GÉRARD MANSET EN CONCERT A
L'OLYMPIA !
Dans
mon dernier article, je me moquais avec une rare mauvaise foi, (Manset
a toujours bien précisé qu'il ne délivrait jamais aucun message dans
ses chansons (à part " Manteau rouge")) des textes du dernier album de
notre Gégé national "Obok". Ne reculant devant aucun coup bas, je
promettais même d'aller le voir lors de son prochain concert,
engagement d'autant moins difficile à tenir que je suis fan depuis
toujours et que Gérard Manset n'a jamais fait le moindre concert de sa
vie (pas depuis qu'il est connu en tous cas) !!
Et qu'est-ce que
j'apprends en lisant les articles de presse sur "Obok" .... qu'il s'est
enfin décidé !!
Gérard
Manset va enfin se produire sur scène !!! L'homme invisible de la
variété française (aucune photo non plus) sort de sa légendaire
réserve. Voilà qui va faire l'effet d'une bombe auprès des
inconditionnels.
Et tant qu'on y est,
pourquoi ne pas commencer par l'Olympia...
EXTRAITS :
«
Je ne vais pas attendre éternellement. J'en ai assez de cette
expression morte du studio. Et l'envie de jouer cet album sur scène,
dans un an, à l'Olympia peut-être. Physiquement, mentalement, une
épreuve difficile. Reste un certain nombre de vérifications à faire,
sur ma mémoire par exemple. Mieux vaut que je ne pense pas au public.
Le malentendu commence sur l'affiche. Rien que mon nom est déjà
déplacé. Mais j'ai déjà résolu la plupart des problèmes. Il n'y aura
pas de photos, pas d'enregistrement. La musique vivante, c'est de la
musique périssable. On passe un moment, il n'en restera rien. Je n'ai
jamais joué en public, sauf comme guitariste d'un groupe, époque minet
du Drugstore, vers 1963-64. Une farce. Quelques concerts en province et
soirées à Paris, boissons gratuites et 300 balles chacun. Je chantais
«Da Doo Ron Ron». »
Obok.
« J'ai enlevé le c d'Obock, bourgade en face de Djibouti. Je me suis
approprié un Obok fantasmagorique, mon Ubik de Philip K. Dick, le
mirage d'Haddock du «Crabe aux pinces d'or», un Obok ad hoc. Quand je
voyage, je ne fais que passer. J'essaie d'être le plus transparent
possible. Pas seulement à l'étranger. J'avance sous des sortes de
masques en permanence. Je ne comprends pas qu'un artiste s'affiche
d'une chapelle ou d'une autre. Ou faut-il être Zola. Mon propos, c'est
la dilution, la disparition, la non-interférence. Laisser le monde en
l'état. »
Musique.
« En studio, sur le plan technique, on est dans l'enfer du McDo
musical. Je compose à la guitare acoustique, une Gibson ou une Epiphone
quelconque. J'ai deux trois phrases en tête et les accords affluent. Ou
je me mets au piano, un Gaveau droit. Je ne peux pas composer sur un
autre que le mien parce qu'il est un peu tassé, les marteaux amoindris,
les fausses notes ne s'entendent pas trop. C'est une obligation absolue
pour l'autodidacte, l'unijambiste que je suis. Mes guitares ne sont pas
toujours accordées. Je ne veux pas perdre de temps, l'inspiration
s'envole très vite. J'écris les partitions chez moi. Tout est ruminé,
mûri avant le studio. Quand j'arrive, je suis dans un état de tension
très zen. Les musiciens sont prêts. J'enregistre trois ou quatre titres
dans la journée. Parfois une seule prise. Sur cet album, j'ai chanté en
même temps. Et puis je fais le montage chez moi, ma petite cuisine
comme autrefois au studio de Milan. »
Voyage.
« Je ne fais que me rafraîchir la tête et humer les senteurs du passé.
Je suis amoureux du Mékong comme de l'Amazone. J'avais la fascination
des endroits inaccessibles. Le Laos l'était en 1975. Depuis la
Thaïlande, je contemplais la rive opposée du Mékong. Chaque matin sur
l'embarcadère, on repêchait les cadavres des boat people. Dès la
frontière ouverte en 1990, j'ai pris la première navette pour
Vientiane. Aujourd'hui, le pays garde un charme presque intact. »
Artiste.
« J'ai pris des milliers de photos en voyage. J'ai un matériel
considérable que je ne montre pas. Des livres que je ne publie pas et
qui reposent, des dizaines de chansons qui dorment. Ça reste dans des
malles. La peinture, j'y pense parfois. Un travail de dessin, de
fusain, de pastel, d'eau-forte. Mais il me faudrait dix ans de plus à
vivre. »
François
Armanet (Le Nouvel Observateur)
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Génie.
Sombre. Fascinant. Cinglé. Solitaire. Culte. Insaisissable. Voilà des
qualificatifs qui reviennent dans les milliers de pages Internet
consacrées à Gérard Manset, où un site propose même des « Méditations
sur des versets de Gérard Manset ». Cela en dit long sur la vénération
dont est l'objet cet artiste parfois difficile à comprendre. Dix-huit
albums en quarante ans de carrière, un tous les quatre ans depuis 1985,
jamais de scène, jamais de télé : Gérard Manset voyage en solitaire. «
Je suis à des années-lumière d'un Gainsbourg, personnage fascinant mais
pour lequel je n'ai pas la plus grande estime sur le plan artistique,
dit-il. J'étais programmé comme ça et je ne suis pas mécontent d'être
une sorte d'anachronisme de l'Histoire. »
Gérard Manset vient
d'enregistrer un nouvel album, « Obok ». Si les ambiances sont toujours
graves (il chante les enfants-soldats d'Afrique, son amour pour sa
fille, et finit par avouer qu'il aimerait connaître la fortune et la
gloire), il se démarque des précédents par un souffle résolument rock
comme le pratique Neil Young. « Neil Young, il ne comprend rien au
monde, il s'en fout lui aussi, il porte un Levi's et puis basta. Mes
musiciens sont des types hors norme, difficiles à gérer. Ce ne sont pas
des mercenaires qui vont jouer avec tout le monde. Cela fait toute la
différence. » Manset ne fréquente aucun des chanteurs de sa génération.
Vit entre sa maison de Saint-Cloud et ses voyages. « J'ai été longtemps
associé à une sorte de show-biz d'auteurs- compositeurs qui n'était pas
ma famille, dit-il. Je n'avais rien contre Yves Duteil, mais... Je
serais plutôt de la famille des Malraux, à marcher dans la rue en me
grattant la tête. J'aurais pu vendre des centaines de milliers d'albums
si j'avais fait de la scène, de la télé. J'ai fait mon deuil de tout
cela. Ne pas faciliter la tâche à l'auditeur, c'était mon choix. »
«
Dans les années 70, quand on achetait un album, on l'écoutait.
Aujourd'hui, on le passe en regardant la télé, en surfant sur Internet.
En concert, le public est captif. Quand je leur balancerai "Fauvette",
je saurai qu'ils ont entendu. »
Une
autre condition : « Je ne veux pas voir le public. Ce n'est pas le
regard des gens qui me gêne, c'est le malentendu. Quand Brel chante
Amsterdam, c'est très douloureux. Je ne trouve pas très sain que l'on
regarde cela. Je tiens à rester à distance. »
Sacha
Reins( Le Point)
A
priori il s'est même entouré d'un petit nombre de
musiciens pour "Obok", dans l'idée de le jouer sur scène
!
Non, vraiment il a
l'air décidé...
Je
me souviens pourtant d'une interview où Gégé parlait de la promotion
idéale (il s'agissait alors de passer à la télévision). Pour Manset, la
promo parfaite, c'est annoncer sa venue à la télé (pour tout de même
vendre et qu'on parle de son album) mais ne pas y venir...
Je
ne voudrais pas être un oiseau de mauvais augure mais il ne semble pas
impossible qu'il se contente de cette annonce tonitruante...
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Gérard Manset : un jour sur scène ? (par Bertrand Dicale pour RFI
Musique)
Paris
07/04/2006 - Nouvel album, Obok pour Gerard Manset, un chanteur
singulier qui, depuis 1968, règne sur un univers sombre traversé de
brusques émerveillements. "J’ai eu souvent le sentiment de ne pas étre
très aimé. Et c’est en train de changer. J’ai maintenant I'impression
d’une sorte d'assentiment" dit-il alors que, pour la premiere fois de
sa carrière, il pourrait monter sur scène.
RFI
Musique : Avec la chanson Jardin des délices, on retrouve la thématique
de Paradis ou du Verger du Bon Dieu : la possibilité d’un paradis
accessible.
Gérard Manset : Heureusement, il y a cette idée
de l'Éden, omniprésente, comme la bouteille de champagne dans Tintin et
le crabe aux pinces d’or: on le voit se profiler à l’horizon puis
disparaître. L’Éden était partout et, petit à petit, en raison de
l'hégémonie humaine, il est de moins en moins présent. C‘est comme pour
la couche d’ozone, qui est crevée et va finir par disparaître
totalement. On va finir cramés.
En ce moment, je relis Zola. Eh bien
l’ouverture de Nana, cette scène au théatre, c’est le Paradis. A ce
moment, le Paradis était à l’interieur des individus. On les a dénutri
de santé, de bonheur, de gentillesse - plus ils depérissent, moins le
Paradis est en eux- Quand on relit Zola page à page, la diversité, la
bonhommie, la simplicité de tous les personnages vous frappe : à mesure
qu’ils ouvrent les portes, qu'ils entrent et qu’ils sortent, quelque
soit leur âge, leur sexe, leur condition sociale, c’est le Paradis, le
paradis concret, celui qu’on aurait pu ne pas perdre. Dans la moindre
scène, si banale soit-elle, tout est d’une richesse protéiforme, dans
des milliards de couleurs là où aujourd’hui les pensées sont ternes,
les réactions affectives sont ternes, les discours sont ternes.
-Vous
avez l’intention de faire enfin de la scène. Toutes ces
années sans faire de concerts, ça ne vous a pas manqué ?
-Si, évidemment
-N’avez-vous pas peur du
trac, maintenant ?
-Je
ne crois pas que j’aurais le trac. Ce serait plutôt vis-à-vis de
moi-même : je n’ai pas changé d’opinion, je trouve toujours cela très
déplacé et je ne sais pas comment je supporterais l’épreuve. Ce n’est
pas tellement lié au public ou le fait de crever la bulle et de passer
sur scène ; c’est après, le lendemain, le surlendemain, me dire que
j’ai accompli cette sorte de compromission, comme si j'avais été me
baigner dans quelque chose de pas très propre.
Mais je voudrais
préciser, parce que je suis une espèce de traumatisé du malentendu :
quand je dis pas très propre, c’est que dans cette salle, sur 2000
personnes, il y en aurait la plus grande part qui ne me connaitrait pas.
lls
viendraient voir quelqu'un d’autre, d’autres titres. lls seraient
peut-être enthousiastes, comme ils vont voir Souchon ou Bashung ; or je
ne suis pas Souchon ou Bashung. Je n’ai pas envie qu’on vienne voir un
énième artiste de variétés. Le malentendu serait là et je m’y serais
baigné.
-C’est la crainte que
l’on puisse vous prendre pour un artiste de variétés.
-Justement
- j'y reviens - c’est ça l’ouverture de Nana : une sorte de Brigitte
Bardot denuée de toute forme de talent si ce n’est son physique ; au
début, on est près des quolibets et, dix pages plus tard, tous sont
conquis, avec les yeux qui leur sortent de la tête. Eh bien voilà :
c’est ça le spectacle ; moi je ne suis pas dans ce registre. Ou
j’aimerais ne pas y être.
-Avec
le premier tirage de l’album est joint un petit Iivret avec Neuf
alternatives à Obok, textes sur chacune de ces chansons...
-J‘étais
relativement frustré parce que j’écris un certain nombre d'ouvrages
que, pour diverses raisons je ne mets pas en circulation -je vois des
éditeurs et ça se ne fait pas, ou alors je ne veux plus. Pour Le
Langage oublié, j'avais deux ou trois cents pages que je n’ai pas mises
en forme. Cette fois-ci, je me suis dit que c’était l’occasion d’aller
plus loin que ces textes de chansons qui peuvent sembler abscons ou
laisser sur sa faim. Là, les gens qui aiment ce que je fais vont
acheter le CD et on leur donne ce texte.
-Vous vient-il
couramment ce genre d’inspiration avec les chansons ?
-Oui,
mais c’était fugitif. ll se trouve que, là j’ai voulu le saisir. Mais
ce n’était pas prémédité. J’ai vu que, sur un titre, Fauvette, on
allait partir sur des interprétations qui n’avaient rien à voir.
C’était au téléphone et, tout de suite après avoir raccroché, j’ai
écrit cette espèce d’explication comme si je continuais la
conversation. Et, pour Pacte avec mon sang, le titre m'est venu presque
d’une volée, peut-être en trois quarts d’heure ou une heure. Et le
synopsis me venait en même temps - c’est exactement la vision que
j'avais à ce moment-là, à quelques bricoles près.
-ll
semble qu’à chacun de vos albums, il y ait des chansons
qui restent sur l’établi, qui ne sortent finalement pas...
-Ici,
il y avait notamment un texte difficilement recevable, sinon avec une
très longue explication. Je l’ai regretté mais j'ai un peu marre de ces
luttes perdues d’avance - préciser, déciller les yeux des gens, les
secouer. J’ai un peu passé l'âge... Et puis c’est le rôle de la
littérature, pas de la musique.
-C’est ce que dans un
texte vous appelez "cette manie d'expliquer cette hérésie de la
transparence"...
Je
n’aime pas être mis en cause et je n'aime pas avoir à justifier des
choses qui pour moi relèvent du domaine de la poésie, de l'expression
naturelle et viscérale, qui ne viennent pas de moi mais d'ailleurs et
dont, probabiement, je ne suis pas responsabie, qui sont à prendre dans
leur entier, sans aucune restriction, pour monnaie comptant.
La
vérité absolue. C’est tout. Si on commence à demander au Villon de La
Ballade des pendus pourquoi il y a des pendus qui sont comme des fruits
sur un arbre... On ne fait pas une explication de texte sur La Ballade
des pendus. Je n‘ai rien contre le dépiautage, le décorticage, mais
encore faut-il que ce soit fait en stricte neutralité. Or aujourd’hui
cette neutralité n’existe plus.
Gérard Manset Obok (Capitol-EMI) 2006
.
A
SUIVRE....