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PRISONNIER DE L'INUTILE (1985)




Critique de l’album parue dans Best : ( 1985) (Auteur J.M. Reusser)

Manset revient un an à peine après  « Lumières » et - ça devient un rituel - nous laisse un nouveau disque avant de retourner à ses jungles obscures et ses temples interdits, enfin délivré, allégé de quelques secrets trop précieux pour ne pas être partagés.
Moins immédiat ce nouveau disque, plus sombre et dense, plus indirect et donc plus difficile à raconter. Alors qu'il a peut-être été enregistré avant, pendant ou juste après le précédent.
C'est le genre de chose qu'on peut soupçonner de Manset mais qu'il faut se garder d'affirmer même si cet éternel voyageur aime brouiller les cartes.
On dira qu’avec les années, l'auteur frappe de plus en plus fort, que sous sa plume ça vole et ça décolle. Ça résonne et raisonne. Bon pour le son, bon pour le fond. On dira que le chanteur qui s'interprète n’est pas toujours égal surtout quand il s'obstine à vouloir attraper des notes hors de portée. Plusieurs fois, des basses mangent des mots. On dira du  compositeur qu'il est passé maître dans l'art de monter des « ambiances rythmiques », d‘une linéarité presque surnaturelle qu’appelle une autre perception du temps («Mauvais Karma»).
De l'hommage  - sublime -  à Paul Gauguin (« L'or de Leur Corps ») à « Est-ce Ainsi Que les Hommes Meurent? », sept chansons servies par des musiciens qui font dans la sobriété avec une rare dextérité. Et, mais on eut été étonné du contraire, un album digne successeur de «Lumières» classé depuis 10 mois au Bestop.

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  (Paroles et Musique n°53 / Octobre 1985) par Jacques VASSAL


A chaque nouvel album de Manset (celui-ci est le douzième - cf.  notre dossier de PM 34), on se demande si  le  sorcier va  encore  réussir à exercer sur nous son charme, toujours semblable et pourtant  différent. Lui  qui  poursuit depuis  tant d'années  sa  route  solitaire, toute de rigueur et d'exigence  vis-à-vis de soi-même,  loin  du  tumulte  du "métier", vient une fois de plus poser sa besace parmi nous et nous rappeler à quelques vérités élémentaires, comme le nécessaire détachement à l'égard des choses matérielles  :   "Nous sommes prisonniers des liens qui nous attachent/ Et nous souffrons dans notre cœur, comme une tache ".
Pour tenter de s'en libérer, Manset, bien sûr, voyage :    en Asie de nouveau, et puis aux Marquises, à Hiva Oa, où il évoque le souvenir de Paul Gauguin, cet autre grand reclus volontaire.   Mais   Manset,   peut-être plus  ici  que  dans son  précédent disque Lumières (d'un abord moins immédiat-cf. PM 44, avec interview exclusive),  nous  parle  beaucoup de nous et de notre indifférence face à ceux qui nous sont cependant proches, en France  :    "Il faudra bien qu'on pense un jour/ Aux enfants qui poussent dans les tours/ Sur les trottoirs, sous les néons/ Ceux qu'on ramasse dans des cartons. "
Comme à l'accoutumée, la prise de son est extrêmement soignée et la technologie, sans esbroufe aucune,  maîtrisée, confinant à  l'épure, au profit de l'image qui alors s'inscrit en nous. Ainsi, les synthétiseurs imitant une mélopée au violon  électrique  nous  installent-ils dès l'introduction  du premier titre (" L'esprit des morts veille/ Et quand tu t'endors  /  La  lampe   allumée ') dans une méditation qui ne s'achèvera  que  pour  nous  demander : "Est-ce ainsi que les hommes meurent/ Et leur parfum au loin demeure ".Un seul disque de Manset vous console  de  bien  des vanités  qui s'enregistrent  parfois ...

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Par ANNE-MARIE PAQUOTTE (Télérama du 23/10/1985)

Enfants des tours, prisonniers de l'inutile dans des chambres moisies. Mauvais karma. Est-ce ainsi que les hommes meurent ? L'univers lancinant et psalmodié de Gérard Manset s'inscrit presque tout entier dans ces extraits de ses dernières chansons. Presque : le tourment de ce singulier créateur prend d'autres tonalités dans Et l'or de leurs corps : hommage à Gauguin, non plus questions sur la vie, mais question à la mort. Dans aussi, Deux voiles blanches : une de ces chansons rares qui ressemblent à ces instants rares, odeur de pluie et d'eau de port, où l'on se sent vivant, heureux ? malheureux ? Vivant, et rien n'a plus d'importance

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Les chemins intérieurs
Par Antoine Duplan
L'HEBDO. 24 octobre 1985

Dans son douzième album, Gérard Manset, l'alchimiste de la chanson française, continue à explorer ses voies intérieures, quitte à se noyer dans les eaux du souvenir et du regret. La voix tremble un peu, bêle quasiment dans les passages fortissimo, mélodies et arrangements sonnent désuets évoquant la pop française du début des années septante. Seulement, plus irrésistible que jamais, le charme Manset opère. En délicatesse, en profondeur. La richesse infinie de la poésie (« Regarde et vois passer ténèbres, ténèbres et lumières/Mauvais karma/Et depuis dix mille ans la trace d'un doigt/Qui pousse la roue/La roue de la loi/Claque la porte et tremble »). La subtile puissance des images, le charisme de ce chanteur secret provoquent une catharsis douloureuse et diffuse. Placé sous le signe de la nostalgie et du doute paramnésique, « Prisonnier de l'Inutile » appartient à la catégorie (en voie de disparition) des disques indispensables. Graves et beaux.


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Rock & Folk n°224 / Novembre 1985, par François GORIN

Qu'on l'abhorre ou qu'on l'adore, qu'on soit fervent ou non de sa veine mystico-ascétique, familier ou pas de ses voyages extérieurs et intérieurs, il est convenu d'admettre qu'il y a dans le charme et dans l'art de Manset une part de charlatanisme. Et quand charlatan fatigué, lui toujours faire ainsi : lui replier bras et jambes, se boucher les yeux et laisser couler ce recueil de fonds de tiroir. Que c'en soient réellement ou non n'est pas la question, l'important est que ça en ait tout l'air (et la photo est de 1979 !). Il y a même une copie presque carbone d'un morceau de 
«Il Voyage En Solitaire ». Ces dernières années, Manset, prolifique par habitude, avait un peu pataugé avant de nous offrir ses «Lumières» étonnantes. Cet album-ci, si vite bouclé, rappelle cruellement combien du Manset moyen peut être irritant, même (et surtout ?) pour ceux qui l'ont prisé ailleurs. Au moins doit-on lui savoir gré d'annoncer la couleur avec ce titre défaitiste sur fond de lit défait : «Prisonnier de l'Inutile ».

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QUÉBEC ROCK (09/ 1986)
 Par Gérard Lambert


Voici le douzième album avec pour option la nostalgie, rempli de chansons tristounettes, la rondelle qu'on attendait, quoi. C'est ça qui est bien: plus c'est triste, plus on est ravi, hein!
Inéluctable, le sceau Manset tombe, au détour des phrases:
Où sont les vastes terrains vagues de mon enfance. (Les enfants des tours); « Avec le temps les gestes meurent/Et rien ne reste, rien ne demeure (Deux voiles blanches); Draps mouillés de tous les cris, les odeurs du temps qui fuit. (Chambres d'Asie); Pas d'avenir, pas de passé. (Mauvais Karma).
Toutes les plaintes et les complaintes de ce disque sont à vif et lumineuses.
En dehors des textes, le climat et la facture de l'album flottent dans un grand bain de réminiscences diffuses continuelles d'époques enfuies. Manset ensorcèle les gens qu'il effleure. Manset est précieux comme le silence. Il y a quelque chose chez cet homme qui est impressionnant et impressionniste. Un disque qui plonge dans des transports de ravissements.

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