RITUEL
: CE QUE MANSET
Chronique
et interview parue dans Libération le 20/11/1989 par BAYON
Treizième
volume des aventures de Gérard Manset. Sept nouveaux titres au son daté
mais aux textes sans âge, comme le chanteur? Sur notre demande, il
consent à ne pas en parler.
Agréable
( «La
nuit semble douce et tranquille/ Ça ressemble à une ville/ Dont on rêve
quand on est enfant/ Carthage et ses éléphants »), solennellement sale
(Banlieue nord), autocensuré (Bergère), remis (On voudrait revivre),
animal (« Comme un têtard aux yeux vides»), drapé («Juste
avant l'exil»),
épique (« Tremblement de nos mémoires /Le choc de nos mâchoires»),
moyenâgeux (« Après le pain blanc pain rassis/ Que toutes
choses
sont ainsi»), engagé (« Les chevelures sans foulard » ),
réminiscent (Siam, Guerrier, Orion, Train, «sans paupières», «sablier»,
« sans collier », etc.), musicalement anachronique (plutôt éclate
genre-Floyd produit par le Facteur Cheval que Pixies & Mary
Chain),
voici Matrice de Manset.
Événement
? Pas du tout. Le même, un autre. Gérard «sept d'un coup» Manset, ou
encore et toujours (et plus que jamais cette fois-ci, si court après si
long temps d'absence) le petit tailleur dans son atelier: grands
voyages et envolées, esthétique confinée. La France. Pathé, rideau. A
cet égard, Matrice est peut-être le plus inutile des Manset parus
depuis vingt et un ans -le premier de trop ? Simple rallonge à
Lumières-Prisonniers, genre de «digest» de l'œuvre en général
d'ailleurs, bien lyophilisé.
Et
après tout, si c'était cet arrière-goût honteux de Dignité système D,
justement. Damnation avec ristourne ou Salut « ficelle », qu'on aimait
bien ? Par veulerie forcenée, coûte que coûte? Comme un remords prenant
de ce que fut (et reste et restera) le Solitaire: pionnier new wave
étrange entre Christophe bizarre et Bashung volontaire, le temps d'un «
Qu'il est loin le temps devant nous 75 », cent fois plus actuel en 89
que Matrice, éclaireur sur « Y’a une route ». Une?
Août-octobre
1989: de viets dans le 20ème en salons de thé Sixtine à rombières du
Temple, avec escales maison et autant de coups de fil, il est question
des vieux et de Jeux pour mourir de Géo-Charles Véran (retiré à Manille
pour raisons soupçonnables), de rhétorique
(-
Comment appelle-t-on ça, quand on commence une phrase, une deuxième, et
qu'on continue les deux à la fois ?), de mort (-Finalement je suis très
heureux ! Ce qui gêne c’est de mourir avec des regrets. Moi. J’aurai
mis mon doigt un peu partout, alors...), de Verlaine (« solitaire et
glacé »), Pascal, la Lambada (- Là, tu devrais la fermer), et enfin de
Mauss (Marcel, 1873-1950, disciple du suicidologue Durkheim),
théoricien — d'après le créateur d’Ailleurs — de la pelote de laine
comme métaphore de l'univers à démêler (soit en bloc: synthèse ; soit
par le petit bout: analyse), donc d'ethnologie (— Tiens, voilà un
métier que... !).
Ça
tombe bien. A l'heure où il n'y en a plus que pour « l'ethnic
»
(néo-colonialisme rock), on définira le genre incarné par Manset de
Saint-Cloud (août 1945, « quelques jours avant la bombe », Clinique de
la Porte-Jaune), descendant mêlé des Gide, Segalen et autres
Potocki, comme de l’ «ethno-rock ». Le seul peut-être digne de ce nom.
Empirique, travaillé sur le terrain (la mappemonde coloriée,
de
Cagayan de Oro jusqu'à Kandara, qui décore et légende la pochette mauve
tractus 89), produit d'enquêtes douteuses obstinément poursuivies,
balade après ballade, par ce chercheur intérieur. Jusqu'à Matrice,
dernière communication à l'académie binaire -au nom magnétique ou
physique.
Entrons
dedans (berk). Plouf. « On passe au pied d'une grande
cheminée/
De briques et de pierre. » Ne manquent que les mensurations —pain béni
pour la psychanalyse fastoche, la «cheminée» dans la «matrice»: bravo —
et les statistiques. C'est Banlieue nord («Étude sur un cas
d’implantation de populations immigrées en milieu... »). Rapport suit:
descriptif, non dénué de poésie mais aux rimes lourdement lestées de
«social», des tribus de la fameuse «zone» parisienne vues par
Manset-NRS.
De
là à imaginer Mauss chantant les « enfants qui jettent des pierres»...
Mais tout de même l'approche y est: « Filles assises/ Vêtues de draps
de toile, de simples chemises » (Zola ?), « Colliers de fleurs que les
hommes enfilent» (Gauguin ?)... Documenté, enregistré, distancié. Entre
musicologie Orstom et notes de voyage en pirogue sur l'Odet
(«Sur le rivage éblouissant/ Où vient la nuit s' épaississant »).
Il
est vrai que l'explorateur est à chaque instant doublé, ici
-disqualifié-, par l’idéaliste, l’obsédé: Aguirre brandissant l’épée de
lumière de la quête de l'Impossible, ou aventurier d'eau douce traquant
le coup de kriss paternel au détour d'un Marin Bar sinon le paludisme,
c’est-à-dire le destin.
Comme
tous les disques de Manset depuis l’explicite Royaume de Siam
(auto-analyse indonésienne), chronique d'errance tenant de Loti
(Désert) Thesiger (Marais), de Monfreid (Mer Rouge) ou des extérieurs
d'OSS 117/007/ SAS (A quand le sponsoring Singha ?). Matrice, recentré
métropole, est à peu près déchiffrable selon cette grille
ethnologisante —y compris et surtout dans ses explorations imaginaires
au ton de rapports de police («coup de feu dans le lointain », «vitres
jonchent le sol», « plâtre des plafonds...vin
du carafon... pluie sans fond... »).
Soit:
Solitude des latitudes, intitulé suffisant. Matrice, chanson-titre
(quadruplement déplaisante au fait : comme facture, à partir du
deuxième couplet, avec riffs hardos sur cuivres sur voix de tête René
Joly revival sur boite à rythme - quelle java ; comme texte, avec «sens
profond » ; comme « clip » ; comme titre le tout à peine sauvé par la
rime automatique 71 «radis/ paradis»), serait de l’ethno-primal. Camion
bâché, inceste symbolique sur l'air de Duel, ferait l’ethno-routier.
Toutes Choses: ethno-lai (Mauss rewrité par Marie de France ?). Avant
l'exil, voir Solitude des latitudes. Bergère (« d’un terrain
vague désert»), à suivre, constituant le bonus mystère Tristes
Tropiques. Voilà le topo.
A
part ça ? Une surprise et une légende.
Surprise
: la pochette de Matrice. Egal à lui-même, sans âge, rustre (Never
Sleeps ?) rescapé d'un Wounded Knee sur Seine, notre « Loner » titi y
figure in extremis «normalement» (1), dans son décor familièrement
désastreux, sans filets: ça change de la photo-souvenir encadrée. En
bien. Quoique... —commentaire-trottoir: « On dirait que le maquettiste
était bourré.» (2).
La
légende, ensuite: « Gérard Manset parle peu.» Faux: c'est tant et plus,
tout le temps, à tout le monde, tout bout de champ. On songe aux mètres
de Beckett, collègue en mélancolie du chanteur de Tu t'en vas,
n’arrêtant pas de ne pas en finir de finir de ne pas la fermer encore,
à Cioran délayant la déréliction-bain-marie (aux dernières nouvelles,
on photographiait le pire: très bien). Bref, comment museler l'artiste?
Empêcher ce de Gaulle de la chanson (ainsi que le typait récemment un
collègue) de nous refaire le discours de Phnom Penh? Lui restituer
notre bien: son secret, unique (rien de bien comparable, ici; même pas
Murat-challenger, Gauvain de ce Lancelot du Lac de Prapat)? Comment lui
faire tenir parole, à ce mutique qui posait une fois pour toutes il y a
de cela sept trente-trois tours : Je n'ai rien à raconter?
Voici
: en recourant, le plus artificiellement du monde, au principe du
questionnaire écrit. Ce qui revient à passer du dialogue au soliloque,
du bavardage à la réticence, de la tradition orale à l'écriture -
encore l'ethnologie.
Le
résultat est dépilant, sentant son coincé, tant mieux. Juste Manset, à
(bonne) distance, peu arrangé (ou trop), tel sa livraison 89, à l’aise
dans le seul malaise, textuellement.
1)
Façon de parler: disons que la couverture initiale, visage déchiré avec
un œil arraché, relevait du cabanon, et celle-ci, plan américain avec
flèche dans l'œil, de la psychothérapie.
2)
Effectivement: sur la cassette, le titre, supposé à la perpendiculaire
de la barre du «
T » final du nom penche.
«Vous m’enlèverez les
os»
Une
trentaine de questions tapées, autant de réponses que de questions,
pour un tri final que voici: Manset par écrit.
LIBERATION-Ton
mode de vie compulsif: croissants-crème-petites annonces, atelier
hors-logis, voyages, trafic de statuettes, photo maniaque, dessin,
écriture, nourriture indifférente, vie de famille, Royan estival,
disques... Qu'est-ce qui te retient de te suicider?
G.M.-
Dans l'énumération susdite il y a de la méthode dans la façon de cocher
les cases, reculer la limite de l'ennui ; du fade et sans saveur. La
question vaut 2/20.
LIBERATION—Après
trois ans de silence, pourquoi pas un double album, un triple — tu
avais largement de quoi? Ladrerie?
G.M.
-Circonspection. Cocktail. Savoir doser. La juste portion qui
fera oublier par griserie (chacun sa ration) la noirceur d'une fin
d'après-midi, la trahison, la solitude.
LIBERATION
- En septembre. Matrice était fini, pressage et pochette. Tu arrêtes
tout, tu changes les titres et la pochette. Comment cela se passe-t-il
pratiquement?
G.M.-Mal.
Remettre la machine en route. Au bout du compte la formule est plus
soft. Cela me convient. Je n'ai pas l'intention de faire des vagues. Il
y avait des phrases très dures, très précises et qui pouvaient faire
mal, descendre au fond des gens. Je ne veux pas faire mal. Seulement
montrer la douleur: pas la générer. Si je décide un jour de prendre la
parole, ce sera par l'intermédiaire de la forme littéraire ; le
romanesque. Je ne crois qu'au silence intérieur: à la pénétration lente
et à la pérennité de l'écrit.
LIBERATION-
Tu es strictement divisé en trois: l'idéal (art), la vie normale, et la
vie secrète. Si tu devais amputer deux des trois termes de cet
équilibre schizoïde?
G.M.
– 0/20. T’as deux bras, deux têtes, deux jambes. Normal... J'ai dû
noter un jour quelque part dans un carnet, cette phrase…« Chez le
boucher ; la ménagère qui dit : « Vous m’enlèverez les os ». Lumineux.
Ça s'est imprimé dans mon crâne. Mais la vie c'est pas ça ; faut tout
prendre. On jette rien. Comment dire ? Indissociable. Me demande pas de
couper, de choisir, de trier. On a deux bras, deux têtes, deux jambes:
pieuvre à douze bras pour les pinceaux, scalpels, miroirs, gomme à
l'occasion et bassinets pour recracher salives et sécrétions. On a
besoin de tout. Intégral. Total. Multiple. Scolopendre. Complet. Me
demande pas d’amputer. Déjà assez cul-de-jatte comme ça.
LIBERATION-
Matrice, le titre: c'est soit la plaquette de poésie à compte d'auteur
(Déchirance. Crépusculaires...), soit la gynécologie (utérus). soit la
prétention «essentielle»: tu maintiens?
G.M.-
Là, on a droit au critique réducteur. Matrice est « pulsation », cœur
qui bat. Matrice est la ponte universelle, ininterrompue. Matrice est
le braillement de l'intérieur, glapissement d'entrailles. Plus
simplement c'est le perpétuel écoulement des sens.
LIBERATION.
- Ton commentaire sur Matrice: « Tout est compréhensible, sauf Camion. »
G.M.
-Tout a toujours été compréhensible. Camion c'est différent. Il y a un
germe de signification que j'ai laissé grandir, regardé pousser et qui
m'a fasciné: la révolte du père opposée à la tyrannie de ceux qui
chercheraient à lui voler l'enfant.
LIBERATION.
– Tu refuses que ton livre Royaume de Siam soit réédité en Poche après
les premiers dix mille, comme cela se fait. Bizarre...
G.M.
- Royaume de Siam doit, comme le reste, passer par une
période de
purification: le retrait. Il n'est rien de mieux pour l'écrit que de ne
vivre plus que par le souvenir qu'en ont ceux qui l'ont égaré... Quant
au «Poche». il y a déjà plusieurs milliers de titres. (En réalité, je
pense réécrire le début).
LIBÉRATION.
- En parlant de texte, dans un des derniers, ceci « (…) la main/Dont
l'âme s‘envole/ Qui respire encore » - c‘est un pataquès pur et simple
? ou c’est...?
G.M.
- Volontaire.
LIBÉRATION-Tes
fautes d'orthographe (ici «Pourquoi ont-elles changées ») ne te
troublent absolument pas; parfois même, tu les revendiques...
G.M.
- Celle-ci sera rectifiée. Bien que la signification exacte soit à
mi-chemin de «sont-elles changées» et «ont-elles changé»; ce qui, par
licence, pourrait tout à fait s'écrire: «ont-elles changées.. »
LIBERATION.
- Tu parlais récemment de Simenon avec passion: «très antipathique»,
disais-tu, puis sa première expérience sexuelle «à 12 ans et demi» ; et
enfin cette histoire «d'œuf du père »...
G.M.
—Passionné par l'authenticité du récit biographique. L'incidence
tragique d'un détail sur le comportement de l'enfant. Piliers de la vie
future et cycles de conditionnements clos, hermétiques: inscrits dans
la prime enfance.
LIBÉRATION.
— En pleine révision du projet Matrice, en août, tu t'es mis à parler
de ta sœur et de ton frère, que tu n‘évoques jamais... C'est
psychanalytique ?
G.M.
—Pur hasard.
LIBÉRATION.
— De quoi es-tu inconsolable ?
G.M.
— Un, d'avoir grandi; deux, de ne pas avoir grandi.
LIBÉRATION-Sans
ta tristesse, que te reste-t-il?
G.M.
— Il n'y a tristesse que dans ce que je vois (bouddhisme). Seule la
vision aiguë de la souffrance peut mener à la compassion; la compassion
au détachement. Tous ces doutes, le moteur et ses ratés, ces vagues
déferlantes et recommencées... tout ceci aide à vivre.
LIBERATION.
- En 1968, au temps d’Animal On est Mal entre deux pavés, on a connu
Manset minet, sapé bande du Drugstore, mini-shetland, riding boots
Manby, gabardine anglaise à martingale, mèche, clope, racing, et poker;
ensuite, ça a été barbe Manson et bouffes d'affaires; puis jeans
routard; aujourd'hui, c‘est je me peigne avec une brosse à chien.
Comment s'est opérée cette conversion pascalienne?
G.M.-
J'étais sapé Renoma (époque Arts-Déco) parce que l'intendance suivait:
il n'y a qu'une mère qui sache repasser les chemises (pas la petite
bonne espagnole). Les costards étaient alignés dans le dressing: deux
ou trois chevrons, tweed... le Frigidaire était plein. Depuis tout est
perdu. A la rue. Obligé de se battre pied à pied, faire son steak; même
en famille... Mais quand même, on se souvient, de quelque chose, qu'on
pose, près du lit, d'une Lumière...
LIBÉRATION
-L'épisode le plus sordide de tes périples à l'étranger ?
G.M.
- Migraine à Cotabato.
LIBERATION.
-— « Belliou-la-Fumée, Croc-Blanc»... «Carthage et ses éléphants »:
évocation.
G.M.
- Petite enfance chaude au fond d'un drap avec la lampe du frère devant
ses devoirs. L'âge des loups.
LIBÉRATION.
- ll y a un certain sadisme dans Matrice : les camions sont broyés, les
mains d'enfant écrasées, la nuque du père brisée, les filles violées
dans la cave par les gamins du square...Refrain: « Ça saigne encore.»
G.M.-
0/20. Pas sadisme: réalisme.
LIBÉRATION
– Qu’est-ce que tu te dis dans la glace, en te rasant chaque matin ?
G.M.-
Ça fera l’affaire
LIBÉRATION
– Un jour, tu as volé quelqu’un : raconter
G.M.
– J’avais dix ans. Marché aux timbres. C’était pas voler mais presque
(toute forme de profit, c'est du vol). Je vendais des dentelés, des pas
dentelés… J'en sais plus rien. Porte-monnaie plein à craquer de pièces
de un franc. Ça m’a fait tout drôle, comme dans les rêves: on ramasse
des billets par terre. Là c'était réel. J’ai découvert la
puissance de la parole; convaincre: l'arme absolue.
LIBÉRATION-
Gérard Manset en 2000.
G.M.
—Pitsanulok.
LIBÉRATION.
—Mou, inflexible, inspiré, déçu, révolté, malade, cynique.
Élu:
un mot pour te résumer.
G.M.
— Incompressible.
LIBERATION-
Juste avant l'Exil, au hasard: décrire succinctement la naissance de la
chanson.
G.M.
—Rien de particulier. Arrivé le matin avec le goût du crème en bouche,
retenir l’inspiration qui suinte - éjaculation précoce —, écrire sur un
genou, à chaque feu rouge, quelques mots tout en cherchant à les garder
intacts jusqu‘au quatrième étage; ouvrir la porte d'un coup de clé,
nerveux, habillé, debout, le téléphone sonnant, ne sonnant pas,
balancer sur la K7 le bout de mélodie et surtout, surtout ne pas
toucher le moindre instrument qui ferait fuir tout ça... Banal jusqu'au
miracle tant attendu: en l’occurrence «on se retrouve comme on est né »
avec la 5/4 (un temps de trop), qui provoque le « on » sur l’accord de
majeur... etc… (pour initiés).
LIBERATION.
-Ton plus vieux souvenir? Le plus proche de la Matrice d'où tu viens ?
G.M.
- Scatologique et ensoleillé.
LIBERATION
- Citer un texte poétique non mis en musique.
G.M.
- Avec plaisir (Fouilles, négociation, extrait).
«
Voilà, la porte est dégondée
Il
faut continuer à vivre
Debout
quand même et pourtant ivre
Sanglant,
tordu, roux agité
Comme
la viande que l'on livre
Sur
son étal, rejetée. »
Matrice,
de Gérard MANSET.
LP/CD/K7,
Pathé Marconi.
Rappel:
Royaume de Siam, roman, Aubin.
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PLAISIRS SOLITAIRES
« Pourquoi il y aurait de l'espoir ? L’animal artistique n'a plus de raison d’être aujourd'hui ».
Paru dans Rock&Folk N° 269 (Décembre 1989) par Gloomy Thomas
«
A quoi ça sert d'écrire « c'est le meilleur » ? On ne croit plus à
rien....Je pense que les gens normaux d'aujourd'hui NE CROIENT A RIEN
de ce qu'on leur enseigne. »
Qu’est –ce que c'est que ce Manset-ci
? Qu’est-ce qui justifie chez cet individu un tel succès (d'estime)
régulièrement ressassé par une poignée d'irréductibles journaleux ? L’«
enfant chéri » en question ressort aujourd'hui de sa matrice pour
enfanter lui-même un album pareillement nommé (« Matrice »)... Alors se
pose une question : qu'a-t-il à dire aux gens de notre génération
(nous, les vingtenaires) ? Comment compte-t-il s'y prendre ? En bref,
est-il rock ou variétock ?
L'UNIQUE
R & F - Lorsque tu fais un album comme « Matrice », t'adresses-tu à ceux qui te suivent depuis le début ou aux novices ?
Gérard
Manset- Il y a les deux. D'abord, bien sûr, je m'adresse à un public
qui est là depuis onze ou douze albums, mais ceux qui ont vingt ou dix
ans aujourd'hui passent par les mêmes méandres au même moment de leur
vie, donc ils auront une certaine nécessité d'aborder ce matériel
musical qui est unique... Unique parce que la façon dont je travaille
est un anachronisme dans la musique, je ne m’attache pas simplement à
quelques initiés, -je ne refuse pas le grand public mais je m'en méfie.
C'est la démagogie actuelle de croire qu'un produit, parce qu'il
contient des qualités, peut plaire à tout le monde.
R & F - Est-il nécessaire d'évoquer ton passé pour faire connaître ton nouvel album ?
G.M.
- Celui-là non. Je crois qu'il est assez large, triste mais large. En
résumé, à partir de l'adolescence, au moment où on commence à avoir
faim de choses, si on attrape cet album dans les conditions normales de
silence et qu'on écoute quelques titres, on ne peut pas y échapper.
Sauf, si on n'aime pas le timbre de voix... C'est comme la littérature.
On peut passer des années à côté d'un ouvrage et un jour on l'ouvre, et
on est pris. C'est une dépendance normale de l'art.
R & F - Est-ce à chaque fois le énième album de Manset
G.M.
- C'est toujours le énième. Beaucoup aimeraient que ce soit le premier,
mais je suis auteur-compositeur-orchestrateur, je touche à tout... Je
sais précisément ce que je veux.
R & F- Tu avais pourtant une fois déclaré que tu aimerais justement ne pas faire encore un nouvel album de Manset.
G.M.
- Oui, j'aimerais... mais là on entre dans un trip musicien. Ici on est
au pays de l'accordéon, c'est Jacques Brel, l'expressionnisme
pleurnichard de la langue française, et quoi qu'on fasse on n'en sort
pas... Alors j'ai cette chance inouïe d'être complètement acculturé.
Cela pourrait être stérile mais ça ne l'est pas parce que ça m'a mené
sur d'autres voies artistiques. Tout à fait honnêtement, je suis
quasiment le seul à avoir en France des textes rock, qui soient
l'esprit du rock.
R & F - Qu'entends-tu par « esprit du rock »?
G.M.
- C'est Bob Seger, le pur et dur, c'est martial comme démarche. Regard
droit dans les yeux. Par exemple, un texte sur l'album comme « Avant
l’exil » est un texte rock à 100 %.
R & F - On dirait que tu
cherches à obtenir une crédibilité rock pour te placer en marge de ce
ghetto français dont tu as parlé.
G.M. - Le ghetto musique
française j'en suis exclu depuis pratiquement le premier jour, je ne
peux pas y entrer. Il est hors de question de me mélanger avec tout ça.
Ce n'est pas de la prétention, c'est une question de bon sens
élémentaire.
R & F - Tu affirmes donc une personnalité rock pour te démarquer de tout cela ?
G.M.
- Je n'affirme pas non plus volontairement une personnalité rock. Je
dis que, par analyse, s'il y avait un qualificatif que je pourrais
donner à la moitié de ce que j’ai sorti comme matériel, ce serait
l'esprit rock. Attention, je ne dis pas que c'est de la musique rock.
R
& F - La presse parle de toi en terme de mythe légendaire, secret,
insaisissable... N'est-ce pas un peu hermétique pour les non-initiés,
et en l'occurrence les jeunes ?
G.M. - C'est hermétique, et alors
? Quelle importance ? Les jeunes ne sont pas différents que les autres,
Heureusement que c’est hermétique.
R & F - Cela va peut-être repousser certains...
G.M.
- Cela les repoussera jusqu'au moment où ça ne les repoussera plus.
L'approche doit être normale s'il y a des qualités dans ce que je fais,
elles ne doivent pas être dilapidées. On n'y croit pas à la
vulgarisation... Je n'ai aucune velléité de célébrité. De
reconnaissance si, mais de célébrité je n’en ai rien à foutre. Je suis
né avec un truc… Des idées tout le monde en a, mais les artistes n'ont
pas l'inspiration. Ils sont complètement plats. Ils ont trois petites
conceptions autour desquelles ils tournent. C'est terrifiant. Je suis
l'auteur-compositeur par nature. On est tous accordéon mais il y a
quand même quelques auteurs-compositeurs et la spécificité de
l’auteur-compositeur c'est d'avoir à profusion du matériel qui sorte.
LE DERNIER
R & F - Il n'y a plus d'artistes ?
G.M. - Quelques égarés.
R & F - De l'espoir
G.M.
- Non. Pourquoi y aurait-il de l'espoir ? L'animal artistique n'a plus
de raison d'être aujourd'hui. Les gens veulent des images médiatiques,
quarante chaînes de télé avec des niaiseries vingt-quatre heures sur
vingt-quatre, et puis ils ne savent même plus ce qu'ils veulent. Le
jour où on reviendra à certaines formes d'exigence alors réapparaîtront
peut-être certains créateurs.
R & F - Tu te situes où dans tout ça ?
G.
M. - Moi, je me situe dans le compartiment des Rimbaud. C'est-à-dire
que je pense qu'à vingt ans, peut-être pas vingt ans, ça dépend des
gens, mais très vite on a tout fait.
R & F - Et maintenant ? Rimbaud au même âge, avec une jambe en moins
G.M.
– Non, faut pas comparer... quoique, je dis ça, j'en sais rien, je ne
connais pas assez Rimbaud. S'il y a quelqu'un à qui je pourrais bien
m'identifier, je connais bien le détail de sa vie, de son caractère, de
sa démarche, ce serait plutôt Gauguin... Trouver le sauvage qui est en
nous, voilà la démarche. Le Saint-Thomas ultime, le doigt dans la
plaie.
R & F - Cri primal ?
G.M. - Oui, on en revient à «
Matrice ». Effectivement. En plus Gauguin qui se défend de toute forme
de niaiserie, de poésie, d'abêtissement, i est quand même très rugueux,
très rock, on en revient toujours à la même chose. Gauguin à la limite
c'est très rock, très martial comme démarche. C'est totalement
hermétique à toute influence, conditionnement, y’a ce bon sens qui
prime. Totalement asocial,….et le rock est asocial.
LE SOLITAIRE
G.M.
- Mon univers ne se borne pas uniquement à la musique, je fais des
expositions de peinture, j'écris des bouquins, je suis photographe...
Tout un contexte artistique global qui fait aussi partie de la légende.
Le paysage est rare, on en montre peu mais il est large.
R & F - Mais, pour beaucoup, Manset c'est quand même avant tout du disque...
G.M. - Oui, parce que c'est là où j'ai le plus produit, et puis c'est la découverte la plus rapide.
R
& F - Question disque, l'ensemble de « Matrice » n'engendre pas
vraiment la bonne humeur... Ce n'est pas un peu trop pessimiste ?
G.M.
— On en revient toujours à la même chose : rien ne se fait sans
douleur. Et si on est dans le domaine artistique ou littéraire, c'est
un leurre de vouloir faire croire que les choses sont simples.
R
& F - Mais il existe aussi la méthode Ionesco consistant à prendre
le moche pour le tourner en ridicule...
G.M. - C'est vrai, mais ça ne
tient pas le choc. A vingt ans c'est amusant, c'est Boris Vian, c'est
Gainsbourg. Tout ça c'est bon à jeter au panier. Je ne dis pas que
Ionesco c'est illisible mais, à un moment, il faut arrêter de faire des
farces. Je devine où il y a supercherie, je suis quand même de l'autre
côté de la barrière. Boris Vian, je sais ce qu'il y a dans « L'écume
des jours », Gainsbourg je sais ce qu'il y a dans un texte sur deux.
C'est bien d'avoir vingt ans mais il faut pas tout mélanger.
R & F - Penses-tu que, mettons dans un siècle, on parlera de toi comme, par exemple, de Brel ou de Brassens ?
G.M.
— Brassens était un petit poète qui a fait des petits pseudo-sonnets.
Lui-même, d'ailleurs, a toujours dit qu’il se demandait pourquoi on le
regardait avec de tels yeux…Brel a écrit vingt chansons dans sa vie,
peut-être un peu plus que ça, mais Brel n'est pas du tout le phare pour
moi... Il faut faire très attention aux exemples que l’on prend. Il a
été entre les mains de quelques oiseaux du show-biz... Là où il n'y a
pas d'analogie possible, c'est que je suis hors show-biz.
R &
F - Ce qui est pourtant paradoxal c'est que les gens qui ne connaissent
pas bien Manset se souviennent uniquement du tube « Il voyage en
solitaire ». C'est pas du show-biz ça ?
G.M. - Encore une fois,
c'est bien d'avoir vingt ans, mais il faut quand même des distinguos.
Je ne sais pas si tu joues volontairement l'imbécile... je t'ai parlé
de différents publics, y a toujours des choses qui échappent, qui sont
interprétées. C'est une première lecture, ça disparaît, il n'en reste
rien. C'est la queue de la comète. Mais c'est sûr qu'il y a des gens
qui ne connaissent que ce titre.
R & F - Ce sont ceux-là qui vont lire l'interview...
G.M. - Mais non, ce n'est pas vrai. Ceux qui ne connaissent que ce titre n'ont jamais acheté ou lu « Rock & Folk ».
R
& F - Ceux qui sont attirés par les couvertures de « Rock &
Folk » ne connaissent pas forcément Manset
G.M. - Alors ils ne
connaissent pas du tout, mais ne dis pas qu'ils connaissent un titre.
R & F - C'est un titre que j'ai écouté étant gosse, que tout le monde a dû entendre.
G.M.
- Non, pas tellement. Ce n'est pas moi qui en rajoute. Le «
Solitaire » est beaucoup passé en radio, beaucoup de gens l'ont eu
entre les mains, mais uniquement le 45 tours. C'est le seul 45 tours
que j'aie jamais sorti, ça on n'en parle pas, c'était il y a quinze
ans, ça a été une parenthèse dans la production que j'ai pu faire…On ne
fait pas l'interview sur cette catégorie de clientèle. Ils ont le droit
d'avoir acheté « Le Solitaire » mais ce n'est pas à eux que je
m'adresse, je m'adresse à ceux qui ont deux, trois, cinq albums ou à
ceux qui n'en ont pas…
Que les enfants de ceux qui ont acheté « Le
Solitaire » délibèrent selon leurs propres critères...Qui lui jettera
la première pierre ?
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L'ÉVADÉ DE L'INUTILE
Par Philippe Barbot (Télérama N°2080 du 22/11/1989)
Il
avait dit qu'il partait. Tristesse des fans. Quatre ans après il
revient avec «Matrice », un album réaliste, couleur banlieue. Les fans
applaudissent ils peuvent. C'est du très bon, du très grand Gérard
Manset.
Allez, on s'en doutait. Le jour où Gérard Manset,
évadé de l'inutile, a annoncé, dans les colonnes de Télérama qu'il
faisait ses adieux à la chanson, les journalistes que nous sommes,
avions transmis le faire-part. Mais les fans fidèles que nous
demeurions, pressentaient bien, qu'un jour ou l'autre, l’homme qui n'a
« rien à raconter » reprendrait la parole. Aujourd’hui, après quatre
ans d'un « silence » ponctué d'un roman, d'un recueil-photos (1), d'une
expo de peintures et d'un nettoyage au laser de sa discographie, c'est
chose faite : le nouvel album s'intitule Matrice. Du pur Manset, épuré,
ramassé, massif, imparable. Sept chansons (cantiques ?) aux rimes
denses, implacables. A la poésie laconique et brutale, condensé, ciselé
de toutes les obsessions du personnage : l’enfance, la solitude, la
nostalgie, la fuite, la vacuité.
« On se retrouve comme on est né,
à nouveau dans un monde de damnés », scande le fuyard retrouvé, dans un
album qu’il annonce réaliste. Pas d'exotisme en chambre d'Asie, pas
d'esquifs frêles, de ponts de lianes, de crabes en atelier. Mais les
fantômes des filles des jardins d'antan, aux yeux « comme de
petits lacs ombrageux ». Mais les farouches enfants de Banlieue Nord, «
sous la grande lumière des parkings déserts ». Mais les regards nobles
et résignés d’Avant l’exil « dans le bruit des trains qui
défilent ». Avec, au milieu de ce disque amniotique, comme des cordons
ombilicaux, deux chefs-d’œuvre immédiats : Camion bâché, un hypnotique
voyage nocturne, sorte de prière routière pantelante et inexorable, et
Toutes Choses, l’un des plus beaux textes de Manset l’ascète, tout de
rigueur et de concision évocatrices. Musicalement, l’« arête de poisson
» mélodique chère au compositeur de Y’a une route, s'est épicée d'un
bouillon de guitares, de cordes, de claviers. Peut-être le disque le
plus orchestré de l'ermite minimaliste.
« Renvoyez-nous d’où on
vient, d'où on est né, d’où on se souvient », supplie Manset,
fatalement fœtal, dans la chanson Matrice. Résurrection ou retour à la
case départ ?
- Il y a quatre ans, presque jour pour jour (2),
vous annonciez dans ce journal votre décision d'abandonner le disque,
la chanson. Qu'est-ce qui a pu vous faire changer d'avis ?
- Je
n'ai pas changé d’avis ! Quand j’ai dit « j'arrête », j'ai
effectivement arrêté. Mais quatre ans, pour moi, c'est une vie, une
éternité. Pendant tout ce temps, j’ai reçu régulièrement du courrier,
des coups de fil de gens qui ne voulaient pas croire que c’était fini.
C’étaient des sollicitations patientes, calmes, résignées. Comme un
enfant auquel on dirait dix fois, d'un ton égal, ni méchant ni sévère :
« Non, tu n'auras pas ce bonbon. » Il tend la main et on le lui
répète. Alors, il se résigne. A ce moment-là, on est dans la situation
où on peut décider de lui donner : on se sent touché, presque attendri,
en situation de faiblesse. C'est un peu ce qui s'est passé pour moi.
-
Pourtant, vos griefs envers la société du spectacle, du show-business,
n'ont pas changé…
- Pour être honnête, je dirai qu'il y a eu un
calcul de ma part, tout à fait élémentaire : provoquer, réveiller un
sentiment de culpabilité. Ça n'est pas du nombrilisme, juste une petite
forme d'expérience que je pensais pouvoir mener : certains vont-ils
réagir, en voyant s'arrêter quelqu'un qui a tout pour lui ? Après tout,
je suis l'enfant chéri du showbiz je travaille seul, avec des budgets
normaux, je fais tout de A à Z, je suis le maître d'œuvre absolu, j’en,
tire tous les plaisirs et toutes les difficultés. Personne, à ma place,
n'aurait arrêté ! Mais ma décision n'a rien remis en question. J’aurais
aimé que cela suscite des vocations, être l'instigateur d'un mouvement
de démission. Mais ça n'a rien réveillé dans les consciences. Il y a
toujours cette fuite en avant, les gens veulent être plus connus,
réussir davantage, gagner plus d'argent, se montrer encore plus...
- Ce nouveau disque, vous le prépariez depuis longtemps ?
-
J’y ai réfléchi soigneusement. J'ai viré des chansons pour les
remplacer par d'autres, changé des mots, retiré quelques phrases. J'ai
pris mon temps. Sur le plan technique aussi : pour la première fois de
ma vie, refait certains mixages cinq ou six fois. J'ai repris le
parcours du combattant. Sur les albums précédents, je m'attachais
surtout à deux ou trois titres auxquels je croyais davantage. Sur ce
disque, j’ai accordé une importance égale à chaque chanson. C'est
peut-être un tort : l'arrivée, ça peut donner des choses trop denses,
trop fournies, trop orchestrées.
- Ce qui frappe, c'est la quasi omniprésence des guitares électriques. C'est du Manset rock ?
-
Les guitares, ce sont celles d'un ami, Mike Lester, l’un des rares
préservés que je connaisse, l'autre étant Jean-Louis Aubert. C'est
quoi, pour moi, l’esprit rock ? Une démarche solitaire et martiale, de
propreté morale et mentale, qui ne relève pas seulement de la musique :
c'est la première marche de l’escalier, mais pas la plus importante. Il
y a des tas d'instrumentistes qui connaissent tous les plans du rock,
mais à quoi ça sert ? Pour moi, l’essentiel, c’est le texte. Il y a
très peu d'auteurs en France qui ont un langage rock.
En ce sens, je suis peut-être l’unique ou l’un des rares…
-
« D'une époque à vomir, l’histoire dira ce qu'il faut retenir.. » Vos
textes semblent plus sombres que jamais... - C'est vrai, ils sont assez
durs. C'est un album réaliste. Mon propos n'est pas d'effrayer les
gens, de les détruire, de les faire souffrir. Ce qui m'intéresse, c'est
le hasard d'un mot ou deux, qui frappent au cœur de la cible et peuvent
réveiller des choses enfouies, dérangeantes. Comme au cinéma, on peut
très bien somnoler pendant une heure et demie, et puis, d'un seul coup,
il y a une image, une scène... Alors on regarde si les voisins nous
regardent, on se demande si on est bien à sa place ce qui a pu nous
bouleverser à ce point. Plus ça va, plus je fais attention. Mes textes
se rattacheraient plutôt à l’expressionnisme vasouillard et
pleurnichard de ce qui est l’apanage de la littérature française mal
assimilée, mal maîtrisée. Ça, je m'en méfie comme de la peste. Entre
une bonne chanson qui nous touche, disons certaines de Brel, et une
autre, dans le même registre mais complètement insignifiante, la marge
est mince : parfois, c'est trois mots. Le seul garde-fou, c'est de ne
pas quitter le rail rock. Ne pas perdre de vue la rigueur du rock.
-
Des chanteurs comme Francis Cabrel ou Jean-Louis Murat font référence,
plus ou moins explicitement, à votre œuvre. Pensez-vous que vous avez
influencé certains artistes ?
- Je pense que c'est une mauvaise
interprétation de leur part. Cabrel et Murat ont sans doute la même
source d'inspiration que la mienne, mais ça n'a rien à voir avec le
fait que je sois venu avant eux. Cabrel est certainement celui que
j'estime le plus dans le métier du disque. Mais disons qu'il est plus
soft que moi, plus écolo. C'est normal, il vit à Astaffort, il n'est
pas au cœur du truc, dans le creuset. Moi, le matin, je suis à six
heures dans un bistrot d'une des portes de Paris, au comptoir, avec mon
crème. Souvent, je prends la ligne banlieue nord, St-Denis,
Aubervilliers, Gennevilliers. Quand je suis à Bangkok, c'est pareil,
c'est encore banlieue nord, pas Astaffort... A la limite, j'aimerais
bien être comme Cabrel, aussi simple. Mais me comparer à lui ne ferait
que conforter le constat d’échec que j'ai déjà fait : il vend des
millions d'albums, moi dix fois moins. Si, en plus, il s'inspirait de
moi, alors ça voudrait dire que je ne suis pas très malin…
- Allez-vous continuer à refuser obstinément de paraître à la télé, de faire de la scène ?
-
C'est toujours le même problème. Je suis passé une fois à Nulle Part
Ailleurs pour parler de mon bouquin, comme je l'aurais fait chez Pivot,
s'il m'avait invité. De même, j’accepterais d'aller chez PPDA ou
Dechavanne dans le même but. Mais chanter devant une caméra, en
playback, non ! La scène, c'est pareil. J'ai essayé, j'ai tenté
quelques expériences de répétitions. Ça a toujours été à vau-l'eau,
parce qu'il n'y a pas de responsable. Quelqu’un pour vérifier que tout
le monde a son ampli, est là à l'heure, pour s'occuper de la bouffe,
des notes de frais_ Si je rencontrais un tourneur, un manager qui soit
capable de prendre en charge un cas comme le mien, alors, bien
évidemment, je ferais de la scène. Mais j'ai assez de problèmes à
maîtriser mon propre travail. - Le Manset futur, ce sera quoi ?
-
J’ai déjà publié un livre, puis un autre de photos. C'est ce à quoi je
me destine. J’écris un peu tous azimuts, je sortirai mes textes un
jour. En fait, je ne reviens pas vraiment au disque, mais plutôt à une
forme d'expression littéraire. Par exemple, je ne referai jamais des
chansons « faciles » comme L’Atelier du crabe ou Marin' Bar. Dans mon
album, il n'y a pas une seule phrase qui s'apparente, de près ou de
loin, au métier du disque. Si je fais un retour, c'est dans une autre
activité : désormais, je concevrai un album comme d'autres un roman.
(1) Royaume de Siam et Chambre d’Asie éd Aubier.
(2) Télérama n° 1867, 23 octobre 1985.
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GÉRARD MANSET
LE CISELEUR DE MOTS
CHAQUE TEXTE DE SON NOUVEL ALBUM A ÉTÉ TRAVAILLÉ AU SCALPEL, POUR
TRANCHER AVEC UNE ÉPOQUE À VOMIR
PAR PHILIPPE TRÉTIACK - 25/12/1989 - MAGAZINE ELLE N° 2294
Des
murs nus, une moquette beige. Sur un lit, une guitare sèche
abandonnée, plus loin un piano. Pâle lueur. Sur un bureau,
trois Nikon el des photos, toujours les mêmes. Gérard Manset
flou, frôlé, masqué, manqué. Là-bas, dons l'autre pièce, un ordinateur
et des murs éclaboussés de langues de terre, cartes de Thaïlande et de
Malaisie, royaume de Siam qui fut site hypnotique, lieu et titre phare
d'un de ses treize disques, mais aussi de son unique roman.
A 44
ans, ce solitaire est déjà dans la légende.
Incertain, impalpable, inclassable, il est pourtant devenu
indispensable à ceux qui l'ont croisé. Sa présence, affirmée en creux
depuis 1968, ne les quitte plus. Elle se maintient, empreinte fragile
comme sa voix, étrange, chevrotante, métallique. " Comme Serge
Gainsbourg, dit de lui l’écrivain Michel Braudeau.
Il nous hante de son vivant. - Beau compliment spectral. J'aurais préféré Léo Ferré, mais c'est ça, hanter ...
...
Ça. Des textes, des notes, un travail de ciseleur et la fuite, une
falaise de renoncements... J'exige de mes contacts avec la presse
qu'ils soient au moins personnalisés. Radio, interviews d’accord, mais
pas de télé. La presse féminine, oui. Je manque d'échos dans ces
magazines-là, Dommage, car si le côté cérébral de mes titres a déjà
séduit le public masculin, l'aspect viscéral serait plutôt destine aux
femmes. Elles sont directement concernées par ce qui est «
Matrice » (titre du dernier album), par l'écoulement des sens. Et
celles qui sont attrapées par mes textes le sont comme des mouches,
prises dans la glu, ailes et pattes. - Pattes, chair, os,
sang, Manset n'en finit pas de s'affronter au corps,
d'en creuser l'épiderme, de s'attaquer â la peau.
C'est sa danse du scalpel, comme chez Rimbaud .et les
autres. Poète ? Assurément, miné d’introspection, d'amour et de
dégoûts. Dans les bons moments, Gérard Manset, visage dur, lèvres
acérées, regard froncé sous des lunettes noires, la silhouette en jean
un peu courbée, tendue pour éviter les crachats
« d’une époque à vomir », s'éclaire, respire. Dans les mauvais. Manset
charrie des étals de boucherie, des brouillards et des bombes ..... «
Poète? D'accord. Mais certainement pas chanteur ! Baladin,
troubadour…à la rigueur. Je trouverais cela léger, mais ça irait. Mais
pas chanteur. Quand on voit tous ces artistes bas de
gamme faire des disques d'or ! » "Scandalisé. Manset le fut au point
de se taire, d'attendre que son avant-dernier
album, « Lumières », ait dépassé les 85 000 ventes. Aujourd'hui c'est
fait. « Et sans Olympia ni « Sacrée Soirée » ... Je
pourrais faire de la scène ou des tournées. Je
gagnerais cent fois ce que je gagne aujourd'hui. Mais mon
problème n'est ni la popularité, ni l'argent. Je n'ai pas de Ferrari,
pas de Porsche. Le seul moment où je me sens riche, c'est quand je
prends un crème et un croissant avec mes vingt balles. Et ça, c'est
chaque matin. « Philosophe? Non, essentiel. Manset est un créateur, un
artiste authentique. Ses angoisses sont celles de la
ligne à écrire, de la phrase à boucler. « Pour les chansons
c'est facile, c'est toujours parfait. Je pourrais faire un
album tous les trois mois. Mais pour les romans ! Ecrivain ? Je le suis
plus que d'autres, mais moins que certains… Voilà, c'est
comme cela que je travaille. Je dis des choses précises et chacun
peut y mettre ce qu’il veut. » Excellence de Jésuite, de
mystique solitaire que seule l'authenticité soulage.
Mouvement furtif. Manset sort son calepin et note «
l'authenticité soulage ». Il notera' encore « œcuménisme parfait », «
simplement légitime », des mots lâchés par hasard.
A l'affût toujours. « J'ai beaucoup chassé au
marais. Le nez dans la vase à attendre le gibier. On s'enterre.
C'est pénible, on est mal. Soudain tes points sont là
qui foncent sur vous, passent juste au-dessus de votre tête.
Faut pas les rater. Les mots, les idées c'est pareil. Faut être sur la trajectoire.
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Manset par Jean-Luc Delarue
Sortie de l'album Matrice, Émission Système D,
Europe 1 (1989)
-Jean-Jacques
Goldman aurait dit : « il marche seul », Gérard Manset dit : « il
voyage en solitaire », chacun a son truc, lui, c'est plutôt la poésie.
Et
Gérard Manset justement, celui qu'on ne voit jamais, sera notre invité,
pile après vingt heures, sans cagoule, à visage découvert, donc je vous
conseille de ne pas rater ça. Et puis dans un instant, juste après ça,
top système D pas top cinquante, système D parce que Gérard n'est pas
très top cinquante, on peut dire ça je pense…
-Je n'ai rien contre,
mais en deux mots, n'ayant quasiment jamais sorti de quarante-cinq
tours, c'est un domaine qui ne me concerne pas…
-Est-ce qu'on peut tout de même écouter ces chansons séparément ou est-ce qu'elles sont faites pour être écoutées bout à bout ?
-Non,
non, non, On peut bien sûr les écouter séparément, mais ça veut dire
que je ne concède en rien au temps de chacune d'entre elles et à
l'enchaînement qu'elles peuvent avoir, enfin les résonances. Ce qui est
très important, c'est qu'il y a des titres, si on les écoute seuls,
qu'on peut interpréter d'une certaine manière, et le fait qu'ils
viennent en vis-à-vis, avant, après d'autres, on ne les entend plus de
la même manière.
- Alors, je le dis assez souvent dans cette
émission, c'est un album qui est actuellement, depuis deux ou trois
mois, numéro un dans ma chambre…
-C’est bien…
-Déjà numéro un quelque part…
-Voilà…
-La
première chose que je…, enfin la seule chose que je lui reproche à cet
album, je trouve qu'il manque de chansons un peu, il y en a que sept.
Elles sont assez longues, mais il y en a que sept. Je crois savoir
qu'au moment de l'enregistrement, c'était l'été dernier…?
-L'année dernière, oui.
-Bon,
disons la décennie dernière, alors, carrément, il y a eu d'autres
chansons qui ont été écrites et enregistrées et qui ne figurent pas sur
cet album. Je voudrais savoir quels sont vos critères de choix ou quels
ont été vos critères de choix.
-D'abord, en général, je
fais, j'essaie de faire deux albums en même temps. Donc il y en a un
autre qui n'est pas terminé mais dont l'essentiel est fait. Alors, au
fur et à mesure se dessinent les titres qui peuvent aller ensemble.
Là,
il se trouve qu'au tout dernier moment… d'abord sur le nombre de
titres, il y en a sept. C'est à mon avis largement suffisant
parce que d'abord, il y en a un qui fait onze minutes, c'est camion… «
Camion bâché », donc il fait au moins deux ou trois titres
conventionnels. Et on est quand même tenu, pas sur le compact mais
encore sur le vinyle, à un certain nombre de minutes par face…
-D’accord…
-Donc,
j’ai deux faces de vingt-trois minutes, on ne peut pas mettre plus.
Alors effectivement, on pourrait mettre un bonus sur le compact, un
huitième titre ou quelquefois un neuvième titre. Moi, je ne pratique
pas ce genre de choses pour l'instant. Jusqu'à ce que ça
change…puisque bientôt, on ne fera plus de vinyle ; tant qu'il y a
encore du vinyle, je fais la même configuration sur le vinyle que sur
le compact et sur la cassette… - Alors que d'autres mettent des bonus…
-
Voilà. Alors d'autres mettent des bonus parce qu'ils ont des
producteurs qui mettent des bonus, ils ont des sociétés phonographiques
qui mettent des bonus. Plus il y a de bonus, plus il y a de
configurations, plus ils peuvent ramasser un peu d'argent par tous les
bouts. C'est pas tout à fait mon propos. Moi, je sors un produit comme
un auteur et j'essaie qu'il soit conforme à l'idée que j'ai d'un
produit qui doit sortir, voilà…
-Qu'est-ce que ça vous apporte de faire deux albums en même temps? Ça vous oxygène ou c'est simplement par souci d'économie?
-C'est
ni économie, ni oxygène, c'est d'abord que c'est très pénible. Enfin,
il y a certains aspects plaisir, mais il y a beaucoup de… pas de
souffrance, c'est peut-être un bien grand mot… mais de difficultés,
d’entrer en studio et d'aller au bout d'un travail.
Donc c'est pas
plus difficile de faire vingt titres que d'en faire dix, et ça a un
avantage, c'est que ça me met dans un état, comment je pourrais dire…
j'espère toujours être porté par l'album que je sors, c'est ce qui se
produit en ce moment, mais si je n'avais pas le suivant quasiment prêt,
je serais tout à fait miné d'avoir à le concevoir et à l'entreprendre…
- Porté, ça a quelle signification pour vous?
-
Ça veut dire qu'on travaille… enfin, même moi qui… dont on pourrait
dire quelques fois que je fais peu de cas d'un certain, enfin d’un
public, c'est pas vrai. J'en ai besoin, comme tout le monde. Je n'en ai
pas besoin à travers la scène par exemple, c'est un regret, mais je
n'en ai pas vraiment besoin. Par contre, j'ai excessivement besoin
d’être admis, sinon suivi, sinon reconnu, admiré, j'ai quand même
excessivement besoin que le produit existe et qu'il circule. Donc
pour ça, les chiffres de vente sont nécessaires et tout est lié. C'est
un cycle comme ça, continuel de gens qui vous poussent parce qu'ils ont
aimé ce que vous faites et que vous êtes tenu à produire davantage.
J'avais
arrêté un certain temps, j'y reviens pour ces raisons-là. C'est parce
que je sais qu'il y en a qui ont besoin de ça, bon c'est aussi simple
que ça.
-Eh bien, prolonger le plaisir à la maison. Si vous voulez
parler de la maîtrise et de la matrice qui l'a fait dans un lit défait,
eh bien faites-le avec Gérard et vous-même, je vous offre l'album «
Matrice » de Gérard Manset.
Il existe en dix exemplaires au standard du système D,16-1 42 32 15 15 pour les albums, tout de suite…
Gérard
Manset, qui parlait ces dernières années de se mettre en réserve de la
musique, comme on peut se mettre en réserve de la République pour un
président ou un ex-président. C'est vraiment une phrase que vous avez
formulée, que vous avez dit dans ces termes très précis, je voudrais
savoir si réellement vous vous êtes mis quelques années en réserve du
monde musical... ?
- Oui, c'est vrai, bien sûr, si vous voulez là, j'avais une image qui me venait en tête. C'est l'image du pater familias.
Bon,
il y a un homme qui a… enfin ou un père, ça peut être un père qui a, à
s'occuper, à gérer une famille, des enfants, et ces enfants, il faut
les mener quelque part. Il faut sans arrêt être…, on est sollicité sans
arrêt. Il faut donc répondre à la demande. Et il y a un moment
effectivement, il faut arrêter parce que c'est trop prenant.
Et donc
il y a cette mise à l'écart, cette convalescence nécessaire, bon,
l'artiste enfin, entre guillemets, quel que soit le domaine artistique,
à partir du moment, encore une fois où il est absolument seul à
résoudre ces problèmes puisque je suis auteur, compositeur, producteur,
enfin, bon, on connaît l'histoire, je vais pas…, mais étant donc seul
face à ces choix systématiques, il y a un moment, ça devient très très
très oppressant.
Il faut arrêter, couper, changer de technique artistique…
-Faire un roman ou un recueil de photos….
-Voilà…
-Qu'est-ce
que vous ramenez justement, à part ce recueil de photos qui s'appelait
Chambre d'Asie, qu'est-ce que vous rapportez de vos voyages? En
solitaire ou pas d'ailleurs, est-ce que vous voyagez tout seul, comme
la chanson ?
- Je voyage… j'ai voyagé pratiquement pour la plupart
des… tout seul, mais quelques fois, il y a des itinéraires… des
itinéraires que je n'ai pas faits seul, mais en général le voyage, je
laisse un pan d'ombre s'écrouler sur le…
- Mais qu'est-ce que vous
rapportez à part ce recueil de photos, qui est en vente libre, à part
quelques chansons j'imagine, qui doivent vous venir dans des situations
particulières, qu'est-ce qu’il vous apporte? On dit que vous êtes un
grand mystique, par exemple. Est-ce que vous allez méditer dans des
temples? Est-ce que…
- Ah non, mais le mysticisme, ce n'est pas systématiquement ou obligatoirement méditer dans un temple.
- Ah, non…
-
Mais je crois que c'est vrai. Je crois que je suis effectivement
un grand mystique, mais on peut trouver Dieu n'importe où, tout au
moins, où… la prière peut s'exercer de n'importe quelle sorte, enfin,
bon…
- Vous la trouvez où, vous ?
- Ça, ce sont des choses sur lesquelles il est difficile de répondre.
Je ne pense pas que j'y répondrais, même si j'avais le temps… trop personnel…
-J'ai vu aussi que vous n'écoutiez pratiquement pas les autres, pour garder une espèce de fraîcheur artistique?
-
Oh, non, ce n'est pas vraiment pour garder. Je le regrette d'ailleurs,
même si peut-être que je n'ai pas le temps, enfin, j'ai tout mon temps,
hein, mais je bous d'une certaine forme d'impatience qui fait que, si
j'écoute quelque chose, j'ai, soit l'impression que je ferais mieux
d'être ailleurs, autrement, et de passer mon temps à autre chose de
plus constructif, soit que ça ne m'apprend pas grand-chose ou rien, ou
alors que le constat est encore pire, c'est à dire que ce que j'entends
me bouleverse, je trouve ça très bien et ça me donnerait plutôt envie
d'arrêter que de continuer, ce qui n'est pas tout à fait le cas
dans la littérature. Il m'arrive quelques fois, rarement, d'ouvrir un
livre et j'ai plutôt l'impression à ce moment-là, si ça m'intéresse et
si j'y reconnais énormément de qualités, de le connaître déjà, ça c'est
un autre problème, ce qui n'est pas le cas de la musique, hein, je n'ai
pas l'impression de la connaître déjà, mais soit elle m'émeut et ça me
ferait plutôt reculer, qu'avancer, soit elle me laisse indifférente et
j'ai perdu mon temps.
-Vous savez que Francis Cabrel et
Jean-Louis Murat sont fous de vous, pas seulement de votre musique,
également de votre carrière, qu'ils qualifient à peu près tous les deux
de créatif et invisible, à la fois fromage et dessert, une carrière
qu'ils envient aussi parce que, eux, aimeraient parfois ne pas être
toujours sous les feux de la rampe. Alors, je voudrais savoir ; vous
n'aimez pas trop donner votre avis sur les autres, mais j'aimerais
savoir ce que vous pensez de leur démarche à eux, de leur travail. Et
si vous voulez bien vous exprimer sur ces deux artistes, Francis Cabrel
et Jean-Louis Murat…
-Oui, je peux essayer parce que je pense que de toute manière, j'en pense du bien des deux.
Donc je ne risque pas grand-chose, même si je déviais…
- Les chemins de traverse ?
-
Voilà… Murat. Je n'ai pas entendu ce qu'il a fait. J'ai entendu il y a
très longtemps des maquettes qu'il m'avait présentées puisqu'il était
question qu'on travaille ensemble, enfin que je travaille plus ou moins
avec lui. Mais, mon opinion aussi, sinon mon conseil, c'était qu'il
devait s'assumer tout seul.
Je ne crois pas que ça a été fait, donc
il a perdu très longtemps, donc je ne sais pas du tout ce que ça a
donné, mais il avait énormément de talent. En tant
qu'auteur-compositeur, il avait des textes remarquables et un univers…
bon, je ne sais pas du tout s'il ne s'est pas fourvoyé parce que j'ai
entendu des différents sons de cloche à son sujet, bon…
Mais
maintenant, en ce qui concerne Cabrel, lui n'est pas très très loin
d'avoir mené à la puissance dix ou cent, ce genre de carrière que je
mène, c'est à dire qu'il est quand même, on a beau le voir partout en
photo, quelques fois en tournée, il est quand même relativement dans
son trou. Et c'est à dire loin de Paris, c'est un peu le problème de
la… mais pas de l'exil, mais enfin de la province, et il accorde des
interviews quand il sort un album. Mais je ne pense pas que ce… qu’il
soit vraiment à la course d'une popularité comme ça, bon, elle lui
tombe dessus, c'est fantastique. C'est un million d'albums à chaque
fois qu'il ouvre la bouche, très bien pour lui, ça c'est très dommage
parce que…, enfin c'est très dommage, il y a des choses qu'on ne peut
plus retenir à partir de ce moment-là. Moi j'en fais dix fois moins,
donc si… et même pas tout à fait dix fois moins. Donc si demain…
-Ça va changer….
-… si demain… oui, mais il y a un juste milieu, il ne faut pas dépasser deux cents ou trois cents mille albums…
- Sinon on serait obligé d'aller…
-
Sinon on ne peut pas tenir personne. Les gens considèrent qu'ils ont à
avoir de vous certaines prestations que vous n'avez pas à donner. Bon,
on ne demande pas à un écrivain qui a vendu deux millions d'ouvrages,
enfin d'exemplaires d'un ouvrage, de chanter, à venir chanter son titre
mis en musique par Carlos ou je ne sais qui, bon….
- On peut
revenir sur « Filles des Jardins » ? Quels sont les deux, trois mots,
ou les deux ou trois phrases, qui font que, tout d'un coup, le texte
décolle et sort des banalités?
-Alors, par exemple, je crois que
c'est dès le départ. Dès l'attaque, le ton est donné qu'il y a une
différence : « Souviens-toi, c'était comme ça... » On est pris
quelque part à la gorge ou par la main, mais c'est déjà pas le ton
badin… Le mot est exact… ?
- Ah oui…
- Bon, alors, ça va…
- Ça va très bien. Vous pouvez m'en présenter deux ou trois comme ça, qu'on va écouter…
- Si je dois faire une critique…
- Oui…
-
Il y a un titre très difficile à réaliser. Je m'en suis à peu près
sorti, pendant très longtemps, j'ai cru que je ne m'en sortirais pas,
c’est « Camion bâché » celui-là est trop long, je ne pense pas qu'on
l'écoutera, mais enfin il existe. On l'a entendu dans d'autres
circonstances. On commence à l'écouter lundi, et vendredi, on aura
fini… à la fin du morceau…
- Par exemple…
- Il fait onze minutes, c'est ça?
- Voilà… Euh, à côté de ça, il y a un titre aussi qui m'a posé des problèmes, c'est « Banlieue Nord » …
-Ah ?
-
J'ai remanié certaines choses, j'ai retiré certaines phrases, qui est
très rare d'ailleurs, en général, je ne touche pas, je coupe dans la
chanson ou je m'arrange pour faire des manipulations, mais je ne
réenregistre jamais de titres. Ça ne m'est jamais arrivé. Je
préfère travailler sur des erreurs et construire dessus. Bon, alors «
Banlieue Nord », il y avait une certaine longueur, il y avait des
problèmes de… comme il y a toujours ce beat tout le long, c'est un peu
essoufflé et ça dure trop longtemps. C'est tout. Bon, ben, finalement,
au bout du compte…
- Une chanson qui est très observatrice. On dirait presque ...
- Oui descriptive…
- Descriptive, je veux dire, je remercie, chacun…on s'entraide. Vous savez que c'est en camping, il faut s'entraider.
- Bien sûr.
- Gérard, vous l'avez, vous l'avez écrite quand cette chanson « Banlieue Nord » ?
-
Je l'ai écrite, je ne sais pas, je n'en sais rien, il n'y a pas très
longtemps, ça doit être peut-être un an. Enfin, elle était au début de
l'album, alors qu'il y en a là-dedans, qui sont très anciennes. «
Camion » a peut-être deux ans, mais « Filles des Jardins » est assez
récente, « Exil », c'est la dernière, « Avant l'exil » dont je suis
assez content d'ailleurs. Et puis, qu'est-ce qu'il y a d'autre… «
Solitude des Latitudes », elle est très ancienne, elle a au moins six
ou sept ans. Je ne sais plus, bon, enfin…
- Les banlieues nord, c’est., enfin vous habitez en banlieue nord?
- Non, mais je sillonne, en général….
- Parce qu'il faut avoir vu pour raconter…
-
Oui oui non mais enfin oui, non mais attention, parce que là, c'est
quand même daté, C'est à dire que ce n'est pas la banlieue
d'aujourd'hui, hein…
Enfin bon, ça c'est des détails, c'est des
nuances. Mais enfin, l'évocation serait plutôt celle qu'on a
connue. Enfin, c'est une banlieue même pas idéalisée, mais enfin
c'est une image plus que d'un… bon, enfin…. C'est du descriptif
abstrait.
- OK merci beaucoup monsieur Manset, au revoir...
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