Une nouvelle génération Française confectionne d’excellents disques fortement imprégnés de rock.
Est-elle sur la bonne voie ?
Par Alain Pons (Best N° 84 / Juillet 1975)
«
Gérard Manset est fasciné par Mac Cartney. Il aime et admire sa
simplicité efficace. Le nouvel album de Manset possède justement cette
qualité et, comme par hasard, il obtient un succès fantastique.
Les fanatiques de « La Mort d'Orion» penseront
peut-être que Manset est tombé dans le piège de la facilité. Rien de
plus faux, « Orion» est une œuvre belle et ambitieuse mais critiquable.
Mais qui peut se permettre de critiquer « Manset » ?
Autant descendre en flammes, « Red Rose Speedwav » ou « Imagine
» Manset a voulu faire un disque exemplaire
et il a réussi. Il a une vision des
choses si lucide, quasi-mystique, qu'il ne sera
jamais un chef de file mais toujours un exemple. Et
que l'on cesse de considérer Gérard Manset comme une
sorte d’ours illuminé. C'est un homme exigeant pour
lui-même comme pour les autres. Avec une belle pincée de génie en
plus. »
************************************************************************************************************************ Télérama n°1324 du 28/5/1975 (par Jacques Marquis)
Un homme étrange... qui vit dans
une bouteille. C'est peut-être tout ce qu'on peut dire de cet homme mystérieux
qui se cache derrière sa barbe et sa musique. «Animal on est mal » avait fait
un tube. Avec un peu d'opportunisme, Gérard Manset aurait très bien pu guigner les
meilleures places du hitparade. Mais outre que le vedettariat ne convient
guère au personnage, son propos est beaucoup plus ambitieux: écrire et chanter
une musique inouïe, sur des textes dont les images et les sons importent autant
que le sens. Alors voilà un disque d'un abord difficile, parfois même ingrat
si l'on ne s'abstrait pas de la définition traditionnelle d'une chanson. Les
textes sont rigoureux, sobres, ils ne racontent rien, ils évoquent. Quoi ? Ce n'est pas toujours évident. Il ne faut pas
chercher à comprendre, il n'est pas utile de chercher à comprendre car si la
voix n'est pas d'une beauté exceptionnelle, la musique vous porte, superbe,
avec des arrangements incroyables riches et moins froidement impeccables qu'à
l'habitude chez lui. Cela dit je crois qu'un disque de Manset, ça ne s'explique
pas. Ce qu'on peut écrire dessus n'a forcément qu'un rapport très lointain avec
cette œuvre qui donne parfois le vertige. Arrêtons donc là mais en posant une question : pourquoi la
pochette ne mentionne-t-elle pas le nom de la propriétaire d'une voix très pure
qui intervient si joliment dans ce disque?
Y'a une route
par Isabelle Martin (21/10/1975)pour le Journal de Genève
Que sait-on de Manset ? Peintre, c'est 68 qui le pousse vers la chanson (« Animal on est mal »).
« La mort d'Orion », qui date de 1969 !), marque sans doute une date
importante dans sa production ; inclassable, ce poème mythologique est
une hiératique évocation de la condition humaine, au ton neuf,
exigeant, en dehors de toute mode. A signaler : la présence de Gianni
Esposito et la réapparition (sans lendemain), d'Anne Vanderlove.
Aujourd’hui, Manset revient avec un disque placé sous le signe du
voyage, traité cette fois en thème profane, sur un mode beaucoup plus
accessible, puisqu’il ne requiert pas cette attention passionnée
qu'exigeait l’écoute d'Orion. Manset n'a pourtant rien renié de son
mystère dans ce disque et l'on n'en saura pas davantage sur lui. (Les
deux photos de la pochette le montrent une fois de dos, une fois perdu
dans la pénombre). Voilà un auteur qui ne cultive pas
l'autosatisfaction, et qui demande à n'être jugé que sur pièces. Avec
un certain orgueil, il a fabriqué son disque tout seul, textes,
musiques et mixages, supervisant le moindre détail. Aussi bien, cet
album forme-t-il un tout, d'une cohérence et d'une plénitude
maitrisées. Sensibilité et technique se rejoignent, peut-être jamais si
bien que dans l'un des plus longs morceaux. « On sait que tu vas vite »
: le motard dont on nous chante la mort, accompagnée du martèlement
sourd de la batterie et des dérapages du synthétiseur, n'est-ce pas un
des héros mythologiques des temps modernes ?