point où l'expression de ce qu'on fait n'est que l'expression de
la pensée qu'on a. - Mais cet album n'a pas non plus eu un succès énorme ? - Oui. Je l'ai réécouté, je n'ai rien compris, Et j'ai trouvé ça d'une
rigueur trop dure, trop inflexible... - Et tu continues ? - Je peux écrire, sans être obligé de sortir mes disques. J'aime bien
créer, mais comme je n'ai pas une popularité gigantesque, autant faire de mes œuvres
quelque chose d'excessivement rare et introuvable, l'œuvre d'art dans sa
raréfaction extrême. Après tout, la toile d'un peintre n'existe qu'en un seul
exemplaire. Le jour où ce que je fais sera évident pour tout le monde, je le
diffuserai... Ce jour viendra, il vient tout doucement...
L’homme qui marchait devant Propos recueillis par JEAN-MARC BAILLEUX pour Rock’n’Folk n°99 (avril 1975)
C'est Gérard Manset, à part, ailleurs et toujours là. Il
y a ces livres, ces films, ces disques qui, parmi des centaines
d'autres qui passent, vous laissent cinq pieds sous terre avec une
étrange amertume, ou bien enflé d'espoir, éther, nuée. Pour moi,
au gré des circonstances peut-être, mais surtout parce qu'ils avaient
la profondeur de l'abîme, ou l'indicible beauté d'une première nuit
d'amour, ou d'un jour de détresse, il n'y eut guère qu'« Axis: Bold As
Love », l'adagio de la 5ème Symphonie de Mahler, « La mort d'Orion
», « Mekahnik Destruktiw Kommando » et, depuis quelques jours «
Y'a une route », le nouvel album de Gérard Manset. Fort, autre,
unique: l'inflation des adjectifs nous laisse désarmé quand on a
affaire au vrai talent ou, pour ne pas tomber dans les termes usés, à
la différence ; à ces artistes qui font le trou, qui laissent entre eux
et les autres l'infinie distance de l'esprit, d'un propos qui ne
sacrifie pas aux nécessités extérieures, mais aux exigences profondes
du sens et des formes. D'abord considérés comme des phénomènes, des
bêtes curieuses, ce sont eux et eux seuls qui survivent, tels Hendrix,
Kafka ou Picasso. Dans une interview accordée à R & F (N°
86) l'an dernier, Gérard Manset répondait de son silence : « Le
jour où ce que je fais sera devenu évident, je le diffuserai. Ce jour
viendra…» IL EST VENU; avec « Y'a une route » une route qui
pourrait bien mener à la reconnaissance de la place considérable que
tient G.M. dans la musique et la poésie actuelles. « Y'a
une route » est un disque prodigieux: aussi inclassable qu'« Orion »
mais plus mûr, où tous les rares défauts des précédents albums sont
dépassés: « Orion » plus la présence, le feeling, et... le rock. « Il navigue en solitaire nul ne l'oblige à se taire il chante la terre.... » (Il navigue en solitaire.) (sic…) Gérard
Manset : « Tous les gens qui font du disque, à l'origine ont
voulu chanter, faire de la musique ; moi pas. C'est un concours de
circonstances. » Genèse G.M.: « J'étais destiné à faire «
Architecture intérieure », ou quelque chose comme cela. Je n'ai pas
voulu faire les Beaux-Arts (peinture) car je ne voulais pas me trouver
enfermé dans un contexte de peinture et d'artistes. J'avais 18 ans
alors, je ne pensais pas une seule seconde avoir le moindre talent - si
! Disons pour l'art graphique en général - mais je ne voulais pas me
jeter là-dedans sans retour, traîner mes guêtres à Saint-Germain et
être un peintre pendant quarante ans. Alors j'ai fait les Arts-Déco,
qui étaient un peu intermédiaires. Puis j'ai abandonné au bout d'un an,
car je me suis rapidement rendu compte que la seule chose que je
désirais réellement faire, c'était peindre, et que j'étais le seul dans
ce cas. Je suis parti. J'ai rôdé un peu dans la publicité, et en même
temps, j'ai fait des textes pour un copain qui était entré chez Philips
et j'ai commencé à mettre mon nez dans le show-business; j'ai acheté
une guitare, gratté un peu: c'était l'époque des Beatles... Je
passe sur un ou deux ans... Tout en continuant à peindre, à dessiner, à
faire des dossiers, j'ai vu les premières séances d'enregistrement. Je
n'avais jamais écrit une note de musique quand un ami qui faisait du
cinéma nous a demandé, à mon copain de chez Philips et moi, de faire
une musique de film. On s'est jeté à l'eau, on a acheté des bouquins
d'harmonie, on a bûché tous les deux: on vérifiait quarante fois les
partitions qu'on relisait le soir ; il y avait peu de notes mais quand
même une douzaine de musiciens, avec flûte, hautbois, des cordes... un
ami a dirigé et tout s'est bien passé, sans erreur ; et quand on a
entendu dans les baffles ce qu'on avait écrit, on était médusés...
Quelque temps après, j'ai produit « Animal ». J'ai été obligé de
tout bricoler de A à Z pour arriver à quelque chose que je pouvais
sortir. Finalement, j'avais un produit fini original et qui sonnait
bien puisqu'il avait été fait dans de telles conditions impossibles
qu'il ne pouvait pas ne pas être original. Ça, j'étais le seul à le
savoir, mais je n'en étais pas dupe. Ce n'était pas là l'important,
c'était qu'avoir fait « Animal » m'avait ouvert une porte mentalement
énorme: j'avais réalisé un disque, je pouvais donc en faire d'autres.
Inconsciemment, je me suis mis à sortir tout ce qui me venait dans les
doigts, et ça a donné le premier 30 cm: on sent vraiment que c'est plus
que de l'inspiration, c'est presque une éjaculation : cela sortait
réellement par tous les bouts. » « GERARD MANSET » 1968 L'album,
un peu décousu, correspond trop à ce qu'il est en fait: un recueil de
simples : huit chansons sur les douze, je crois, sont sorties en 45 t.
Pourtant, mise à part la différence considérable dans les moyens (il
est d'ailleurs assez éprouvant, pour ceux qui connaissent le
perfectionnisme des productions ultérieures, d'avoir à supporter d'un
bout à l'autre la fausse stéréo), on y trouve déjà à l'état
embryonnaire tout ce qui fera la marque de fabrique de Gérard Manset:
des arrangements inusités, à la fois emphatiques et limpides, des
textes ouverts, inépuisables, d'autres sibyllins au vocabulaire
pourtant si courant, et déjà quelques petits joyaux: « Animal » bien
sûr, « La toile du maitre »; mais surtout, à mon avis, « Golgotha
» -peut-être le premier grand texte aux échos humanistes de
Gérard. Ils montent le long de la colline/Chacun d'eux a le front
couvert d'épines/Par centaines ils seront payés de leur peine/Ils
viennent car c'est la fin de la semaine/Les riches et les pauvres et
ceux qui le deviennent/Où allez-vous donc? Vous tomberez de haut quand
vous saurez/Ce qu'il vous faut pleurer. » (« Golgotha ») La politique ou l'humanisme? G.M.:
« Ma politique, c'est l'humanisme. Je parle de l'Homme. Il y a un côté
passif et philosophique dans le fait de parler de l'Homme, et un côté
actif et agressif dans celui de parler politique. » R & F: « Justement, j'ai parfois ressenti ce côté agressif... » Mysticisme ou spiritualité? «Il
est évident que je suis mystique: mais il ne faut pas interpréter le
mysticisme au premier degré. Dès que l'on touche au problème de la
création et que l'on se pose la première des questions, on en vient au
problème du Créateur, de la divinité, de l'esprit de la matière, de
l'entité; à toutes ces choses qui sont universelles et dont on ne peut
pas se passer mentalement, à chaque instant. Ce n'est pas le « bon Dieu
» qui est présent, mais j'ai cependant un dialogue perpétuel avec
moi-même, c'est-à-dire avec des tas de dimensions irrationnelles,
inexpliquées, inexplicables. » Genèse 2 « Je me suis servi
d' « Animal » pour négocier un contrat qui me garantisse la plus grande
liberté possible (pas de directeur artistique, le choix des chansons et
des moyens) de production et j'ai donc fait le premier 30 cm à cette
époque-là. J'ai connu Etienne Roda-Gil et Julien Clerc : « Animal » et
« La cavalerie », nos premiers disques respectifs, passaient bien en
radio; puis nous sommes partis ensemble sur la Côte d'Azur. Lui sortait
« Sur tes pas », moi « On ne tue pas son prochain », et là, je ne suis
plus passé en radio et lui quatre fois plus qu'avant !.. Puis « Je suis
Dieu » est passé, « La toile du maitre » aussi, mais je n'en ai pas
vendu. Malgré tout, le premier album m'a apporté une expérience
considérable; à chaque séance j'apprenais quelque chose de plus. » La naissance d'Orion «
Du point de vue du créateur, il n'y a qu'une seule chose à laquelle il
puisse croire, c'est à l'inspiration. J'ai senti au moins dix fois
jusqu'à ces dernières années (depuis cela s'est transformé)
l'inspiration à l'état brut, physiquement; à tel point que je disais
«J'entends des voix ». Comme si quelqu'un me parlait à l'oreille, je
n'avais plus qu'à recopier, je n'avais pas l'impression d'en être
responsable. C'était : « Au milieu des cerisiers blancs, le prêtre a
des ciseaux d'argent ». Je faisais des sextolets, une phrase au piano
que je recommençais sans arrêt, elle me plaisait; je la laissais
pénétrer, je sentais que quelque chose devait venir, je ne savais pas
quoi ; j'ai dû recommencer et cette phrase est venue, inconnue et sans
signification. Maintenant qu'« Orion » est fini cela semble logique,
mais à cet instant c'était là, isolé, je me demandais ce que j'allais
faire d'un bazar pareil, alors... Il faut dire que je n'ai qu'une loi :
c'est de ne rien laisser suivre qui ne corresponde pas à ce qui
précède, en qualité et en signification. Et j'ai la chance de pouvoir
analyser : je sais, moi, précisément, quand j'écris une phrase ou une
mesure, si c'est gratuit ou non, donc que jeter ou garder... Je l'ai
gardé… « Quand j'ai fait « Orion », le bricolage n'était plus au
niveau du son, des playbacks, mais du montage, de la construction.
J'ajoutais des parties au début, à la fin, des surimpressions. Je l'ai
fait en plusieurs étapes. Je ne suis pas arrivé au studio en pensant :
« Je vais faire vingt minutes. Par exemple, j'ai écrit l'intro au
violon à la fin d'une séance de cordes; il me restait du temps que je
ne voulais pas perdre. C'était une variation sur le thème central, pour
quatuor. Je ne pensais pas la mettre sur le disque... à cette époque il
fallait avoir un grain pour le faire, et puis, c'était parfait,
magnifique. Je l'ai gardé. J'avais un ami qui jouait du sitar, je l'ai
fait venir... Et petit à petit, j'ai vu le morceau se dessiner ; les
textes sont venus... Et à cause de ma façon de travailler, on a dit que
j'étais un bricoleur, un manipulateur de boutons.. « LA MORT D'ORION » 1969 Rétrospectivement,
on peut dire que « La mort d'Orion » eut et a encore, comme une vague
qui n'en finirait pas de déferler, un retentissement considérable: le
disque continue de se vendre comme aux premiers mois de sa sortie.
Diffusion sournoise qui a transformé la société secrète des fans des
premiers instants en une secte toujours plus nombreuse. Ce fut notre
synthèse à nous qui guettions le son nouveau, à nous dont les
oreilles élevées dans la plus traditionnelle culture occidentale, celle
des humanités, grandissaient démesurément dans l'effervescence du
moment. C'était déjà le temps de « l'après Beatles », de
l'au-delà de la Californie... Nous attendions quelqu'un. Nous le
crûmes alors venu dans le Manset de « La mort d'Orion ». Nous la
tenions notre synthèse, le grand collage universel, l'hybride du sitar
et de la flûte indienne, de la basse électrique et du quatuor à cordes,
qui se tenait debout et n'avait pas la claudication inquiète et
maladroite des monstres que nous concoctaient alors les alchimistes
d'Albion (cf. « La Bâtarde »); Lord, Emerson, tristes sires à l'archet
de plomb. Et puis, il y avait le texte, superbement énigmatique, cette pochette noire, le livret; l'aura qui enveloppe une œuvre. The silent corner and the empty stage G.M.:
« Je ne fais pas de scène, parce que c'est le piège. J'en ai fait quand
j'avais un petit groupe, à dix-huit ans; je n'avais pas de complexes
car je n'étais pas tout seul. Mais, après « Orion », j'ai attrapé la
solitude, c'était terrible, j'ai vécu seul; j'avais besoin de descendre
: je suis attiré par tout ce qui est noir. J'aimerais vivre dans un
bouge, être marin, passer ma vie en cale, ne rien voir ; entendre le
nom des ports... Après « Orion », pendant un an, j'étais dans cet état.
J'écrivais; aucun contact sinon Etienne, j'étais déjà en marge du
show-business, orchestrateur, compositeur peut-être, mais pas chanteur:
alors le problème de la scène ne se posait plus. « Orion » a
correspondu à une période de prise de conscience, de détachement du
monde. Le premier album était un peu superficiel, alors qu'« Orion »
m'a jeté dans le personnage. Je suis très détaché de ce que je fais,
mais je sais en reconnaître l'importance. J'ai pensé que je n'étais pas
là pour rien, alors comme je suis entier, j'ai arrêté. Le seul moyen
qu'« Orion »s’installe, c'était qu'il soit suivi d'un silence total,
car il était hors de question que j'en fasse un remake, J'ai espéré que
cela se passerait comme ça s’est passé, de bouche à oreille et sous le
manteau : cela en a fait un produit rare. » Le concerto inachevé «
J'ai donc arrêté en attendant de savoir où j'allais aller... La seule
chose que je pouvais avoir, « en plus » c'était une grande formation:
j'ai commencé un concerto pour quatuor et orchestre. J'imaginais
l'effet visuel sur scène... et à ce moment, René Joly a fait « Chimène
» que j'ai produit et en a vendu beaucoup... je suis devenu producteur
avec bureau et secrétaire chez Pathé. J'ai abandonné le concerto. » Questions de méthode «
Une séance d'enregistrement se déroule vite, avec des musiciens qui te
comprennent plus ou moins bien et auxquels tu laisses une plus ou moins
grande part d'interprétation. Quand je régis une séance, autant je suis
super-cartésien, autant je laisse une part de feeling aux musiciens,
sinon mon travail serait froid. C'est le défaut d'« Orion ».
D'ailleurs, je n'ai jamais vraiment aimé tout ce que j'ai fait au
niveau des playbacks et du mixage jusqu'à « Y’a une route ». En
fait, cela a commencé avec l'album blanc parce que je jouais de presque
tous les instruments, alors il fallait bien qu'il y ait mon feeling et
mes intentions: mais c'était maladroit car trop dur, trop loin de tout,
j'étais trop seul. » « CELUI QUI MARCHE DEVANT » 1972 L'album
blanc, c'est un peu l'anti-« Orion »: un disque intime au propos très
personnel, voire autobiographique (?). Un son plus proche, mais une
démarche toujours plus solitaire: les premiers pas importants de Gérard
à la guitare et au piano. Et « Jeanne » : pour moi sa plus belle
chanson, son plus beau texte, le piano comme des enfants qui courent,
les violons comme des vagues... G.M. : « Jeanne » ? Si j'avais à
la refaire, je planerais autant. Je crois que c'est assez exceptionnel.
» L'album est passé trop inaperçu, et c'est dommage. Grandeur et vicissitudes du créateur G.M.:
« Il y a une dualité dans mon caractère: d'une part je suis
excessivement logique, rigoureux, cartésien, d'autre part je suis très
planant, mais avec d'autant plus de force que ce n'est jamais gratuit,
que j'arrive presque à me laisser partir quand je le désire. Moralité:
tout ce que je fais prend nécessairement une efficacité monstrueuse. Il
m'est impossible de ne pas tout assumer de A à Z. Heureux sont (et
malheureux) les créateurs qui peuvent assumer le maximum de choses
seuls. Pouvoir choisir est plus important que savoir jouer ou avoir des
connaissances techniques. C'est pour garder la responsabilité de mes
choix que j'ai toujours voulu sélectionner mes playbacks et faire mes
mixages seul. Je vois déjà les gens s'imaginer: mixage=écho, phasing,
bande à l'envers, son trafiqué ; non ! Ce n'est pas vrai, j'essaie
d'abandonner tout cela; je le dis clair et net. Mais être tellement
simple, tellement au cœur des problèmes !... En fait, il vaut
mieux être « beau et con » comme dirait Brel, car dès que l'on commence
à savoir, à comprendre, c'est tellement dur à assumer que peu de gens
tiennent le coup. Les vrais artistes (pas les créateurs) sont ceux qui
créent sans le « Savoir »: quelqu'un comme Chagall peint sans
technique, avec son âme à l'état pur. Mais dès que tu commences à
savoir, comme Picasso, alors, il faut une telle dose de... tout pour
arriver à maitriser la technique, la facilité, qu'il n'y a plus de
salut. Dans le domaine de la création, une fois que l'on a
accédé à une certaine vision, alors rien n'est plus jamais pareil, tu
ne peux plus en sortir.