RIEN
A RACONTER (1976)
Critique
de l’album parue dans Rock’n’Folk : (1976)
(Auteur : Jean-Marc Bailleux)
‘’C’était
une gageure de faire une
suite à « Y’a Une Route » : des albums comme
celui-là, on n’en
fait pas trente-six dans une vie d’homme. Et pourtant, Gérard Manset
avait déjà
laissé à l’humanité ébahie « La Mort d’Orion », que
certains
découvrent encore avec émerveillement. « Y’a Une
Route » n’aura
pas été suivi, comme « La Mort d’Orion » d’un long
purgatoire, d’une
période de réclusion.
« Rien à Raconter » est
plein de paradoxes… déjà, faire un album d’un pareil titre !
L’ellipse n’a
pas disparu des paroles, mais un peu de la force des mots. A la
première
écoute, on en vient à se dire que Manset a pris goût au succès, sans
pouvoir se
persuader qu’il recherche le tube ; un certain agacement à ces
mélodies
évidentes, presque faciles et pleines de réminiscences. On regrette les
grandes
orchestrations d’antan. On se dit c’est un mauvais Manset. Mais un
mauvais
Manset, c’est quand même un bon disque. Alors on l’écoute, on le
réécoute. On
est pris – Manset est un tricheur que j’adore. Et puis on se souvient
de la
photo et de l’ode à McCartney, dans son bureau au-dessus du studio.
Gérard
Manset a terminé son identification, il est McCartney et c’est
peut-être bien
ainsi. Plus on écoute « Rien à Raconter », et plus on
en est
persuadé : Manset
n’a rien
abandonné. Tout est là, faut gratter. « Rien à Raconter » est un
trompe-l
’oreille : écoutez « Le Moment d’Être
Heureux » : à priori
c’est ringard et pompier au point d’en être pataud, et puis tout est
en-dessous, les variations constantes. Pareillement
d’« Ailleurs ».
« Les Vases Bleues » en deviennent presque du Manset
d’avant la
mutation : face 2 ou 1, qui sait ? « Cheval,
Cheval », on
sait que tu vas vite. Chef d’œuvre. Combien de temps encore avant que
les
Anglo-Saxons s’arrachent Manset pour le produire ?’’
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Article pour le magazine "Chanson" (1976)
Gérard
MANSET
Les vases bleus. Ailleurs. La liberté. Cheval cheval. Le moment d'être
heureux.
Rien à raconter. La pie noire. Rouge-gorge.
PATHE MARCONI, 30 cm, 2 C 068-14281/A.
Bien
que Chanson soit une revue trop peu importante pour que Gérard Manset
perde son temps à lui accorder une interview (sic), Chanson, comme tout
le monde, mais pas après tout le monde, s'avoue rester victime des
charmes un peu troubles des chansons de Manset. Troubles, ses chansons
? Oui, on ne sait à quel niveau elles agissent, ce qu'elles nous
demandent, quel est le secret de leur magie, où elles nous emmènent. Ce
n'est pas Manset, alchimiste taciturne du son, ermite forcené du
studio, qui nous renseignera (voir plus haut; et puis, ce n'est pas à
lui de nous le dire). Le secret est-il dans les mots ? Ils disent des
choses simples, assez facilement allusives, souples à la musique,
partant souvent d'images animales (cheval, rouge-gorge, pie); ou de
notions d'évasion (ailleurs, liberté), avec leurs connotations
poétiques et leurs confrontations significatives (cheval, liberté).
Est-il dans la musique ? Elle a recours à toutes les habiletés du
rythme, de la recherche de timbres, de la respiration, de la subtilité
au service de la simplicité, du mixage, de la modernité, de la
souplesse aux mots.
Le secret est sans doute dans la connivence
réciproque des mots et de la musique, dans leur accord profond d'où la
chanson tire son unité, son équilibre, dans la réponse des multiples
couleurs musicales aux couleurs des mots (les vases bleues, les yeux
verts du cheval, la pie noire, le rouge-gorge), il est à la fois sans
l'efficacité immédiate des chansons et dans leur prolongement fluide en
nous et aussi, bien sûr, dans le talent d'invention et de synthèse de
Manset, en même temps que dans son originalité et sa maîtrise.
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Critique parue dans le magazine "Best" n°95 / Juin 1976
par Michel « bad dream » Embareck
Manset
fut très longtemps pour moi le fou génial qui écrivit « Animal on est
mal », le poète maudit et l'orchestrateur grandiose de la « Mort
d'Orion ». Rien d'autre. Un de ces génies voués à l'anonymat par la
logique productivité/rentabilité. On se demandait même comment une
grande maison avait pu engager un flippé solitaire pareil. Mais vint «
Y a une route », explosion/consécration et le dilemme traditionnel : la
fin de l'obscurité, les beaux soirs des boîtes à cons de nuit, était-ce
ce que nous souhaitions à Manset ? Oui, car cet album devint commercial
sans en avoir eu la volonté. Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce
que « Rien à raconter » me fout dans une merde épouvantable. Il est le
prolongement de « Y' a une route ». Alors ? Exploitation d'un filon
d'où tombe la monnaie ? Je ne peux le croire et j'ai très peur que sa
véritable signification réside en son titre : rien à raconter. Ce
disque sent à plein nez le râle morbide, le cri ultime des êtres trop
sensibles électrocutés par une gloire inattendue. Manset n'a plus rien
à dire, à raconter mais contrairement aux vieux ringards vivant depuis
des années sur leur nom IL LE DIT., Et ça c'est terrible/horrible. Se
retrouver à quatre heures du matin devant sa glace et se dire je n'ai
plus rien à te dire, c'est le début d'un trip suicidaire dont l’issue
ne peut être que l'explosion du Smith and Wesson contre la tempe.
«
Rien à raconter » est plus qu'une consommation esthétique de l'ennui,
c'est une descente lancinante au fond de soi-même pour y puiser le
courage de s'autodétruire, c'est le plaisir béat d'appuyer sur le
bouton atomique un matin de beuverie lucidement vécue, c'est l'abandon
du corps par une grève de la faim quand le speed coule dans le goutte à
goutte. « Rien à raconter» a la classe d'une fin à la Mac Orlan.
Superbe.