Gérard Manset : 

L'Origine du Monde /Manitoba (2008)

Chronic'Art 16/09/08

A 63 ans, encore méconnu du grand public, cet auteur, compositeur, interprète est une sorte de mythe vivant. A force d'anonymat et de chansons dures, lyriques et spectrales à propos de l'enfance, de la nature, des hommes et du paradis perdu, il a en effet forgé une œuvre digne d'un grand écrivain. A l'ancienne. Comme en exil. Hors humain. D'ailleurs ça fait des années qu'il a perdu son prénom et qu'on l'appelle juste "Manset". Depuis 1972, c'est ce mot qu'affichent gravement ses pochettes d'albums. Comme le nom d'un monde. D'un mont. Quelque chose d'immense, minéral et lointain qui marquera en profondeur nombre d'auteurs, compositeurs, interprètes majeurs d'aujourd'hui. Bashung, Murat et Dominique A, pour ne citer que les plus connus. Cet artiste, également peintre et photographe, je m'apprête à l'interviewer pour la 3e fois pour la sortie de Manitoba ne répond plus. Oui, ce sera notre troisième rencontre car je l'ai déjà interviewé pour la sortie de Le langage oublié en 2004 et celle d'Obok en 2006. C'est une chance et j'avoue que j'en garde une certaine fierté parce que comme vous allez pouvoir le voir je pense qu'il y a eu une vraie 'rencontre'.
 
Ce n'était pas gagné. Parce que lorsqu'on rencontre quelqu'un comme lui alors qu'on a que 24 ans et qu'on ne connaît pas l'entièreté de son œuvre, loin de là, on n'en mène pas large. Non, on a plutôt l'impression d'aller droit au casse-pipe. Qu'on ne va pas réussir à élever la discussion à un niveau intéressant pour notre interlocuteur. Et ça c'est fâcheux. D'ailleurs, j'y pense, comment en étais-je venu à m'intéresser à Manset ? Franchement, je ne sais même plus. Je me rappelle avoir emprunté La mort d'Orion (1970), Lumières (1984), Matrice (1989), Revivre (1991), La vallée de la paix (1994) et Jadis et naguère (1998) à la médiathèque. Qu'à l'époque son nom m'évoquait déjà vaguement quelque chose. Que ses pochettes de disques développaient un univers antique et sobre à la lisière du mysticisme et de l'ésotérisme et que ça me donnait envie de voir quelle musique ça pouvait bien cacher. Mais cette musique, finalement, je n'étais pas sûr d'aimer. Les textes et la voix me fascinaient mais sur les musiques j'avais un doute. Je trouvais ça un peu ringard, suranné. Or comme l'a si bien dit Bashung, "une chanson on y vient par la musique et on y reste par le texte". Là, c'était un peu l'inverse. Et c'est sur la foi de cette "beauté intérieure" que j'ai rencontré Manset, voulant sincèrement en savoir plus sur lui et son œuvre.
 
Le moins qu'on puisse dire c'est que j'ai été gâté. Et devinez quoi ? Moment culte de ma petite existence, off-record, j'ai même eu droit aux compliments de Manset. Oui, lors de notre deuxième rencontre, au bout de cinq minutes il m'a demandé d'arrêter le dictaphone pour me dire qu'il aimait beaucoup mes questions et les mots que j'utilise. Que tout ça allait dans le sens du message qu'il voulait transmettre et que ça venait de lui rappeler notre première rencontre, qu'il avait aimée pour les mêmes raisons. Entendre Manset vous dire ce genre de choses, je peux vous assurer que ça fait son petit effet. Mais ces compliments seront aussi le moyen d'acheter "son" silence. En effet, désirant par-dessus tout s'entourer de mystère et de silence, Manset me conseillera donc vivement d'écrire mon article en reprenant mot pour mot mes propos au lieu des siens. Il veut garder la main sur son image. Je le comprends : elle fait bloc avec l'œuvre. Mais je ne suis pas un communiquant, ni un fan. Je suis journaliste. Dans quelques minutes vous pourrez donc lire ses propos au lieu des miens.
 
Avant de me taire, à propos d'image et au risque d'égratigner le mythe, j'ajouterai une dernière chose : Manset n'est pas le colosse et ténébreux qu'on peut imaginer. En avril 2004, à Issy-les-Moulineaux où se situaient les locaux de sa maison de disques, Emi, c'est un vieil homme décontracté que j'ai rencontré. Un Manset "pépère" et limite "bonhomme", avec son sac sur l'épaule, sa chemise "bûcheronne" et ses yeux de chercheur d'or. Un Manset qui papote volontiers avec le personnel d'Emi, et met tout en œuvre pour qu'on retrouve les clefs de la grande salle de réunion du troisième étage où il compte nous emmener pour qu'on discute au calme. Comme à l'abri du monde. Lors de notre deuxième rendez-vous, il me conduira dans un lieu tout aussi "retiré" : l'arrière salle d'un salon de thé, en fin de matinée. Et je penserai alors aux propos de François Bégaudeau lus dans le Philosophie magazine de juin-juillet : "Un jour je me suis retrouvé avec Alain Finkielkraut sur le plateau d'une émission de télé qui se déroulait dans une boîte de nuit. A peine arrivé, il fit cette remarque : "Y'a du bruit ici !" Je me suis dit qu'une part essentielle de la sensibilité de Finkielkraut avait quelque chose à voir avec cette observation : il n'aime pas le bruit et, moi, j'aime le bruit, la foule. Sans doute cela gouverne-t-il nos opinions politiques ou philosophiques respectives." Et je penserai que Finkielkraut est comme Manset : pas très rock'n'roll.
 
Mais c'est justement ça qui me plait chez lui. Qu'il ne soit pas "rock'n'roll" alors que d'un point de vue générationnel tout était fait pour qu'il n'échappe pas à cette "révolution". Cela m'intrigue. Qu'il ne soit pas dans l'époque. D'un autre temps. Du coup lorsqu'on discute avec lui, on voyage, comme lorsqu'on écoute sa musique. On découvre ce savoir et ces pensées qu'on sent former comme une somme de wagonnets derrière lui. Ils lui tiennent compagnie. Manset repartira sac sur l'épaule, sifflotant, léger. Heureux d'avoir trouvé une nouvelle âme qui puisse fidèlement contribuer à l'expansion de son univers. Moi aussi je repartirai heureux, soulagé, l'esprit déroulant tout seul le début de mon article avec "nous" de majesté de rigueur : "Longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs âme royales siègent toujours en Manset. Pour la sortie de Le langage oublié, son 17e album en 36 ans de carrière, nous avons rencontré ce parent terrible de la chanson française, un artiste toujours engagé à produire une œuvre sombre et minérale, mais qui s'acoquine ici de quelques lueurs. Frais, dispo et fier de son œuvre, il nous a parlé, beaucoup, mesurant chaque mot, de lui, de Brel, de Ferré, de l'époque, de la création, de la mort de l'art et d'un mystérieux échiquier sur lequel il aurait sa place..." Manset a retrouvé les clefs de salle. C'est parti.


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16 septembre. 15h. Le 19e album studio de Gérard Manset est sorti hier. Dois-je préciser « studio » ? Manset n’a jamais fait de scène. L’ayant donc enfin reçu et écouté, je peux rencontrer l’auteur. Dois-je préciser « compositeur, interprète, producteur, photographe » ? Manset est Dieu et Dieu est autonome, autodidacte, omniscient.
L’interview était prévue à l’hôtel Raphaël, «un endroit stupidement grandiose, m’avait lâché l’attachée de presse. Mais bon vous connaissez Manset». Oui et son goût immodéré pour ne pas dire obsessionnel du calme, du silence, du retrait. Dois-je préciser qu’à l’instar de Thomas Pynchon, Manset est un des rares artistes de la modernité à avoir réussi à échapper aux écrans de contrôle médiatiques ? Dois-je préciser que du coup c’est comme s’il paraissait en dehors de toute modernité, comme s’il avait mis le pied sur la lune, comme si ses disques semblaient tomber du ciel comme des monolithes.
L’interview était donc prévue à l’hôtel Raphaël. Dois-je préciser «comme le nom du jeune auteur-compositeur-interprète à qui Manset a fourni quelques textes dont le très beau Etre Rimbaud ?» Mais au dernier moment, coup de fil. C’est finalement à l’hôtel François 1er, toujours dans le 8e, que je rencontrerai Manset.
16 septembre. 15h donc. L’hôtel est baroque à souhait. Hors du temps. J’attends dans le hall. A l’étage, dans sa chambre, Manset finit une interview. Le journaliste sort enfin et passe devant moi avec cet air pressé-hautain du type qui n’a pas obtenu ce qu’il voulait. Dois-je préciser qu’il s’agit sûrement d’un type des Inrocks ? Et voilà Manset. Furtive poignée de main. Nous empruntons un dédale de murs tapis de moquette rouge carmin et nous voilà enfin « in da place » pour parler de Manitoba ne répond plus. Et plus si affinités. Et affinités il y eut. Car dois-je le préciser ? Manitoba marque ma troisième rencontre avec le « maître ». Troisième leçon ? En quelque sorte oui. C’est qu’on apprend beaucoup en compagnie de Manset. On apprend à le connaître. A se connaître. On voyage aussi, comme lorsqu’on écoute sa musique. Quand j’écoute certains de ses morceaux (je pense, de tête, à Quand on perd un ami, C’est un parc, Amis, Dans un jardin que je sais, Le jardin des délices…), je suis face à mon cœur, ce qu’il en est, ce qu’il en reste, ce qu’il aspire. Je suis comme convoqué à ma mise en bière ou à ma renaissance. Bloqué, saisi, je ne peux qu’écouter, me laisser faire. Traversé par cette austérité, cette magie.
Tout cela me rappelle une chanson de Morrissey, "Come Back To Camden" sur "You Are The Quarry". Morrissey y parle de son immanente solitude, de son cœur et lui, de son désespoir et lui, de son corps et de son esprit emplissant toute chose.

Tranquillement installé dans la chambre d’hôtel baroque que son éternelle maison de disques EMI a pris soin de lui réserver non loin de son éternel 16e arrondissement, Manset joue toutes les 5 minutes avec son téléphone portable. Il tente de discuter d’un truc qui semble de la plus haute importance. Il s’agira en fait de pouvoir recevoir la version définitive de la publicité Manitoba pour la presse écrite. Et il finira par l’avoir entre les mains avant la fin de l’entretien. Manset galère à trouver du réseau avec son portable. Manset galère à se faire servir les pâtisseries qu’il avait commandées au room service. « J’avais dis des pâtisseries et ça ce n’est pas des pâtisseries, c’est des viennoiseries. Ah, le room service est fermé ? Je n’avais pas vu. J’espère que l’eau est bouillante. J’avais demandé de l’eau bouillante pour mon thé. » Et malgré toutes ces perturbations qui l’aident à reprendre ses esprits, tout en mordant dans ses toasts beurrés, Manset répond à mes questions.
Bonjour. J’ai l’impression que Manitoba est une sorte d’Obok bis, un album de chansons assez simples, terreuses, folky. Que ce n’est pas un album en réaction au précédent. Vous êtes d’accord avec ça ?
Oui, c’est toujours le même album qui continue. Tout auteur digne de ce nom écrit toujours la même chose. Brahms c’est Brahms de A à Z. Moi je suis dans mon trip.
Oui, mais parfois vous changez de parti pris musical. Celui d’Obok n’était par exemple pas le même que celui du Langage Oublié.
D’accord, là je comprends mieux la question. C’est-à-dire qu’après Le Langage Oublié on a commencé à me reparler de scène, c’est toujours le truc récurrent, j’y songeais moi-même et je me suis dis que j’en avais un peu marre des longs morceaux sophistiqués, de cette sorte de guimauve sirupeuse, alambiquée. Même si ce disque a bien vendu, j’ai commencé à comprendre que les gens n’étaient plus du tout dans ce wagon-là.
Vous pensez aux gens ?
Dans mon matériel j’ai des choses de toute nature, du complètement barré comme Comme un lego ou du sentimentalement évident comme Veux-tu ? Après Le langage Oublié je me suis donc dit que cette époque était terminée, que les gens avaient besoin de choses presque brutes. Alors dans Obok je n’ai pas mis que des choses brutes mais il y avait des textes comme Fauvette. Et avec ce genre de textes on est dans le concret
Là ce qui m’étonne c’est de vous entendre dire que vous vous préoccupez de ce que les gens veulent.
Le mot « veulent » est déplacé. Disons que je pense à ce qui pourrait les toucher dans ce que j’ai, à ce qui pourrait servir à quelque chose. Ça ne sert plus à rien d’être inintelligible. Il faut être intelligible. Je dois donc sortir mes morceaux les plus intelligibles : moins d’accords, moins de renversements, moins de constructions bordéliques. Dans Manitoba, j’ai encore un morceau qui a failli virer tordu mais je l’en ai empêché.
De quel morceau s’agit-il ?
G. Manset:"Genre humain". Il y a 3 changements de tonalités, 3 clefs différentes, mais le morceau fait 6 minutes. Il y a 3 ans il en aurait peut-être fait 8. Il y a 10 ans il en aurait peut-être fait 10. J’essaie de ramasser les choses. Parce que c’est fini les trucs à rallonge. Aujourd’hui Chateaubriand n’écrirait plus les Mémoires d’outre-tombe, il ferait un petit pamphlet de 50 pages et basta.
Il n’empêche, Manitoba démarre avec les 8 minutes 18 de Comme un lego
Oui, je garde toujours un ou deux morceaux très longs. Après Comme un lego a peut-être la grâce qui fait qu’on ne voit pas le temps passer. Sur Le Langage Oublié il y a 4 ans, il y avait Le langage oublié qui est un très beau morceau mais qui est interminable ! L’écriture est complexe, l’instrumentation compliquée ! J’ai encore des titres comme ça en chantier. J’en ai un absolument splendide, je ne vais pas donner le titre parce que ça me ferait trop de peine, mais voilà ça fait 8-10 ans que je me le traîne.
Une chose m’a étonnée sur ce disque : à l’époque du Langage Oublié vous disiez avoir tiré un trait sur l’exotisme en chanson. Or là, que retrouve-t-on ? Une ode à l’Amazonie, des chœurs gospel très vahinés, des nappes de claviers tropicales…
Je dois transpirer l’exotisme sans le vouloir. Tant mieux. Enfin tant mieux, je ne sais pas.
Un morceau comme Aux fontaines j’ai bu illustre bien votre envie de privilégier les morceaux plus directs. Il est très récréatif au point que le texte disparaît presque dans son immédiateté mélodique…
Oui, c’est vrai que c’est une sorte de petite tournerie, voilà.
D’ailleurs je n’ai pas trop compris de quoi parlait le morceau…
Ah pourtant j’ai l’impression que le texte est d’une clarté élémentaire. Donc même quand je dis des choses éminemment simples on ne comprend pas, c’est miraculeux.
Le seul sens que j’y vois est sexuel…
Il peut l’être mais ce n’est pas que ça, c’est plus universel que ça. (Il prend le livret, lit le texte en question: « Maintenant j’irai voir / Aux fontaines j’ai bu / Flaques roses ou noires / Etrange Malibu (…) Maintenant j’irai prendre / Du bout des lèvres / Sorte de scolopendre / Qui vous donne la fièvre. » Oui, oui, oui, je retire ce que j’ai dit. Ce n’est pas aussi clair que ce que je croyais. J’ai dû retirer des vers, comme à chaque fois que j’ai fini un texte.
J’ai l’impression que Manitoba est un disque qui parle beaucoup d’amour entre les hommes et les femmes, plus que vos précédents disques…
Je crois avoir toujours beaucoup parlé de femmes ou de filles dans mes albums. Vous dites peut-être ça en référence au morceau Quand une femme.
Non je pense plutôt à Dans un jardin que je sais , Genre humain et Le pavillon des Buzenval. Là vous ne parlez pas d’une femme dans l’absolu, c’est plus explicite, plus incarné. On a l’impression que vous revenez sur des histoires d’amours…
Oui, les années passant on a des souvenirs et voilà, aujourd’hui ça a plus de saveur d’y repenser et de les évoquer.
On repense à l’amant qu’on a été ?
Oui, on pense à l’amant qu’on a été. Et peut-être que je commence à être suffisamment sage pour pouvoir parler de l’espèce féminine. Oui, une sorte de sagesse. Je vois tout ça à très grande distance. Je compatis. Mais je crois que je compatissais aussi avant ! Le langage oublié n’est pas différent. Il serait dans Manitoba ce serait la même chose.
Néanmoins Manitoba semble moins « râleur » que vos précédents disques, comme si la compassion avait encore gagné du terrain et tout recouvert ou presque.
On m’a dit la même chose. Je ne me l’explique pas. C’est peut-être dû aux violons. Je ne les avais pas dans Obok, ce qui le rendait plus abrupte. Parce que sinon dans Obok il y a Jardin des délices qui est d’une compassion semblable.
Oui mais Jardin des délices parle du monde… A la différence de celle d’Obok et du Langage Oublié la compassion de Manitoba semble plus parler d’amour et moins du monde. En fait j’ai tout bêtement l’impression que Manitoba est un disque très autobiographique, que vous y montrer votre vrai visage : Gérard, l’homme.
 
GÉRARD MANSET : "Non, on m’a déjà fait cette remarque, ça m’avait interrogé. Mais étant au cœur du truc, je peux sincèrement dire que 99 % de cette impression vient de deux choses. Primo, du traitement musical. Dans Obok j’avais un batteur de 25 ans et je voulais qu’il frappe de manière monolithique, sans nuance. Donc j’ai tout construit autour. Or pour Manitoba j’ai eu Claude Salmiéri, un batteur plus professionnel et plus proche de ma génération qui a joué très finement, avec beaucoup de nuances. Parce qu’en fait à l’origine je voulais presque faire un album jazz. Je voulais des chabadas, des cymbales, des balais, des frottis. C’est pour ça qu’il n’y a pas deux mesures pareilles sur Manitoba, que la musique danse un peu. Et comme en plus de ça j’ai 4 titres avec des cordes, forcément tout ça donne, indépendamment du côté désuet, une sorte de sensibilité moins abrupte."
Je comprends. Mais on peut voir tout ça comme les manifestations d’un propos plus intime, autobiographique. Je pense au dernier morceau de Manitoba, Dans mon berceau j’entends. Pour moi ce n’est pas anodin de finir là-dessus. Parce que pour moi ce morceau c’est clairement « l’origine de votre monde », l’émerveillement primitif du poète dans son jus : Manset, l’enfant.
Je ne sais pas, je ne me rends pas bien compte… L’ordre des titres c’est très compliqué. J’en suis très content sur Manitoba. Je commence à avoir des réactions et elles sont dithyrambiques. Surtout des gens de mon âge parce qu’ils sont plus dans l’histoire. Oui, ceux de ma génération semblent enfin baigner dans l’apothéose qu’ils attendaient. Pour eux j’ai même l’impression que c’est le meilleur album que j’ai fait ! Alors que les plus jeunes ont quelques réserves.
Les plus jeunes dont je fais partie sont peut-être plus sensibles aux longs morceaux baroques de votre jeunesse qu’à vos nouveaux morceaux plus folk d’aujourd’hui. Moi, par exemple, j’ai tendance à préférer Le Langage Oublié à Obok et Manitoba.
Ah, ça c’est rare. Mais c’est vrai que j’ai beaucoup vendu avec Le Langage Oublié
Combien ?
50 000. C’est ce que vend Christophe aujourd’hui. J’exagère un peu mais à peine. Rien que de présenter son album au journal de 20h, je ne vais pas dire que ça vous en fait vendre 20 % en plus, mais l’impact est énorme. Aujourd’hui pour ça la télé est hyper importante ! Même pour Alain. S’il n’avait pas fait les quelques télés qu’il a faites, je ne sais pas s’il aurait autant vendu avec Bleu Pétrole. Il a fait Nagui ! Taratata ! Très belle émission. Qu’aurait-il vendu sans Taratata, sans la tournée ? Donc voilà. Mais avec Obok j’ai encore plus vendu plus qu’avec Le Langage Oublié. Obok a eu l’unanimité. C’est pour ça que je dis que c’est très rare les gens qui ont préféré Le Langage Oublié. En fait avec Le Langage Oublié c’est comme s’ils avaient redécouvert qu’il existait un auteur-compositeur inouï, inattendu, atypique, mais qu’ils étaient un peu frustrés de ne rien comprendre. J’exagère un peu mais il y a de ça. C’était trop baroque. Et puis là boum, avec Obok le truc est devenu limpide. Obok, c’était du rock basic. Manitoba c’est la même chose. Seules les cordes font la différence. Avec elles d’un coup on voit Aznavour, quelqu’un comme ça.
Un Manset plus fragile, plus humain…
J’ai toujours peur… Comme je suis au centre de tout et que je maîtrise tout, c’est compliqué mes trucs parce que le moindre détail peut faire basculer l’édifice. Ce n’est pas le cas des autres chanteurs qui avancent à l’aveugle parce qu’ils sont pieds et poings liés avec tel arrangeur, tel preneur de son, tel ingénieur, tel studio…
Vous c’est la prise de tête permanente…
C’est ça, la prise de tête permanente. Parce que je peux jouer de tous les leviers ! C’est comme si j’étais aux commandes d’un 747 et que je pouvais appuyer sur n’importe quel bouton et ça monte, ça descend. Prenons Genre humain. J’allais dire : ce titre je ne peux pas le faire si je n’ai pas les cordes. C’est les cordes qui font le sirop qui font exister cette histoire, c’est les cordes qui font qu’on est dans le rêve à moitié éveillé. Mais j’allais dire aussi : ce titre je pourrais très bien le faire sans les cordes. Je serais Dylan, je le ferais sans les cordes. Et si je le fais sans les cordes ça veut dire qu’il me faut d’autres musiciens. Et ça veut dire que la session est beaucoup plus à risque parce que là on va entendre les fragilités. C’est casse-gueule. Mais voilà, je serais sur scène, je n’hésiterais pas à faire sans. Mais je suis en studio, et on n’est plus dans les années 70, on est dans le numérique et rien ne sonne aujourd’hui, alors je balise. Oui, c’est une histoire de balisage. De crainte permanente. Alors je sécurise le truc avec des oreillers, des plumes, une sorte de sirop qui va m’assurer la stabilité finale de l’ensemble. Mais c’est vrai que j’aimerais bien faire autrement. Si j’avais les studios, si j’allais à Londres, si j’avais les musiciens qu’il fallait, si je passais beaucoup de temps, mais je ne passe jamais beaucoup de temps en studio.
Vous pourriez vous éterniser en studio ?
Oui, j’ai les budgets mais je suis trop dans l’inspiration à l’état brut, j’ai besoin que ça se fasse tout de suite dans une sorte de coït immédiat. Je n’ai jamais refait un titre. Donc il faut qu’il sonne tout de suite. C’est très compliqué. La réalité, s’il y a un prochain album, c’est qu’il faudrait peut-être que j’ai un producteur. Mais il y a deux problèmes à ça. Primo, il faudrait que je change mes conditions contractuelles. Deuxio, je n’ai confiance en aucun producteur. Quand je vois le dernier Julien Clerc, je n’ai pas envie d’avoir un album produit par un quelconque Benjamin Biolay. Pour moi sa production ne va pas assez loin. Et je lis que tout le monde a l’air d’aimer ça. C’est une histoire de fossé générationnel, mais voilà dans la musique actuelle, il y a un côté bancal qui me dérange.
Justement, c’est sans doute à ce fossé générationnel qui en même temps nous unit et nous sépare, mais sur Manitoba j’ai eu du mal à me faire à certains choix de production comme, par exemple, ces chœurs gospels sur Comme un lego. Pour moi, ils sont kitsch et alourdissent le morceau.
Ah, moi je voulais un vrai gospel américain. Mais oui, c’est peut-être une histoire de génération parce que la majorité des gens aurait tendance à préférer ma version à celle d’Alain.
Ah oui ? Moi je préfère sa version, musicalement plus sobre, plus nue.
Vocalement, elle diffère aussi de ma version. Alain a une voix magistrale, un timbre émouvant, et son phrasé est plus moderne que le mien. Moi j’ai un phrasé désuet, je dis les « e », ce qui fait chier tout le monde. J’allais dire : comme Cabrel. C’est vrai mais Cabrel vend mieux que moi. Alain, lui, a un phrasé brut de décoffrage. On rejoint donc ce côté bancal que je décris dans la musique actuelle. Aujourd’hui les jeunes chantent un peu n’importe comment. Même quand ils chantent bien ils s’arrangent pour chanter mal. Pour moi c’est une anomalie critiquable. Et Alain est dans ce registre. C’est-à-dire qu’il ne réfléchit pas trop.
Dernièrement je l’ai vu sur scène et j’ai été sidéré par ses appuis vocaux à la fois totalement improbables et totalement géniaux.
Voilà. Donc c’est peut-être ça que les gens voudraient que je fasse. D’ailleurs, moi, en tant que producteur, me voyant de l’extérieur, si j’avais à critiquer Manset sur la manière dont il peaufine ses albums, ce que je dirais c’est qu’on aimerait qu’il y ait de temps en temps des fragilités, des cassages de gueules, des trucs inattendus…
Des accidents.
Voilà, des accidents ! Et non, tout est pratiquement lisse.
Vous n’arrivez pas à vous laisser aller aux accidents ?
Je n’aime pas. Parce que j’entends. Je pense que la différence avec les autres c’est qu’ils n’entendent pas. Alain n’entend pas. Quand il a un cassage de gueule il ne l’entend pas.
C’est un atout, non ?
Ah, je ne sais pas. Si c’est un atout c’est parce qu’on est dans une époque où, pour une question de démagogie, les gens veulent la fragilité. Ils veulent se sentir proches. C’est pour ça qu’ils ont aimé Gainsbourg. Ils voulaient un artiste fragile.
Ils voulaient Gainsbarre.
Voilà, le côté proche du pékin moyen. Moi je ne suis pas dans ce registre-là, j’essaie de toucher au magistère. Encore une fois, moi mes maîtres c’est Poussin, c’est Zola, c’est Hugo, des gens qui font chier tout le monde. Moi c’est ça. Mais c’est aussi Springsteen. Comme Obok j’ai enregistré Manitoba dans les conditions du live. Et si ce disque était en anglais, imaginons qu’il le soit, à mon avis il n’y a pas de problème ce serait au moins du Springsteen.
Vous avez envie d’écrire en anglais ?
Peut-être que je le ferai parce qu’on en a un peu marre de faire des trucs que seuls les germanopratins comprennent. Dernièrement en voyant Springsteen en concert je me suis dit qu’il n’y avait que le rock qui valait le coup. Et que j’ai du matériel comme ça, net, carré, simple. Il faut prendre les musiciens adéquats et ça tombe bien, j’ai un ami de longue date qui serait parfait pour ça. D’ailleurs ça fait longtemps qu’on ne s’est pas revu. Oui, comme le rock pur et dur est très codé il faudrait que je change un peu mes habitudes. Par exemple il ne faudrait pas que j’arrange et que je produise ce disque moi-même. Mais sinon je pourrais le faire. J’ai les titres universels qui s’y prêtent et je suis le seul à pouvoir le faire en français.
Si ce disque sort il ira de paire avec de la scène ?
Pourquoi pas ?
La rumeur va replaner ?
La rumeur va replaner parce que maintenant il faudrait absolument que je passe à l’acte avant d’envisager continuer à faire de la musique.
Ce passage à l’acte vous semble possible ? Je veux dire : après tout ce temps passé sans vous confronter directement au public, tout ça ne risque-t-il pas d’être trop violent pour vous ? Trop violent et trop décevant pour vous comme pour votre public qui s’est construit l’image d’un Manset distant, abstrait, fantasmatique ?
Non, je suis peut-être complètement dans le délire, mais j’ai l’impression que je peux facilement passer de l’un à l’autre. La difficulté vient plutôt d’une histoire d’âge, de fatigue, de lassitude. Et du fait que je m’interroge trop sur l’utilité de tout ça.
Quand même : je repense au retour scénique de Polnareff. Pour lui ça a été dur et chargé émotionnellement. Quelque part, en revenant ainsi, il faisait face à son mythe et au risque de le casser. Mais lui avait déjà fait de la scène. Or vous c’est pire, vous n’en avez jamais fait. L’idée d’en faire a donc, je trouve, quelque chose de « suicidaire ».
Non, mon seul problème c’est mon problème avec le public. Je ne sais pas si la plupart des artistes ont un ego démesuré, mais ils ont un ego et ils sont très heureux d’être sur scène. Or moi mon problème c’est que je n’ai vraiment pas envie de jouer ce rôle-là. J’adore faire de la musique, j’aime beaucoup chanter, je peux passer 24h dans un studio à refaire un mix des milliers de fois sans voir le temps passer, mais me retrouver sur scène avec cette rangée, j’allais dire de légumes, ce n’est pas péjoratif, mais cette rangée de gens neutres et inertes devant moi, non, il ne faut pas que je vois ça. Je suis très dérangé par ça.
Mais je sens que ça vous tente. Je vous sens avide de nouveauté, je me trompe ?
Non, je suis effectivement avide de nouveauté. Mais tenter cette expérience scénique en France ne m’amuserait pas trop. D’un autre côté à l’étranger personne ne parle français, donc je suis un peu mitigé. Il faudrait que je ne me pose pas la question.
Il faudrait vous lobotomiser une part du cerveau !
Me lobotomiser une part du cerveau, c’est exactement ça. « Gérard, tu t’assoies là, on viendra te chercher quand ce sera l’heure. » C’est ce qu’il se passe pour tout le monde ! A part des pirouetteurs comme Claude François, beaucoup d’artistes de talent sont dans cette faculté d’abandon. Il y a un moment, il faut les diriger comme des enfants dans une sorte de colin-maillard. Or moi je suis seul, indépendant, donc c’est beaucoup plus problématique. Je n’ai pas trouvé la personne en qui j’aurais assez confiance pour être pris par la main. Et même si cette personne existait, ça ne marcherait pas parce que je ne suis pas assez inconscient, j’ai toujours ces deux moitiés de cerveau.

-Manset : About a son-

Chronic'Art 15/11/08 - Rock - Entretien par Sylvain Fesson

Quarante ans que Manset sort des albums chez EMI. Quarante ans qu'il est nourri-logé-blanchi par le culte fervent d'un petit nombre. Quarante ans qu'il erre comme un Minotaure en son labyrinthe, tout puissant dans sa bulle comme un Brian Wilson qui n'aurait connu ni drogue, ni folie, ni père violent. Quarante ans qu'il est un (n)anti, anti-Gainsbourg, anti-Johnny, anti-Bashung. Quarante ans qu'il se définit par ce qu'il n'est pas sans qu'on sache vraiment ce qu'il est. Quarante ans qu'il livre une œuvre insensible aux modes qui passent, à la crise du disque. Alors, quand à l'aube de son dix-neuvième album Manset confesse vouloir dégraisser le mammouth, arrêter les longs morceaux biscornus dont il était coutumier pour livrer des morceaux plus bruts « parce que c'est ça que les gens ont besoin », quand Manset dit même qu'il se verrait bien sortir un album de « rock pur et dur à la Bruce Springsteen » et qu'il pense le plus sincèrement du monde à se produire enfin sur scène, on voit ça comme un « coming out », un « je reviens parmi les hommes, je suis un homme, j'existe » qui ne peut laisser indifférent. Après avoir discuté d'un "Manitoba ne répond plus" perçu comme plus tendre, humain et autobiographique que ses précédents disques, on a donc tenté d'en savoir plus sur Manset l'homme, le fils, l'enfant. Et, en ce 16 septembre, 16h00, tranquillement installé dans la chambre d'hôtel baroque qu'EMI lui a réservé non loin de son 16e arrondissement, mordant dans ses toasts, Manset répond.
Chronic'art : Bashung et vous êtes de cette génération qui a vu naître le rock. Pourtant, votre musique et votre discours semblent dire que vous n'êtes pas un « enfant du rock » comme Bashung. Comment cela se fait-il ?

Gérard Manset : Moi je me fous des baffes tous les matins en me réveillant parce que j'ai raté toutes ces années-là. J'aimais les Stones bien sûr et comme tout le monde les Yardbirds et tout le bazar, mais ça c'était quand j'avais 16-18 ans, la période des boîtes, du scotch et des filles. Mais après, tout de suite, j'ai commencé à travailler et je n'écoutais plus rien. Je me souviens, j'étais déjà chez Pathé Marconi, il y avait tout le monde, j'aurais pu prendre un avion avec je ne sais qui pour aller voir McCartney par exemple quand il venait à Paris. Mais je n'ai jamais foutu les pieds à l'Olympia, je n'ai jamais fait un mètre dans un couloir pour aller ouvrir une porte et regarder je ne sais qui. J'étais complètement imbécile ! Complètement imbécile ! Je le regrette énormément, mais j'étais dans mon truc, La Mort d'Orion, tout ça, j'étais dans mon truc !

Vous aviez quel âge ?

Je devais avoir votre âge ou peut-être un peu moins, je ne me rends pas compte, mais voilà à cet âge-là on se fout parfois de ce qui s'agite au dehors, on est dans son truc ! Moi il aurait fallu que j'ai un copain de mon âge qui me dise : « Gérard, enfin, t'es complètement débile ! Tu ne fais pas trois mètres pour aller voir McCartney ! T'as machin qui prend son avion pour aller le voir et tu ne montes pas avec lui ! »

Et vous n'avez pas eu ce copain ?

J'en ai eu qu'un qui l'a un peut fait, mais pas à ce point-là, c'était un dénommé Lancelot. Il allait en Californie, il voyait tout le monde et de temps en temps on en parlait et il se foutait plutôt de ma gueule. Mais voilà il ne m'a jamais dit : «  Gérard, demain matin je vais voir untel à San Francisco, alors fais ton sac, tu montes dans l'avion avec moi ! » Non, jamais il ne m'a dit ça. Et donc comme j'ai quand même un certain caractère, je l'envoyais chier. Et puis après j'ai travaillé pendant des années au Studio de Milan, puis j'ai beaucoup voyagé donc je n'ai pas vu le truc passer. Ring my bell et tout ça, je l'entendais aux Philippines mais pas à Paris. J'ai produit un ou deux albums à Londres, à la belle époque, mais à part ça je n'y allais pas. Blondie, j'aurais dû aller voir ça à Londres, mais ça ne m'est même pas venu à l'esprit. Maintenant je suis à genoux quand j'entends ça !

Ah oui ?

Mais oui ! La chose importante et que vous avez du mal à réaliser c'est qu'à l'époque les médias étaient très différents. Il y avait très peu d'émission là-dessus. Surtout en France. En France c'était Michel Drucker, c'était Bouvard, c'était Dalida, voilà, toute la daube française absolue ! Ce n'était pas du tout le marché international. Alors qu'aujourd'hui il y a des articles sur ça tous les jours. Mais par exemple Pink Floyd, qui était quand même monstrueux dans l'univers musical des années 75-78 et bien on trouvait leurs disques à la Fnac, point final. Il n'y a jamais eu une émission de télé sur Pink Floyd, ni un mot sur eux dans un quotidien quelconque, il y avait juste un papier de temps en temps dans Rock&Folk, voilà.

Cette rareté devait rendre cette musique d'autant plus fascinante ?

Non, mais ce que je veux dire, c'est que ce manque de sollicitations explique pourquoi ça n'a percé ma gangue. Parce que je n'avais plus 20 ans, je bossais. Le matin je me tirais et j'avais d'autres trucs en tête. J'étais dirigeant de société au Studio de Milan, je devais m'occuper des clients, du matériel, de la production, de mes albums, de la vie de famille, un million de trucs. Et puis après comme je disais j'ai beaucoup voyagé.

Du coup vous apparaissez comme un enfant de la génération d'avant. Vos maîtres, dites-vous, sont Bonnard, Poussin, Hugo, Zola…

Oui et toutes ces choses n'ont plus de référents. Prenez La Faute de l'abbé Mouret de Zola ou d'autres très beaux textes : quand moi j'avais 10 ans et que je me promenais dans la campagne, j'étais dans Zola ! Aujourd'hui on se promène dans la campagne, on n'est plus du tout dans Zola. Les mecs qui ont 20 ou 30 ans aujourd'hui n'ont pas connu ça. C'est donc compréhensible que ces textes les fassent chier.

En même temps on pourrait croire qu'aujourd'hui cette littérature est d'autant plus fascinante qu'elle parle d'un monde qui n'est plus, qu'elle est dans la fiction, l'abstraction…

Peut-être que ça fait ça pour certains, mais il fut un temps où ce n'était pas une fiction.

Au départ vous vouliez intituler votre nouvel album "Comme un Lego". Mais vous n'avez pas pu car vous aviez déjà cédé la chanson du même nom à Bashung pour son album Bleu pétrole. Du coup il était question qu'il s'appelle Le Pays de la liberté, qui est le titre d'une de ses chansons. Pourquoi avez-vous donc finalement décidé de l'appeler Manitoba ne répond plus ?

En fait dès le départ j'avais aussi cette idée-là en tête. « Manitoba ne répond plus » ce sont quelques mots issus de la chanson "O Amazonie". Et à la base, ces mots font référence à une BD d'Hergé qui porte le même nom. En la retrouvant chez moi, j'ai tout de suite eu un coup de nostalgie. Cette BD c'est comme mes espadrilles d'il y a 40 ans, comme ma musette quand j'allais à la pêche ou ma première boîte d'aquarelle. Je me suis donc dit que je serai très à l'aise de parler de ça dans les interviews. Parce qu'en appelant cet album "Manitoba ne répond plus", je montre une fois de plus que je suis toujours rattaché au passé. Aux années 50.

J'ai lu dans Rolling Stone que vous aviez rejeté l'idée d'appeler votre disque "Le Pays de la liberté" de peur qu'on ne vous pose trop de questions sur la France d'aujourd'hui. C'est vrai ?

Oui, il se trouve qu'en 48h, il y a quelques personnes qui m'ont posé des questions de ce genre. Mais si je n'ai pas gardé ce titre, c'est plus parce que je le trouvais trop proche de La Vallée de la paix et trop simpliste aussi. Il n'ouvrait pas l'imaginaire. Quand j'ai dit que j'allais finalement l'appeler Manitoba, tout le monde a été ravi !

En effet ce qui est bien avec Manitoba, c'est que ça évoque une sorte de contrée inconnue, une sorte de pays exotique, un paradis perdu. Et voilà, on y est, car qu'il y a-t-il de plus Manset que le paradis perdus ?

Exactement. D'ailleurs, dans sa BD, Hergé donnait lui déjà cette consonance parce qu'il situait Manitoba en Océanie alors qu'à la base c'est une province canadienne. Aux gens qui l'ignoraient ils donnaient donc l'impression qu'il s'agissait d'une destination paradisiaque.

J'ai l'impression que vous avez donné la même consonance à votre nom de famille. Parce qu'en 1972, vous avez choisi de ne plus inscrire votre prénom sur vos pochettes de disques mais seulement votre nom. Pour ceux qui ne savaient pas que Manset était votre nom, Manset a donc pu apparaître comme le nom d'un pays imaginaire ou d'une destination paradisiaque. C'était ça l'idée ?

Je n'aime pas le côté état civil du nom-prénom. Mes albums et la vie de tous les jours sont des mondes différents. Quand on croise des gens dans la rue (le boucher, le charcutier, la famille), on est quelqu'un et quand on fait un machin comme Obok on est quelqu'un d'autre. Je regrette de ne pas avoir de pseudonyme pour que ce ne soit pas plus codé.

Supprimer votre prénom de la surface de vos pochettes de disques c'était donc une manière de décrocher de l'humain ?

Oui, un minimum. Ça me rappelle une anecdote : il y a quelques jours un copain m'a envoyé un texto. Il venait de recevoir l'album et il m'a écrit : « Manset Airline » (rires) ! J'ai beaucoup aimé ce « Manset Airline » (rires) !

A propos de nom de famille, parlons famille. La votre compte-t-elle des artistes ?

Pas vraiment, mais l'année dernière j'ai sorti Les Petites bottes vertes, un livre dans lequel je disais deux-trois trucs sur ma famille. Ma mère était violoniste. Elle n'a pas fait carrière, mais jusqu'à son mariage et ses premiers enfants, elle était dans la veine des quelques violonistes de haut vol. Et puis son frère était violoncelliste, et sa sœur jouait du piano. J'ai donc été un peu élevé dans ça. Petit, j'entendais du Chopin, pas grand-chose, mais c'est des sortes de pointillés très très importants. Surtout qu'après mon frère aîné m'a abreuvé de musique classique. Donc voilà, c'est pour ça que je suis dans la veine Beethoven. J'ai plein de pièces magistrales en tête dont je connais chaque mesure. D'ailleurs, j'en ai déchiffré certaines pages.

Écoutez-vous toujours de la musique classique ?

Ah non, jamais. Enfin, je dis jamais, il m'est arrivé de réécouter un peu Chopin mais très peu. Par hasard, j'en entends parfois quand je regarde un film sur Arte. D'ailleurs je m'interroge : « C'est qui ? Quel concerto ? Quelle symphonie ? » Mais non, je ne réécoute pas trop tout ça parce que ça me rattacherait trop à un passé révolu. On ne peut pas refaire une éducation musicale qu'on n'a pas eue. Et comme il y a de moins en moins de gens qui ont cette éducation, pratiquement plus personne, j'éprouve un malaise à me replonger là-dedans. C'est comme si c'était une planète d'une merveilleuse beauté mais définitivement inaccessible.

Réécouter cette musique vous fait plus de mal que de bien ?

Mal, ce n'est pas le mot, mais oui, c'est un peu désespérant que le monde ait changé de sorte que ces choses-là ne soient plus.

Vos fans vous décrivent souvent comme un artiste « lucide » et vous-même dites souvent que vous êtes un artiste « clairvoyant ». Or j'ai l'impression qu'il y a là une sorte d'imposture magnifique. Je veux dire : votre propos sur le monde qui sombre dans la médiocrité la plus totale, toute cette thématique du paradis perdu, du « c'était mieux avant », j'ai le sentiment que c'est plus une belle fable qu'une vérité en soi. En cela je vous vois donc plus comme un marchand de rêve qu'un artiste du réel.

C'est difficile ce que vous me dites. Vous pouvez me refaire la démonstration ? J'ai dû sauter une étape-là.

N'est-ce pas être un rêveur, un idéaliste que de croire que ça a toujours été mieux avant ?

Non, non, c'est cette phrase qui manquait dans votre démonstration, c'est pour ça que je ne l'ai pas compris. Ce n'est pas du tout une vision idéalisée ! Les choses étaient infiniment mieux avant. Infiniment.

Elles étaient mieux comparées à votre époque, mais ça ne veut pas dire que tout était mieux avant. J'imagine qu'il y a eu des époques aussi médiocres que celle que nous traversons en ce moment…

Je suis d'accord. Comprenons-nous : tout n'était pas beau. Evidemment qu'il y avait des horreurs ; mais aujourd'hui il n'y a plus que des horreurs. Non, comprenons-nous, parlons de ce qui est comparable : la vie d'un garçon de 10 ans dans les années 50 était infiniment plus enrichissante, shootante et magnifique dans tous les domaines que celle d'un enfant de 10 ans aujourd'hui. Enfin, c'est ce que je pense, mais je peux me tromper.

En tant qu'artiste vous avez donc eu de la chance d'être témoin de cette époque et de sa beauté car finalement toute votre inspiration vient de là, non ?

Oui ! Mais disons la chose d'une autre manière : je ne sais pas si dans trente ans quelqu'un de votre âge aura autant de source d'inspiration que ceux de ma génération.

Sans doute. Mais encore une fois, ce qui me chiffonne c'est de constater que beaucoup de vos fans prennent votre discours comme une vérité absolue, prêchée. Parce que moi j'ai l'impression que ce qui prime chez vous c'est moins le souci du réel et de la vérité que cet impérial besoin de créer du beau, du rêve pour embarquer les gens. Que l'important c'est de croire que le monde fut mieux avant parce qu'y croire c'est croire que le monde peut redevenir meilleur que ce qu'il n'est aujourd'hui.

Oui, bien sûr, je suis d'accord, les deux sont liés ! C'est l'histoire de la poule et l'œuf. Moi je suis né dans une certaine époque où on avait la faculté et la liberté de s'enrichir tout seul en gaulant les trucs à droite à gauche… Ne serait qu'à la campagne on aurait pu voyager dans le dixième d'un département plus qu'on ne le fait aujourd'hui dans le monde entier. Tout était plus vierge et à découvrir. A l'époque à 200 kilomètres de Paris on avait plus de terra incognita qu'il n'y en a en Inde ou en Amazonie aujourd'hui. Ça, ça conditionne à ce que la cervelle se développe de telle sorte qu'après, ayant vu la beauté, on cherche à la décrire, à la découvrir ailleurs et à la mettre en forme. Quelqu'un qui n'aurait jamais mangé de caviar ne peut pas critiquer le caviar !

A cette chance s'en est jointe une deuxième : celle d'avoir pu signer un contrat en or et presque unique en son genre avec la maison de disques Emi, à l'époque Pathé Marconi. Ce contrat, je n'en connais pas les détails mais à ce que vous m'en avez dit il vous donne une liberté de manoeuvre qu'aucun artiste n'a eu après vous. C'est grâce à ce contrat que vous sortir depuis 1968 les disques que vous voulez au moment où vous le voulez. C'est grâce à ce contrat que vous avez pu faire de la musique votre gagne-pain et que vous avez pu dédier vie à la quête du beau.

Oui.

Je reviens sur cette idée de la primauté du rêve sur le réel que je perçois chez vous. Parce que je repense à une chose que vous m'avez dite la première fois que nous nous sommes rencontrés. Vous m'avez parlé du « damier de la création ». Du fait qu'avec La Langage oublié vous aviez coché une case sur ce damier où des artistes comme Nerval, Gide et Lennon avait déjà coché la leur…

Ah, oui, je me disais bien qu'on avait déjà dû se voir. J'étais en train de me poser la question.

Et donc vous m'aviez parlé de cette histoire de damier de la création…

C'est vrai.

Après coup je me suis dit que cette histoire de tableau avec des cas à cocher était une image totalement scolaire, enfantine...

Oui. Exactement. Jules Verne est parti à 11 ans pour voir le monde. On l'a attrapé et on l'a ramené, mais c'est à 11 ans qu'il est parti. Pas à 35.

Mais cette anecdote montre bien que votre vision du monde est tout sauf lucide. Elle est au contraire parfaitement rêveuse, mythologique.

J'adhère tout à fait. Mais c'est Newton, il se prend la pomme sur la gueule et voilà, on est dans ce domaine de l'improvisé, de l'impromptu, de l'irrationnel et de l'enfantin. Bien sûr. Et j'ai cette chance, on parlait de contrat, de pouvoir me préserver du reste et de ne pas en sortir. Picasso c'était ça, c'est resté un gosse et il n'a jamais fait que dessiner l'enfance. Et ses dessins ce n'est même pas des dessins d'enfant.

Rester enfant et dédier sa vie à la célébration de la beauté, c'est une chance folle, non ?

C'est la chose la plus désespérante qui soit. Tout à l'heure je parlais du malaise que j'éprouvais à réécouter de la musique classique aujourd'hui. Et bien c'est un peu pareil pour ce qui est de mes créations. J'éprouve comme un malaise à devoir continuer de créer cette beauté. Quand on a connu la beauté on a d'abord envie de la faire partager, de la retranscrire, de la remodeler, mais au bout d'un moment on commence à pédaler dans la semoule, ce qui s'est passé il y a dix ou quinze ans, là tout le monde à commencer à dériver en tous sens. Alors on se dit : « Quelle est la légitimé de vouloir continuer à dire aux gens que telle chose est belle alors qu'ils ne la voient plus cette beauté parce qu'ils sont partis ailleurs, dans le pognon, la réussite, le business, la vie de famille recomposée, etc. ? » Le festival d'opéra de Bayreuth existe toujours mais je me demande qui y va. Comment ? Pourquoi ? Même si les musiciens ne sont plus tous tout jeune, c'est étonnant de voir que la musique classique existe toujours.

J'en parlais récemment avec le compositeur Jean-Philippe Goude qui m'a d'ailleurs confié avoir eu une grande période Manset. Il me disait que la musique classique est vraiment mal en point parce que son public ce n'est même plus le troisième âge, mais le quatrième âge.

Bah oui.

Mais vous, finalement, quand vous regardez votre parcours vous ne vous dite pas parfois : « Sous quelle étoile suis-je né ? ».

Oui, on est d'accord. On est ensemble, moi je réponds à une interview pour la sortie de mon dix-neuvième album, je suis dans un super hôtel en train de prendre mon crème et de manger des toasts, évidemment. Mais en même temps, je sors, je prends le journal, je vais à la Fnac ou ailleurs et comment dire ? Tout est trop dispersé. On voit un charabia artistique partout ! Donc oui, en privé, entre initiés, pour ne pas dire privilégiés, entre initiés, bien évidemment que je suis merveilleusement heureux. Je ne vais pas me comparer au pape bien sûr, surtout que là ça y est, on ne sait pas pourquoi mais on ne se fout pas de sa gueule, mais pendant longtemps on s'est foutu de la gueule du pape, de l'Eglise, de tout. Alors voilà, la musique classique ce serait une sorte d'Eglise ringarde qui n'intéresse plus personne. Et c'est pareil pour celui qui fait le pèlerinage de Lourdes ou de Saint-Jacques de Compostelle. Il est avec d'autres gens qui font le pèlerinage, ils sont heureux, ils parlent le même langage. Mais qu'ils en sortent et on se fout de leur gueule. Je suis un petit peu dans cet état d'esprit. Je suis heureux quand je suis entouré de gens qui pensent comme moi et qui voient comme moi, c'est-à-dire des écrivains, des compositeurs quelque fois, d'ailleurs c'est surtout des écrivains parce qu'ils ont encore cette sorte d'aristocratie de la sensibilité typique des gens de lettres, mais quand ce n'est pas le cas je suis déjà moins heureux.

Dernièrement, je suis tombé sur une phrase d'un artiste contemporain qui s'appelle Christian Boltanski. Il dit, parlant des artistes : « On s'est construit à l'intérieur d'un personnage qu'on s'est crée et finalement on ne vit plus, on joue à la vie. » J'ai trouvé que cette phrase vous allait bien…

Je me suis quand même méfié de vivre à l'intérieur de tout ça, mais c'est vrai que c'est dur. Un de mes premiers titres disait : « Je suis Dieu / Et je fais tomber les gens dans des pièges » Voilà, une fois qu'on voit qu'on a réussi à faire une sorte de machine bizarre comme ça, que les gens jouent avec et que ça fonctionne alors oui on se prend un peu au jeu quand même.

J'ai lu dans Rolling Stone que vous vous étiez récemment aperçu que vous aviez fini par rentrer vous-même dans votre univers…

Ça peut sembler à souligner, à mettre en gras, avec des ricanements du lecteur peut-être, mais oui, c'est vrai que maintenant je suis assez admiratif de mon oeuvre et de mon parcours. Je suis mon premier fan, non pas de la musique parce que je ne sais pas si j'aurais acheté mes albums et si j'aurais vraiment apprécié ce genre de trucs un peu complexes, mais je suis quand même aficionados du personnage, oui, de l'itinéraire, de son côté pur et dur, irréductible…

Gaulois ?

Non, teuton. Parce que c'est plus sévère. Et puis gaulois ça a été tourné en grotesque. Voilà quand on a remplacé Tintin par Astérix c'était déjà le début de la fin. On le sait, bon.

C'est-à-dire ?

C'est-à-dire que la BD emblématique d'aujourd'hui c'est Astérix. Les films qui on coûté on ne sait combien de centaines de millions de dollars c'est Astérix, qui, comparé au raffinement des images et des aplats de couleurs d'Hergé, est d'un populisme, d'une vulgarité et d'une pauvreté… Tenez, puisque vous faites un long article et que vous avez la place, j'aimerais que vous ayez le temps d'aller chercher sur Internet la reproduction de la couverture de la deuxième BD de Jo et Zette intitulé Le Manitoba ne répond plus. L'avez-vous vu ?

Oui.

Elle est stupéfiante ! J'en ai écrit un texte de deux pages que je pensais mettre sur le communiqué de presse du CD mais finalement je ne l'ai pas mis. On voit les deux gosses de dos, tous les deux en socquettes et il y a le robot fou qui se lève et puis le savant à terre, c'est d'une poésie narrative et d'un ésotérisme que tous les Batman d'aujourd'hui n'auront jamais ! Ni même les imbécillités d'Harry Potter ! Tout ça, en terme de poésie, ça n'arrive pas à la cheville d'Hergé !

Vous lisez des BD ?

Non, j'en vois juste quelques-unes. Il y a de très bons dessinateurs mais en général ils ne sont pas tout jeunes, ils sont tous à peu près de ma génération. C'était Sempé par exemple. Ce qu'il fait ce n'est pas de la BD mais quand même. Kiraz aussi, quelle élégance.

Dans un autre style, de cette génération, il y a Siné qui vient de lancer Sine Hebdo…

Siné je suis beaucoup moins fan. Moi j'ai toujours été contre Charlie Hebdo. J'ai horreur de tout ça, c'est l'univers de la communication, de l'opportunisme, ça ne m'intéresse pas du tout. Là on parlait de BD, on parlait d'une sorte de création d'oeuvre.

D'ailleurs, à propos de BD, votre oeuvre est traversée de références SF. Quel est votre rapport à cette littérature ?

Là encore, je remercie mon frère aîné. Il faudra lire Les Petites bottes vertes, j'y parle beaucoup de mon frère qui est quelqu'un d'assez magistral. C'est mon aîné de quatre ans et je l'ai toujours regardé avec une espèce de distance admirative. Il jouait au bridge, tous ses copains jouaient au bridge. Il sait tout sur tout mais ce n'est pas Monsieur Je-Sais-Tout. Il sait tout quand on le lui demande et il sort le truc en ricanant, en déconneur : il est brillant. Eminemment brillant. Et bonhomme en même temps. Gentil. Et de la même manière qu'il m'a abreuvé de musique classique parce qu'on était dans la même chambre et que j'étais donc bien obligé d'écouter les trois plombes de Tchaïkovski ad libitum et bien il m'a malgré lui initié à la science-fiction. Parce qu'il avait toute la science-fiction de l'époque, la collection Fleuve noir qui était un petit peu grand public et une autre qui s'appelait Rayon fantastique avec des textes sublimes d'Isaac Asimov jusqu'à Dune. Dune était un très beau texte mais à mon avis il a marqué la fin de cette double décennie de fiction qui avait cette ingénuité que tu m'attribuais tout à l'heure, c'est-à-dire cette sorte d'infantilisme…

Cet art de la parabole ?

Oui, c'est-à-dire que ces écrivains disaient des choses en y croyant alors que c'était des choses d'une imbécillité, enfin d'une simplicité qu'on n'oserait plus aujourd'hui. Leurs livres sont tout du long teintés d'une grâce, d'une intelligence, d'une poésie, justement parce qu'il y a cette innocence de la non connaissance. Je reviens aux Petites bottes vertes que tu n'as pas lues. A deux-trois endroits j'y dis que c'était des époques d'opacité contrairement à la transparence d'aujourd'hui. C'est cette transparence qui fait beaucoup de mal Le fait de savoir dans beaucoup de domaines tue tout. Cette science-fiction nous faisait rêver parce qu'elle ne savait rien sinon les monstres à tentacules, les robots et les planètes spongieuses bouffeuses d'hommes. Or maintenant on sait qu'il n'y a rien sur Mars et sur la Lune il n'y a rien. On n'a plus que nos yeux pour pleurer.

Vous aimiez aussi des dessinateurs de SF ?

Oui, il y avait Forest, immense illustrateur qui dessinait des filles merveilleuses ! J'ai d'ailleurs écrit un très beau titre qui raconte une sorte d'histoire d'amour entre un homme et une vénusienne. Ça s'appelle « Sur la lune on danse ». Je l'avais faite avec des samples. Je la filerai peut-être à Alain. Oui, je lui filerai « Sur la Lune on danse », il m'en ferait un truc extraordinaire !

Il n'y a pas longtemps je l'ai vu en concert dans un festival et quelle allure, quelle présence !

Ah oui, moi je l'ai vu à l'Olympia de Paris et c'était phénoménal ! Phénoménal !

Il démarre avec Comme un lego et ça y est, on est à genoux.

Ah mais je vois que tu es un fidèle parmi les fidèles, ça y est, c'est bien. Mais alors un fidèle qui n'a pas lu Les Petites bottes vertes ! C'est peut-être juste parce que Gallimard ne te l'a pas envoyé. Ou peut-être aussi que, comme tu l'as si bien dis tout à l'heure en parlant de paraboles, tu n'as tout simplement pas envie d'entamer certaines choses. Mais rassure-toi je reste tout de même elliptique dans Les Petites bottes vertes.

Une dernière question. La dernière fois que nous nous sommes entretenus c'était à la sortie d'Obok et vous m'aviez dit que vous étiez plus réceptif des yeux que des oreilles.

C'est vrai.

Du coup je me demandais si vous aviez déjà pensé faire un film.

Alors, d'abord je suis dans l'image depuis très longtemps, photos et images animées, parce que je suis de l'école colleuse, monteuse, chutier et tout ça, mais voilà je ne suis pas écrivain. Je suis partiellement écrivain parce que j'ai acquis une très belle langue fertile et que je maîtrise complètement au niveau du style, mais je n'ai pas cette maestria des Stendhal ou des Zola qui eux sont à fond dans le narratif et racontent de grandes sagas avec des personnages et tout. Les histoires me passionnent mais je n'ai pas cette composante pour en pondre. D'ailleurs tous les écrivains ne l'ont pas. Aragon, par exemple, écrivait très bien, et des textes assez longs, mais il ne se passe rien dans ses textes. Pareil pout Robbe-Grillet ! Il écrit très très bien, c'est très classique, très beau, mais bon, quid de ce qu'il y a à l'intérieur.

Et donc vous et le cinéma ?

Et donc moi et le cinéma. Oui, j'y ai souvent songé. Je suis un très bon cadreur, je saurais très bien diriger les comédiens, je sais exactement quels angles de vues je veux, le montage, j'ai tout dans la tête. J'ai tout sauf l'histoire. Voilà, de la même manière qu'aucune idée de roman ne me vient aucune idée de scénario ne me vient. Ce qui est un peu gênant. Et je ne lis pas vraiment des trucs qu'il m'intéresserait de tourner ou de mettre en scène, donc voilà. Mais là, récemment, je suis tombé sur un ouvrage, je ne vais pas dire le titre, mais c'est la première fois où je me suis dit : « C'est trop exactement ce qu'il faudrait que je mette en scène. » Tiens, je vais d'ailleurs te donner cette l'info comme tu en auras une inédite : dans mes proches, dans les gens que j'aime bien et qui m'aiment bien il y a Enki Bilal.

Qui avait fait la pochette de Route Manset…

Exactement. D'ailleurs ça me rappelle qu'il faut que je lui envoie mon nouvel album, à moins qu'il ne l'ait déjà. Et quand je suis tombé sur ce roman qui est un texte très peu connu d'un auteur connu, je me suis vu le tourner. Je voyais où le tourner, pas dans la ville mythique dans laquelle l'histoire prend place mais dans une autre un peu moins mythique, un peu moins connue mais qui a je crois une configuration géographique similaire à ce qui est décrit dans le livre. Donc je me suis dit que j'allais peut-être parler de tout ça à Bilal. Je ferais bien ça avec lui pour obtenir un truc à la limite entre le dessin et le tournage. Tu vois ? Je ne vois pas trop quelle collaboration on pourrait avoir mais il est très proche de moi par certains côtés, par sa vision esthétique, son trait abrupte et peut-être aussi son côté slave, cette sorte de secret, de froideur. Donc voilà j'ai ça en tête. J'aurais 20 ans de moins, je serais déjà en train de le tourner. Mais faire un film c'est des années de travail, c'est débloquer des budgets auprès d'untel et d'untel… En même temps, ce texte est tellement beau, tellement inconnu ! Les scènes sont un tel nectar ! Les personnages m'émeuvent tellement et c'est tellement la démonstration de tout ce qui n'est plus enseigné, de tout ce qui va disparaître, que voilà.

Sylvain Fesson

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MANSET L’ART DE L’ANONYMAT

 

EN PRÉLUDE A LA SORTIE DE SON NOUVEL ALBUM, LE 15 SEPTEMBRE PROCHAIN, MANSET A ACCORDÉ UN LONG ENTRETIEN A ROLLING STONE. RENCONTRE AVEC UN ARTISAN SOLITAIRE DÉFINITIVEMENT RÉFRACTAIRE AUX CONVENTIONS DU "MÉTIER". VOUS AVEZ DIT ARTISTE CULTE?

PAR PHILIPPE BARBOT (ROLLING STONE / SEPTEMBRE 2008)

 PARIS, EN PLEIN JOLI MOIS DE MAI 1968. Pendant que les étudiants batifolent avec les CRS sur fond de fumées lacrymogènes et d'automobiles renversées, une chanson obsédante passe en boucle sur les ondes désertes de l’ORTF en grève. Une étrange voix flûtée et rouillée scande «Animal on est mal, on a le dos couvert d'écailles, on sent la paille dans la faille et quand on ouvre la porte, une armée de cloportes vous repousse en criant "Ici, pas de serpent!" ». Cette ritournelle zoologique aux accents kafkaïens est l'œuvre d'un certain Gérard Manset, natif de Saint Cloud, diplômé des Arts déco et troubadour barbu aux contours flous et aux ambitions encore hésitantes.
La chanson n'a jamais été rééditée, malgré les supplications répétées des fans frustrés. Quarante ans après, le responsable continue d'affirmer que l'enregistrement est trop « épouvantable » pour être sauvé : 
« À l'époque, je faisais plutôt n'importe quoi, dans tous les domaines, sans trop savoir, j’étais une sorte de “pluriformivore” artistique, prêt à toutes les déconnades.
J’avais un ami, Malek, qui enregistrait chez Philips, alors j ‘ai commencé à écrire des textes, mais sans véritable intention de devenir auteur. Puis j'ai bricolé ça, tout seul, sur un accord de guitare, en chantant comme un pied. Quand je l'ai fait écouter à un directeur artistique, j'étais très gêné. En même temps, j’avais l'impression que c’était plutôt original et unique. . . »

Original et unique, voilà qui peut en effet qualifier un escogriffe capable, dès ses débuts, d’intituler ses chansons « Je suis Dieu » ou « On ne tue pas son prochain », de composer un morceau en latin (Caesar) et un oratorio-rock symphonique (La Mort d'Orion) avant de dispenser, sinon des tubes, du moins les hymnes d'une époque déboussolée en mal de liberté vagabonde. Aujourd'hui encore, « Y'a une route » ou « Il voyage en solitaire » continuent d'inspirer plusieurs générations de chanteurs, que ce soit Bashung sur « Bleu Pétrole », Dick Annegarn ou Cheb Mami sur l'album hommage Route Manset. Des artistes comme Christophe, Jean-Louis Murat, Dominique A, Arman Méliès ou Daniel Darc avouent volontiers avoir été influencés par l'homme qui n'a « Rien à raconter ». Car l'animal n'a jamais cessé d'intriguer ou d'agacer. Chanteur sans visage, écrivain discret, peintre pudique, ermite bourlingueur à la fois misanthrope et humaniste, fuyant show-biz et médias comme la peste bubonique, Manset a développé autour de sa non-présence un véritable mythe. Mythe entretenu par des albums à la régularité parcimonieuse, dix-neuf à ce jour, têtus et entêtants, odes incantatoires à la douleur d'un monde qui se délite, constats d'un Eden perdu où pointent nostalgie de l'enfance et compassion pour la souffrance des hommes. Une œuvre déroutante, parfois ésotérique, imprégnée d'un mysticisme au lyrisme glacé et aux exotismes dépaysants qui relèguent Lavilliers et Le Guide du routard au rang d’amusettes pour touristes en goguette. Une œuvre au noir, onirique, parfois mégalo, en tout cas résolument à part, dont on a du mal à discerner les racines, les influences. Un mélange de rock et de chanson française? 
«J'ai toujours eu la sensation de faire un matériel différent, très loin de gens comme Cabrel ou Gainsbourg, et de tous les autres d'ailleurs. Les artistes que j'aimais me donnaient plutôt envie de ne pas les imiter. Léo Ferré, ça donnait envie de se flinguer. Brel sur scène, pareil.
Les gens qui ont ce talent, c'est douloureux, on n'a pas envie d'une vie comme la leur, d'avoir l'air d'un clodo, de chanter en postillonnant des trucs sur lesquels les gens s'interrogent pour savoir ce que ça veut dire. .. Le rock, oui, que ce soit Dylan, les Stones, les Animals ou Bob Seger, tout est extraordinaire. On a envie de monter sur scène tout de suite, de balancer ce genre de textes, ce genre de musique. Mais tu es en France, au pays de l’accordéon et de la baguette, tu n'as droit qu'à ça. C'est comme si on était de l'autre côté de la vitre.»

De l'autre côté de la vitre, justement, claquemuré dans son « Atelier du crabe » personnel, le fameux studio Milan, supervisant seul le moindre détail  des arrangements de cordes aux photos de pochette, Manset (sans Gérard, prénom détesté et abandonné dès le deuxième disque) a ainsi publié pendant deux décennies une douzaine d'albums en forme de voyages initiatiques aux étapes fiévreusement arpentées par quelques dizaines de milliers de pèlerins fidèles : 2870. Royaume de Siam, Le Train du soir, Comme un guerrier, Lumières ou Prisonnier de l’inutile, jusqu'à
Matrice, en 1989, premier album «  certifié or », Manset jouait plutôt dans la catégorie «  artistes cultes », adulé par une petite cohorte de fans transis.
Un statut plus ou moins volontairement revendiqué et entretenu : 

«Je me suis toujours interrogé sur la légitimité de ce qui s'appelle le droit d'auteur, je préférerais avoir à vie une bagnole, une limousine, une carte qui me permette de bouffer à l'œil n'importe où, de voyager gratuitement, d'avoir des hôtels ad libitum, et ne plus toucher un rond de droits d'auteur, ne plus tremper mes mains dans le pognon, qui est une chose abjecte. Être sacré auteur-compositeur parmi le petit panel de gens distingués, de je ne sais quelle nomenklatura où il faudrait parler grec et latin, pourquoi pas. Mais je préférerais qu'on entretienne les artistes qui consacrent leur vie à leur art, comme cela existait du temps du mécénat, du temps des monarques. .  »

C'est que depuis 1972, plus question pour lui d'apparaître au grand jour. On ne perçoit plus du Manset public qu'une vague silhouette engoncée dans un manteau de cuir, ou des clichés flous le représentant de dos sur des rivages asiatiques indistincts. Le nouvel homme invisible fuit télés et photographes, allant parfois jusqu'à surveiller la mise en page des rares interviews qu'il accorde à une presse pourtant enamourée. Une paranoïa tatillonne qu'il explique ainsi : 
« Une de mes seules jubilations permanentes, c'est d'être quasiment anonyme et de pouvoir me balader, prendre le métro, m'asseoir sur un banc, dans un bistrot, sans être dérangé. Ou plutôt, sans être réveillé de mon "inappartenance" au monde, pour continuer d'être une sorte d’élément neutre et libre. Dans cette époque où il faut s'engager sur tout, ça peut être considéré comme une démission. Alors oui, j'ai démissionné de tout, je n'ai jamais signé la moindre pétition ni fait partie d'un mouvement, quel qu'il soit. Parfois, je le regrette. Si j'avais été dans un maniement politique, j'aurais peut-être accompagné le Che à Cuba. . . Non pour l'idéologie, mais pour l'aventure. Les gens qui ont fait de la politique très jeunes peuvent se réclamer aujourd’hui d'amitiés indéracinables, je ne connais pas un artiste, un créateur qui ne soit engagé politiquement, qui n'ait des convictions. Moi, je n'ai pas de convictions, ou plutôt je pense qu'il n'y a pas de convictions contradictoires.
Quatre personnes enfermées dans une pièce, pourvu qu'elles soient honnêtes et de bonne foi, tomberaient vite d'accord sur la définition d'une société idéale. C'est terrible de voir aujourd'hui cette logorrhée inutile dans les médias, tous ces éditorialistes qui s’empoignent par-dessus les micros, redisent sans arrêt les mêmes choses sur la société qui devrait changer, qui pourrait changer, qui va changer... Moi j’aimerais qu'on retourne à l’Antiquité, à la Grèce, à l’Égypte!»

En attendant, après Obok, il y a deux ans, Manset publie un nouvel album. Originellement intitulé « Comme un Lego », - d'après la chanson offerte à Bashung et qu'il reprend sur son disque - l'objet a changé de titre en cours de route, « pour des questions juridiques », et a failli s’intituler  « Le Pays de la liberté ». . . jusqu'à ce que son auteur réalise que tout le monde allait lui poser des questions sur la France d'aujourd'hui, quel ennui :  
« C'est aussi le titre d'une des chansons, paraît-il très étrange et étonnante, d’après les personnes qui l'ont entendue. Je pensais qu'on me dirait que le texte était épouvantable, genre c'est du Manset, ça prend la tête, mais il semble que l’expression vocale ou la poésie qui s'en dégagent fassent passer cela au second plan. C'est marrant parce que je commence à y croire. Ce doit être l'âge, les années, mais j'ai l'impression d'être moi-même entré dans "mon" univers. Jusqu’ici, je voyais peut-être ça de l'extérieur, comme si j'étais en train de faire les chansons de quelqu'un d'autre, comme si je n'étais pas concerné. Peut-être que c'était trop compliqué, même pour moi . . . je me disais parfois que si je n’avais pas été le créateur, je ne sais pas si j'aurais acheté l'album. .. ».

Manset optera finalement pour « Manitoba ne répond plus », phrase extraite d'une chanson et titre d'un vieil album de BD d'Hergé.
Ces dernières années, le taciturne solitaire n'a pas rechigné à offrir sa contribution à quelques « confrères » triés sur le volet. Après tout, à ses débuts, il a bien produit William Sheller ou Herbert Léonard...Plus récemment, outre Bashung et Raphaël (dont le manager n'est autre que sa propre fille, Caroline), des artistes aussi éclectiques que Philippe Lavil, Juliette Gréco, Jane Birkin, Indochine et Florent Pagny ont bénéficié de ses services harmoniques.  « Parfois, des copains ou des éditeurs me demandent. Mais je ne côtoie personne, je ne fais pas les Restos du Cœur, de scène, de télé, donc je n'ai pas de raison de croiser les gens du métier. Peu à peu, je me suis rendu compte que
je bénéficiais d'une sorte de réputation d’extraterrestre, de martien. Aujourd'hui je voyage moins, la vie est différente, j ‘ai réalisé que les années passaient, qu'il y avait quand même des artistes intéressants et que c'était peut-être l'occasion d'accrocher le wagon. Avec Bashung, j'étais un peu dans la situation du fan qui déjeune avec l'artiste. Mais à l'origine, le but n'était pas de lui faire des chansons, juste de le rencontrer autour d'une table, avec sa sensibilité, son univers particulier, je suis allé le voir à l'Olympia, c'était absolument magnifique, des musiciens remarquables, une musicalité exceptionnelle, et lui, une sorte «d'archange noir, maniéré, au bon sens du terme, transcendant. je me suis dit qu'il y avait peut-être de l'espoir de ce côté-là. . . »

La scène, Manset n'en a tâté qu'à ses débuts, participant sporadiquement à un groupe de rock potache, dans les bistrots de Saint-Germain. Depuis, il s'est toujours refusé à l'envisager, arguant avec une mauvaise foi plus ou moins lucide de problèmes de logistique, d'encadrement musical. Pourtant, depuis quelques années, l'envie de fouler les planches semble tarauder notre rétif professionnel : 
« A partir de Obok, et pour le nouveau qui est dans la même lignée, je me suis dit qu'il fallait que je fasse des titres qui soient jouables sur scène, dans une optique, disons, plus rock. Avant, les chansons étaient trop compliquées,  avec beaucoup d'accords, de breaks, des trucs à rallonge. Maintenant, j'ai du plaisir à articuler les textes, un plaisir vocal qui n'existait pas avant. Une chanson comme « Fauvette », je prends la guitare sèche, ça roule tout seul. La scène, j'ai toujours trouvé ça impudique mais je ne critique pas ceux qui sont conçus autrement, genre Manu Chao qui saute en l'air et qui adore ça, je ne suis pas fait comme ça, c'est un handicap. Si je m'en réfère au bouddhisme, qui dit qu'il faut prendre la voie médiane en toutes choses, que les extrêmes ne sont pas bons, j’aurais sans doute dû, depuis longtemps, trouver un juste milieu, raisonnable, entre les concerts, la promo, les médias. Ça, c'est la théorie, dans la pratique j’ai du mal. Il faudrait une autre vie. . . »

S'il tolère les gens qui « sautent en l'air », Manset le maussade rigoureux porte un regard sans complaisance sur ce qu'il est convenu d'appeler « la nouvelle chanson française », 
« Il y a bien des sortes de potacheries amusantes, avec un trombone, un bandonéon et une fille qui chante, mais ça ne m'intéresse pas, je ne vois pas émerger de textes, pas un seul auteur, sauf peut-être Cali qui m'a semblé sortir un peu du lot, avec son petit côté sauvage, grande gueule, pas fade. C'est délicat pour moi de parler de Raphaël, il a d’énormes qualités musicales, c'est un auteur-compositeur, avec un univers personnel, je n'aime pas ses arrangements, il le sait, mais je ne peux pas critiquer parce que j'ai commencé un peu comme ça moi aussi. Cette tendance à en surajouter, à en mettre des couches, comme si au restaurant on commandait à la fois langouste, foie gras, caviar et Chateaubriand béarnaise. »

Dans son dernier roman, « Les Petites Bottes vertes », publié l'an dernier, Manset le baroudeur immobile se fait conteur intime pour retracer à sa façon son parcours initiatique, des rues de Saint-Cloud au Royaume de Siam. À la façon du Kerouac de « Sur la Route » qui met en scène son copain Neal Cassidy, il a choisi de se raconter à travers le personnage de Malek, fidèle compagnon de tribulations à qui il a jadis dédié la chanson « Quand on perd un ami ». Une sorte d'autobiographie à la fois poétique et crue, où défilent en vrac parents, amours, famille, amis, relations et aventures, mais qui, curieusement, ne lève que peu de voiles sur l'énigme Manset : l'histoire d'un gamin rebelle qui rêvait de vivre au grand jour tout en préférant l'obscurité. 
«J'ai fait des choses dont je suis fier et, avec le recul, je suis satisfait de la vie que j’ai menée. Mais, parallèlement, ça relève peut-être de l’analyse, l'individu que je suis a une sorte de propension à cultiver l’échec. Ce qui m'est arrivé des centaines de fois, parfois dans des situations cruciales : quand un objet est placé là, sur la table, qu'il suffirait de le prendre et de le changer de place pour qu'il en tombe un jackpot, qu'il infléchisse la destinée de façon positive, eh bien non, je ne le prends pas. Par souci de ne pas déranger les choses, mais surtout par refus systématique. Ça doit remonter à l'enfance, ce sentiment de n'être pas apte, pas légitimé... On me dit parfois "C'est merveilleux ce que tu produis". Je l'entends comme si j’avais bricolé un bout de pâte à modeler. Et finalement, ça me satisfait.»

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GÉRARD MANSET : Entre violence et dégoût
par MICHEL TROADEC (Chorus n°66 / Hiver 2008-2009)


Fin d'été, banlieue parisienne, un studio d'enregistrement anonyme entre deux maisons. Gérard Manset y travaille sur la vidéo de « Ô Amazonie », le single de son nouvel album « Manitoba ne répond plus » ... quarante ans après « Animal on est mal ». 1968-2008. Rencontre avec l'un des auteurs-compositeurs français les plus atypiques et intemporels, des plus secret aussi, aujourd'hui courtisé par ses pairs, de Jane Birkin à Juliette Gréco en passant par Indochine, Michel Fugain, Raphael, Alain Bashung, Julien Clerc ...

CHORUS : Deux ans seulement après « Obok », on découvre presque un autre Manset, amateur de ballades, comme si tu ressentais moins de rancœur vis-à-vis de ce monde qui se mord la queue ?
GÉRARD MANSET : Tu veux dire accepter plus sereinement la dérive? C'est une illusion, car si on prend les textes mot à mot, il y a autant de violence que dans les précédents. La sérénité apparente n'empêche pas la violence. « Le Pays de la liberté » est sévère parmi les sévères. « Voulez-vous savoir » est relativement violent aussi. « Comme un Lego » tire vers le blues. Il y a toujours de grands écarts. On passe de « Dans un jardin que je sais », sorte de plénitude de la poésie, de la sérénité et du rêve, à « Genre humain » au scénario d'une rare violence. Alors, c'est vrai, le reste, c'est des romances ... C'est surprenant qu'il soit surprenant, ce disque!
- On y ressent plus de douceur, de féminité, de lumière ...
-­ Tant mieux. Je ne pensais pas que ce serait aussi visible et ce n'était pas mon but. C'est étrange comment la musicalité, la mélodie, les arrangements peuvent créer une enveloppe. Cela vient aussi, je pense, du piano. Il y en a beaucoup. Et Serge Perathoner (ex clavier de Michel Berger) a un toucher un peu particulier, assez british. Les cordes aussi, c'est très féminin, ça arrondit les angles. Je me dis que « Fauvette » ou « Jardin des délices », dans « Obok », pourraient s'être inscrits dans cet album de la même manière. C'est la même veine d'inspiration.
- J'insiste. On y ressent aussi plus d'intimité ...
-­ Peut-être ... Avec l'âge, tu commences à atteindre des niveaux de sensation, de sensibilité que d'autres, plus jeunes, n'ont pas encore. Exemple :  j'ai toujours été très impressionné par Beethoven, Brahms, Tchaïkovski, Rachmaninov ... mais Chopin ne m'intéressait pas. Aujourd'hui, le compositeur que je prends le plus de plaisir à écouter, sans le placer devant les autres, c'est lui. Ce n'est pas Chopin qui a changé, c'est moi. Ses concertos pour piano sont d'une beauté ... tout le reste est d'une grâce ...
- Dans ce disque,  as-tu des préférences ?
-­ Je suis très content de « Quand une femme », car elle était difficile. J'en ai fait beaucoup de versions. Raphael est venu poser quelques guitares électriques à la fin. Et je suis surtout content de « Genre humain ». Je la place comme l'une de mes chansons emblématiques. Je commence à en avoir quelques-unes à mon actif dont je suis assez fier. Peut-être aurait-il mieux valu que ce soit un Léo Ferré qui la chante ... Mais parfois, j'ai de la chance : Bashung a chanté trois de mes chansons magnifiquement.
- « Genre humain », c'est l'improbable rencontre de deux vagabonds,  un vieux,  un jeune.  Comment est née cette chanson?
-­ Tout vient toujours en même temps, instantanément, paroles et musiques. J'attends, vient la première phrase :
« J'ai remonté la Seine jusqu'au Pont des arts», avec de beaux accords de guitare. Et puis ça tourne : « C'est là que je venais, par la rue des Beaux-Arts / Pour un chocolat chaud, une miche de pain/ Installé tout au fond, avec le genre humain. » Arrivé là, j'étais bien ... Que va-t-il se passer? « Et je me suis assis, j'ai vu venir quelqu'un.» Le gosse qui vient, c'est aussi un rebelle. Évidemment que je me retrouve en lui. Comme, dans « La Mort d'Orion » : « Je me suis rattrapé quelques instants plus tard/[. ..] Je me suis pris à la gorge, j'ai serré, j'ai serré, j'ai serré/ D'être meilleur ou pire à l'avenir/ Mais qui sait ce qu'il va devenir... » C'est le même.
- « Comme un Lego » a été enregistrée par Bashung. Pourquoi la reprendre ?
- Les deux textes ne sont pas tout à fait identiques ... Non, j'avais simplement envie de proposer ma version, une sœur jumelle, avec quelques petits chœurs. Mais évidemment, je jubile quand Alain la chante. « Comme un Lego », c'est du Manset 100%, c'est « Animal on est mal »... quarante ans plus tard. « Genre humain » est plus périlleux. C'est une histoire concrète, genre Aznavour avec sa chanson sur les Gitans ...
À qui s'adresse « Comme un Lego » ?
- Au début, je m'adresse à mon voisin de palier, à ma fille, à un enfant universel. Peut-être le gosse qui est dans « Genre humain ». J'utilise des mots, des images qui sont ses codes à lui. Peu à peu, je me mets à prononcer des choses plus dures. Et j'avance. On arrive dans la cité, dans l'actualité. Là, on ne s'adresse plus à personne. Seulement à la ville, au ciel, à ce qu'on veut ...
- « Le Pays de la liberté », description d'un monde devenu d'horreur, de misère, est d'une toute autre forme ...
- Dans « Comme un Lego », on est presque dans la thèse philosophique, ça pourrait être un professeur de fac qui s'adresse à ses élèves ... Dans « Le Pays de la liberté », on n'est pas du tout dans la démonstration mais dans le voyage, le témoignage, de notre envoyé du bas-fond des égouts ...
- « Le Pavillon de Buzenval » évoque aussi un paradis perdu ...
- C'est un titre qui se rapproche, pour l'inspiration et l'époque, de « Matrice » ; il aurait pu être là, avec « Banlieue nord ». Ou dans « Revivre ». C'est peut-être la seule chanson qui pourrait illustrer certaines pages des « Petites bottes vertes », mon roman de l'an dernier [voir Chorus 60, p. 103, Ndlr]. Une époque ancienne, libre et belle, de rencontres féminines, adolescentes, d'un monde chatoyant, sensuel... « Frère, elle n'en avait pas », que j'ai écrite pour Julien Clerc, pourrait en être la prolongation. La rencontre d'un garçon et d'une fille dans une brasserie, un soir ...
Il y a rarement eu autant de chansons  d'amour, de femmes dans tes chansons !
- Parfois il suffit d'une phrase en plus ou en moins pour créer une impression générale. En l'occurrence, la pierre angulaire c'est « Quand une femme », qui éclaire l'album d'une féminité rassasiée, sereine, nostalgique aussi, d'une femme d'un certain âge qui se regarde ... C'est comme un tableau de Vermeer... ou plutôt de Corot, je préférerais.
- « Dans mon berceau, j'entends » est d'une grande douceur ...
- C'est une chanson que j'avais présentée à Carla Bruni pour qu'on la chante ensemble, car on avait prévu trois duos dans cet album :  avec Carla, Bashung et Nilda Fernandez, avec qui j'ai fait une très belle chanson, « La Mélancolie » ...
- « Manitoba ne répond plus », c'est un titre de la série BD Jo, Zette et Jocko. Pourquoi ce clin d'œil à Hergé ?
- Il n'y a jamais de clin d'œil chez moi, c'est toujours sérieux ... C'est le subconscient. Je suis en train d'écrire :  « ô Amazonie, que tu es loin » et paf, l'accord tombe ; je continue :  « Un matin.je reviendrai/ J'ai survolé la piste, Amazonie. » Je me voyais voler ... Et arrive « Manitoba ne répond plus», car dans ma tête, Manitoba c'était un zinc planté dans la forêt équatoriale, pas du tout la couverture d'Hergé. Mais j'ai mélangé, c'était tellement loin. Après, j'ai cherché un titre au disque. Celui-là m'a semblé comme une équation non résolue, une énigme qui, pour les gens de ma génération, revêt une signification. Le monde est divisé en deux : ceux qui connaissent l'Hergé de cette époque-là et les autres ...
Venons-en à ton travail d'auteur. Que se passe-t-il pour qu'on te retrouve ainsi, aujourd'hui, sur plein de disques et pas des moindres ? De Jane Birkin, Juliette Gréco, Bashung, Clerc ...
- Les gens me demandent ... Ça a démarré avec Raphaël. Avec Bashung, on s'est croisés de loin en loin, puis on s'est revus lors d'une soirée. C'est moi qui l'ai rappelé, pour le plaisir de le connaître en privé. Mais c'est lui qui m'a demandé si j'avais quelques chansons ...
Ces chansons, tu les écris spécialement ou tu pioches dans ta réserve ?
- Quand on me demande, je regarde d'abord si j'ai un machin en magasin ... Pour Gréco, c'est l'évocation du nom, le titre (« Je jouais sous un banc ») est venu dans les trente secondes ...
D'être aussi demandé, cela flatte ton ego ?
- Ce n'est pas le mot. Si ça m'est arrivé deux-trois fois d'être fier dans ma vie, c'était gamin pour une remise de prix. Depuis, jamais. Mais quand j'ai vu Alain, à l'Olympia, attaquer par « Comme un Lego », seul à la sèche, là oui, j'étais fier. Parce que ça existait. C'est la différence entre l'ego et la satisfaction.
Et il reprend aussi « Il voyage en solitaire »...
- Je l'ai considéré comme une gentillesse de sa part... Cette chanson est très périlleuse. À l'époque, j'ai enregistré une première prise sur un Yamaha demi-queue qu'on venait tout juste de recevoir. Sauf que le piano n'était pas accordé. J'ai refait ensuite des prises avec un son parfait, mais je ne sais pas pourquoi, je suis revenu à la première, qui a le bon tempo, le feeling ... malgré des notes basses qui sont fausses. La voix, les cordes aussi ne sont pas au diapason ... Mais au moins avec cette version on ne s'endort pas, alors que si j'avais à refaire ce titre aujourd'hui, il pourrait devenir facilement soporifique parce qu'il est très monotone.
Où en es-tu de ton activité d’écrivain ?
- Un roman sort cet automne. Pas un truc perso cette fois mais une dérive onirique et déconneuse, « À la poursuite du facteur Cheval ». Assez atypique dans le paysage littéraire. L'idée a beaucoup plu chez Gallimard. Donc, je suis sur un petit nuage. 
-­ Reparlons encore une fois de la scène. Il paraît que tu as un peu répété ?
- Oui, sur « Obok », et ça s'est très bien passé. J'ai des musiciens très motivés, mais toujours cette réticence à me présenter sous mon nom, dans la lumière, au centre ... En même temps, j'ai beaucoup de chansons à présenter sur scène.
Si tu ne te décides pas maintenant, tu ne le feras sans doute jamais ...
- C'est vrai, l'âge compte, les années passent. Vraiment, je n'en sais rien ... Surtout si cela oblige à une certaine médiatisation. Pour mon roman, l'an dernier, on m'a invité sur les quatre télés importantes ... et je n'y suis pas allé. Je n'ai pas envie que mon image soit prise, manipulée, coupée, montée, utilisée ... Je trouve ça très impudique, débectant. Je me sens comme les Indiens qui refusaient qu'un appareil emprisonne leur image. Et maintenant on a multiplié ça par mille avec la vidéo, l'Internet ... J'aurais la sensation de me plonger dans un bain sale, plein d'immondices où tu te retrouves mélangé au tout-venant ...
Qu'est-ce qui pourrait te faire changer d'avis ?
- Déjà qu'il n'y ait pas d'image, aucune captation. La salle dans le noir, pas de flash, la scène assez profonde pour que je sois au fond, quelques petits spots pointus ... Un peu comme Dylan, qui se présente sans éclairages, à deux cents mètres du public, sans parler à personne. Bon, je ne voudrais pas non plus que les gens s'imaginent que je me fous d'eux. Je n'aime pas le public, ça ne veut pas dire que je n'aime pas les gens ... Je suis très heureux que mes chansons puissent faire frémir, trembler, pleurer, mais je n'ai pas pour autant envie d'endosser l’habit du trafiquant, du faiseur, du bricoleur ... En fait, je suis prêt à y aller ... à 99 %. Il manque le 1% du psy.

 
 
Manitoba ne répond plus
Comme un Lego ­ Dans un jardin que je sais ­ Le Pays de la liberté­ Aux fontaines j'ai bu ­ Quand une femme ­ Genre humain ­ Voulez-vous savoir ­ ô Amazonie ­ Le Pavillon de Buzenval ­ Dans mon berceau j'entends. (44'58- Capitol-EMI)
Gérard Manset s'est fabriqué une destinée d'un genre que l'on voit plus chez les écrivains que chez les artistes de variétés,  quelque  part à l'écart, avec des humeurs de  moraliste,  des  sentences d'Alceste. Ses albums adoptent toujours des positions philosophiques et spirituelles, des formes volontiers sévères et raides. Le miracle perpétuellement renouvelé de ses  albums est que l'on a le sentiment d'entrer dans un cloître cistercien et de sortir en réalisant que l'on a visité le palais du facteur Cheval, on pénètre dans un jardin à la française et l'on est plongé dans la luxuriance d'une forêt tropicale.
Après les larges ouvertures d'Obok en 2006, Manitoba ne répond plus adopte d'abord des couleurs plus étroites, plus tenues, notamment avec une chanson sobrement désespérée de plus de huit minutes : Comme un Lego, méditation existentialiste dont Alain Bashung avait donné sa propre version sur son album Bleu pétrole, la saison dernière. Avec son rock dru, sans vacarme, sobrement lyrique, Manset pose de belles questions tristes (« Voulez-vous savoir/ Quelle sorte de vie on a/ Sans le vouloir » qui irradient une lumière consolante.
Bertrand Dicale

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Émission MUSIQUES DU MONDE / RFI du 1/10/2008
Intervenants : Laurence Aloir (L.A.), Alain Pilot (A.P.)
 
L.A. : « Mais pour continuer à vivre, Gérard Manset dut sortir de cette poussette et se cogner aux humains ; quête d'ailleurs, nostalgie de l'innocence perdue, dégoût du monde, méfiance pour la société du spectacle, Manset sort son nouvel album, « Manitoba ne répond plus ». Les adorateurs de Jo, Zette et Jocko y verront un clin d'œil et puis il y a une bande dessinée d’Hergé. Et pourtant c'est sur un fleuve Amazone que les Manitoba se taisent ou se crashent ; alors bien qu'il ait peu de considération pour les médias, essentiellement la télévision où il refuse de se rendre, Gérard Manset a accepté notre invitation dans ces « Musiques du monde », et notre vœu, réalisé avec la complicité d’Alain Pilot.
Gérard Manset, c'est une pièce de puzzle qui illustre votre nouvel album « Manitoba ne répond plus », alors vous imaginez des rébus, vous chantez « Comme un Lego », un jeu de construction auquel, semble-t-il, vous avez échappé et qu'Alain Bashung a créé sur l'album « Bleu Pétrole » au printemps 2008 et votre disque « Manitoba.. » se termine avec le titre « Dans mon berceau j’entends, … j'entends chanter le vent, comme un petit enfant… » malheureusement Gérard Manset, vous n'avez plus l'âge de vous prendre pour un petit roi dans une poussette, dans un monde que vous ne comprendriez pas…. »

G.M. : « C’est probablement un retour à l'enfance un peu…euh, inattendu parce que, bon c'est dans le titre « Ô Amazonie », il me vient cette phrase, je suis toujours un peu en suspens quand je compose et donc quelquefois l'accord raisonne et puis j'attends que la phrase vienne, et alors il me vient cette phrase, j'ai survolé la piste qui est tout-à-fait emblématique de ce qui… l’Amazonie, on survole toujours des pistes donc j'ai survolé la piste et points de suspension et instantanément m'est venu ce « Manitoba ne répond plus » le refrain, il s'est brisé les ailes, contre un amas de bambous, il s'est cassé debout, mais en quelque sorte, dans mon esprit, ce Manitoba remontant des limbes était une sorte d'avion planté dans la savane ou dans les…, dans la forêt vierge, et après quand j'ai récupéré la couverture d'Hergé en l'occurrence, non, oui il s’agit plutôt d’un savant fou, genre « l’Île Mystérieuse » et avec un robot et c'est vrai que l’on peut avoir la nostalgie de, non pas de l'intra-utérin mais du berceau tout simplement. Quelquefois on voit des enfants passer dans des poussettes, ils ont l'air d'être les rois, des centres du monde, ils voient tout à 30 cm de haut, on les promène et on les balade dans un monde qu’ils ne comprennent pas, c'est le plus grand privilège, c’est de ne pas comprendre les choses, je me suis battu depuis très longtemps pour expliquer que la transparence était la pire des avanies du siècle, mais voilà, et donc tous ces petits-enfants se baladent et ils ne savent rien de ce qui les entoure, sinon que c'est beau, c'est lumineux et ça suffit pour continuer à vivre, quoi… »

A.P. : « C’est vrai que le monde de l’enfance est toujours là, Gérard Manset, il y a ces Lego, cet univers de la bande dessinée, ce berceau dont on parlait à l'instant, comme un petit enfant, comme un petit jouet, une poupée, ce n'était qu'un gamin, ça vous ennuie finalement quand on a envie d'essayer de comprendre également, vous, votre intention dans ce que vous écrivez ? »

 G.M. : « Moi, il n’y a jamais eu d'intention hein…depuis 40 ans je dis la même chose, c'est toujours une inspiration à l'état brut que je maîtrise quand elle arrive, mais je suis une sorte de médium donc je choisis ce qui arrive mais je ne suis pas responsable de ce qui arrive sinon que le seul paramètre que je considère devoir garder c'est ce qui pourrait se résumer à la beauté. Et voilà, dès que quelque chose me semble esthétique, beau, élégant, bien abrasé par tous les bouts, je le conserve. »

L.A. : « Vous voulez dire aussi que l'écriture chez vous relèverait de quelque chose de quasiment automatique, comme si vous étiez un canal, ce qui va rendre fou de jalousie le reste des auteurs… »

G.M. : « Un récepteur, oui bien sûr et c’est beaucoup de chance, je ne sais pas d'où j'ai hérité de cette particularité que j'entretiens et que je préserve, parce qu'il faut faire très attention ; il suffit que je descende le matin, en général je suis très imbriqué dans la…, ce qu’on peut appeler la société ou la ville ou la cité, donc je me balade, je prends des crèmes dans les cafés, je lis des journaux, je regarde les gens autour de moi et puis je remonte, et donc le simple fait de marcher mécaniquement, que la semelle tape le pavé de manière tellurique, il y a des choses qui remontent, je sais pas d'où elles viennent, je ne sais pas, elles étaient planquées, et puis elles ont enfin un canal pour ressortir, sorte de filaire poétique qui remonte jusqu'à ma cervelle, et puis j'arrive, je n'ai plus qu'à choisir….. »

L.A. : « Gérard Manset, le thème de l'eau est souvent présent dans vos textes, vous avez chanté la matrice, le liquide amniotique, ici sur « Manitoba ne répond plus », je vous entends, de votre voix plaintive et hypnotique chanter « Aux fontaines j'ai bu », sur le titre « Quand une femme », vous faites couler de l'eau le long de ses reins et sur « Ô Amazonie », vous évoquez ces bassins bleus comme du verre… »

G.M. : « Je rêve très très très souvent de liquide, de rivière, de mer toujours sur des couleurs extraordinaires. C’est, je pense, encore une fois en remontant à l’enfance ou tout au moins la prime jeunesse peut-être lié à des… peut-être pas des parties de pêche, mais à des vadrouilles solitaires, éveillé et m’éveillant, eh bien de se trouver nez à nez avec oui, des surfaces liquides, en général transparentes puisque moi c'était plutôt les rivières à truites, ou des choses comme ça, les algues et donc cette sorte de cristal émerveillé a dû me rester… »

L.A. : « Les bords de Marne ou bords du Mékong… »

G.M. : « Ah je serai beaucoup plus bords de Marne… ah oui oui, bien sûr, non de Marne ou de Méditerranée, je crois que je porte en moi une sorte de Grèce antique ou de bassin méditerranéen bien que je ne sois pas né là-bas, j'y ai été raisonnablement quand j'étais jeune avec mes parents mais sans plus, je pense que la nostalgie que j'ai moi de la Vallée de la Marne, c'est celle que l'humanité dans son entier doit détenir de la… du bassin méditerranéen. »

L.A. : « Votre disque « Manitoba ne répond plus » démarre avec « Comme un Lego », un titre également chanté par Alain Bashung sur « Bleu pétrole », est-ce que vous avez toujours des difficultés à écouter vos morceaux ou c'est quelque chose que vous pouvez aborder aujourd'hui parce que ma question c'est, quelle est la version qui peut-être vous touche le plus, la vôtre ou celle qu’en a faite Alain Bashung ? »

G.M. : « Ah ben la mienne ne peut pas me toucher, elle me touche quand je la chante, tout seul avec ma sèche en studio avec le casque quand je l'ai fait avec les musiciens, voilà in vivo, à la réécoute elle peut pas me toucher, ça ne peut être que celle d'Alain Bashung qui pourrait me toucher forcément c'est une sorte de regard autre plaqué, et notamment de phrasé ou de phrases autres que la mienne qui est plaqué, lui il a débité les trucs comme ça à l'état brut, il a d'ailleurs fait une seule prise, je crois, sur ce titre qui fait 8 minutes mais alors, par contre sur le plan strictement technique j'aime beaucoup la mienne, sans ça je l'aurais pas mise et je l'ai mise surtout aussi parce que je suis en admiration devant ce qu’a fait Alain sur son album sur les trois titres que je lui avais donnés, c'est « Vénus » et « Je tuerai la pianiste » et j'ai voulu, j'ai tenu quand même de toute manière à mettre mon « Comme un Lego » que j'avais enregistré avant qu'il le mette en chantier lui, parce que, il manque dans sa version, alors c’est peut-être du nombrilisme, je ne sais quoi ou les trucs de… il manque le phrasé qui est le mien qui est différent, moi j’accentue les « e » finale et machin bon voilà, j'ai une articulation autre qui est pas vraiment plus satisfaisante, je n'en sais rien mais c'est la mienne, certains ou d'aucuns trouve mon timbre de voix très intéressant peut-être, d'autres ne le supportent pas, mais comment dire, il a cette caractéristique d'éteindre effectivement les mélodies, vous avez des gens qui les mettent en avant, il y avait Jean Sablon, vous pouvez lui faire trois notes, on a l'impression qu’il y a une mélodie, il y avait, qui n'est plus de ce monde, comment il s'appelait, Salvador, chantait 4 notes, il y avait une mélodie magnifique, une voix extraordinaire et puis voilà, et puis il y en a d'autres, c'est un peu mon cas, qui éteignent les mélodies, je crois d’ailleurs que c'est un petit peu le cas d’Alain qui rattrape ça comme ça, par une sorte de découpe, d'articulation et de timbre de voix qui fait que, on s'en fout un peu qu'il y ait une mélodie ou pas, il y a l'instrumentation autour… »

L.A. : « La version de « Il voyage en solitaire » de Bashung… »

G.M. : « Là, je crois que c'est plutôt par gentillesse qu’il l'a faite, était-ce bien nécessaire, je ne sais pas, enfin au moins voilà, c'est une marque de, de… d'estime de sa part donc je suis très content mais il est très casse gueule ce titre, hein, même moi, j’aurais à le refaire, il n’est pas dit que ce soit pas une savonnade de… bon enfin voilà… »
 
L.A. : « Le refaire sur scène… ? »

G.M. : « Pourquoi pas enfin, je ne crois pas que si je faisais de la scène, je ne crois pas que je ferai le solitaire
L.A. : « Vous auriez peur ? »

G.M. : « Peur, non, non, mais je suis un peu trop malheureusement, un peu trop conscient des… j'aimerais pas l'entendre, moi… »
 
A.P. : « Ça avance quand même votre rapport avec la scène depuis des années ? »

G.M. : « Ça n’avance pas vraiment, ça avance dans ma tête, ça a avancé avec quelques musiciens, avec quelques tourneurs mais non, le point c'est vrai, là, qui donne à réfléchir aujourd'hui, c'est que le métier s'écroule sur le plan des ventes physiques dues au téléchargement donc bientôt tout sera gratuit, disponible instantanément à sa sortie, tout le monde s'en fout, tout le monde trouve ça normal, bon, donc il va rester que la…, que la musique vivante peut-être le live quoi, donc l’expression scénique. Je crois que c'est ou on fera de la scène ou on fera rien… »

A.P. : « Quand vous êtes allé voir Bashung à l’Olympia… »

G.M. : « C’était prodigieux… »

A.P. : « Vous aviez envie d'être à sa place ? »

 G.M. : « Oui là, je pense que… on peut tous avoir envie d'être à sa place, mais c'est pas donné à tout le monde d'abord, moi il y a des choses que je sais faire et y’en a d’autres qui me paraissent quand même assez problématiques, c'est pas de chanter, ni dans les répètes que j'ai faites, c'était absolument magnifique, j'ai aucun problème, en studio j'ai aucun problème, d’ailleurs je fais tout très vite, dans les conditions du live, non c'est plutôt le… l'aspect psychologique je ne… j'ai beaucoup de mal à m’imaginer au centre du truc, applaudi…
»

 A.P. : « Vous trouvez toujours ça impudique ? »

G.M. : « Impudique… »

L.A. : « Obscène ? »

G.M. : « Peut-être pas jusque-là, je me suis un peu calmé, j'ai peut-être dû dire ça il y a longtemps, pour certains oui obscène, pour certains oui… »

L.A. : « Qu’est-ce qu'il y a d’obscène de monter sur scène… ? »

G.M. : « Ah non, l’expression… »

L.A. : « Quand un musicien ou un artiste devient obscène ? »

G.M. : « C’est lui peut-être qui l’est intérieurement, c’est pas… c’est la manière de s’exprimer, de s'extérioriser qui devient quelquefois obscène, alors l'équilibre il est… il est très périlleux, il y en a qui s'en sortent très bien, on reprend Salvador par exemple, quelle que soit la nature de la chanson qu’il aura pu chanter, ça a duré 50 ans je pense, rien n'a jamais été obscène de sa part, même Brel je trouvais ça, alors on va pas dire obscène, mais dérangeant, très dérangeant… »

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Sous les étoiles exactement
Serge  Levaillant reçoit Gérard Manset.
FRANCE INTER 3/10/2008


Gérard Manset, sous les étoiles exactement, sur France Inter.
-Je suis ravi de vous revoir, d'autant plus que vous accordez très très peu d'entretiens, vous n'êtes pas du style à faire de la promo. D'ailleurs vous n'êtes pas en promo cette nuit, c'est une visite amicale. Comment allez-vous?
-Ben très bien, très bien.
-Et pourquoi vous allez très bien?
-Parce que je viens d'entendre « Quand une femme » et que je ne suis pas mécontent de la manière dont j'ai géré les 101, 110 problèmes qui peuvent apparaître au fur et à mesure de l'orchestration, de l'écriture, retrait d'une phrase, rajout d'une autre, virer un pont, mettre des cordes, ne pas en mettre, faire revenir un guitariste ou... Enfin voilà, il y a mille questions qui se posent quand on est seul maître à bord et que finalement tous les choix qui s'offrent peuvent être validés ou non. À l'arrivée, on le réentend quelques semaines après, sorti de tous ces aléas problématiques et puis voilà l'état brut et finalement on voit les pièges être dépassés les uns après les autres. Bon c'est pas mal.
-Et le profane que je suis peut penser que ça a pris une journée, première prise, c'est bon.
-Ben, c'est à dire en réalité la première prise est toujours bonne, enfin toujours... on va dire, elle est toujours utilisable, la seconde aussi. La troisième, non, après, j'en ai 15 formules. Ça m'est arrivé sur un certain nombre de titres. Je me souviens, par exemple d'un, qui s'appelait "Capitaine Courageux". "Capitaine Courageux", il y a au moins 15 ans de ça, sur je ne sais plus quel album, Revivre peut-être, "Capitaine Courageux", j'avais fait des codas. Je ne voulais pas que le titre se termine comme il se terminait. Donc j'avais des codas, c'est la fin d'un titre.
J'en ai au moins peut-être essayé, alors j'étais seul sur un piano, une sorte de piano acoustico-électrique, et très beau, c'était l'époque où il y avait des sons magnifiques. J'ai dû avoir peut-être 15, 16, 17, 18 fins avec des harmonies qui changeaient, avec des mots en plus, des mots en moins. "Oh... capitaine, que le vide emmène sous les étoiles...", je sais plus, donc quelques phrases comme ça.
Et alors là, donc je changeais de tonalité. Et puis à un moment, il faut bien s'arrêter, choisir.
— Quelqu'un vous le dit, il faut s'arrêter?
— C'est moi, mais avant, je fais quelques petits tests avec des proches. Et puis vous savez, la meilleure...écoles, enfin les circonstances les plus... comme ça cruciales, c'est in vivo, c'est à dire que bon, je sais pas, lors d'une séance par exemple, il se peut que j'ai dû, après avoir écarté un certain nombre de formules sur cette coda, en passer une, puis voir la tête des gens comme ça je...c'est même pas voir la tête des gens c'est simplement le fait de ne plus être seul avec son bébé en circonstance comme ça, d'être avec en vis à vis même de quelqu'un qui n'écoute pas, la seule présence de....on change d'autres choses, on retire, on rajoute des choses qu'on croyait très maligne peut-être pas, mais enfin très essentielles, sont superflues. Puis à côté de ça, des trucs qu'on avait virés initialement à l'inspiration, qui semblaient comme ça tout à fait anodine, deviennent cruciales.
-C'est une chanson extrêmement sensuelle.
-Oui, j'ai cru que vous alliez dire sensible, et vous avez terminé par sensuel. Oui, je sais pas, j'y vois plutôt une sorte de chaleur humaine, de compassion, que de sensualité, mais après tout, chacun la reçoit comme il l'entend.
-Elle est extraite d'un album intitulé « Manset 2008, Manitoba ne répond plus ». Vous avez tout fait?
-Oui.
-Et je dis bien tout.
-Oui, enfin, c'est devenu une marque de fabrique. Mais, encore une fois, je l'ai dit souvent, comme je suis dans quelques interviews, la presse et tout ça, c'est un truc qui devient récurrent. Ce n'est pas du tout un égo démesuré. Il est très loin d'être démesuré, mon égo. Je vis avec, je m'entends très bien avec. Mais non, c'est simplement que, les quelques fois où j'ai voulu collaborer, ça ne se passe pas toujours très bien. Soit les gens sont très compétents, ça arrive, mais néanmoins, ils ont d'autres chats à fouetter, ils partent à la campagne, ils ont des coups de fils, ils ont une vie de famille, ils ont tout ce qu'on veut, mais ils n'ont pas de raison d'entrer dans un produit autre que les leurs et encore en ont-ils, que plus de quelques heures par jour. Bon moi j'y suis 24 heures sur 24. Donc il y a un moment où on ne peut pas attendre patienter, piétiner, agacer, emmerder les gens pour finalement avoir des réponses sur des projets dont ils n'ont... Voilà, c'est pas le leur, c'est pas leur bébé, c'est comme si effectivement...La notion de bébé d'ailleurs est très proche, une notion familiale quoi, quand vous avez des enfants, vous allez pas les faire... demander l'avis du voisin sur comment doivent-ils s'habiller, faut-il les moucher, qu'est-ce qu'on leur donne à manger, non! On s'occupe de ces choses-là soi-même, et ben voilà, moi mes chansons c'est mes bébés, je m'en occupe moi-même.
-Il y a une vingtaine d'années, il m'était paru intéressant de parler des pochettes de disques, en plus c'était à l'époque du vinyl.
Les pochettes étaient particulièrement flamboyantes et j'avais fait tous les étages et je m'étais retrouvé chez un imprimeur qui faisait régulièrement des pochettes de disques et qui m'a confié que le seul artiste qui soit venu lui rendre visite c'était vous.
-Bien sûr. De même que j'étais là lors des impressions de tous les ouvrages que j'ai pu sortir, qu'ils soient photos ou simplement textes. Enfin j'ai toujours été derrière les machines. Bien sûr, dans tous les domaines. L'image animée, l'image fixe, son, coupage, collage, scotch.
-C'est par crainte ou c'est pour apprendre?
-Non, c'est pas du tout pour apprendre parce que... Il y a un certain nombre comme ça de domaines techniques que j'aurais plutôt cherché à éviter, genre Pro Tools, le numérique d'aujourd'hui, toutes ces... Mais on est agacé là, par contre, on entre dans une génération où la plupart des intervenants... on se demande d'où ils sortent et finalement sont très peu compétents. Et on est obligé de passer derrière, il y a des bugs, entre guillemets, il y a des trucs qu'il faut refaire. Enfin c'est très très très très difficile d'avoir des collaborateurs, ne serait-ce même que des assistants, qui soient compétents. Donc ils sont très souvent là, ils vous bousillent le truc, sans s'en rendre compte et tout à fait absolument pas méchamment, ils sont très gentils, souvent un peu indolents, et quand on tombe sur une perle, alors là, c'est assez délicat, long. Moi, je finis par en avoir quelques-uns, bien évidemment dans mon entourage. Il faut bien. Mais voilà. Donc c'est plutôt par un souci d'économie, de rage de dents, de mal de tête et de nuits passées à refaire des trucs qu'il faut finalement décider d'apprendre toutes ces techniques soi-même, quoi. Et j'ajoute, ... pardon, il y a le côté aussi ludique...
Je prends l'image des gouaches découpées de Matisse. Je suis quand même toujours dans ce côté, c'est un petit peu pour ça que j'ai mis le puzzle sur la pochette de "Manitoba ne répond plus". L'anecdote, elle est simple. J'avais eu au moins... J'ai dû essayer une quinzaine d'éléments graphiques, plastiques, d'images, de photos, de trucs pour cette pochette qui devait s'appeler d'abord en premier lieu "Manitoba", ensuite "Comme un Lego", ensuite... "Le pays de la liberté", je suis revenu à "Manitoba", et donc, un peu indécis, mais les jours passants, et je me trouve au pied du mur à devoir choisir le document, alors là, en déjeuner, par terre, dans un caniveau, je vois une poignée d'un puzzle qui avait été foutu en l'air. Et voilà, j'avais ça sur le trottoir, c'était ce qu'il me fallait. J'en ai pris une dizaine d'éléments que j'ai, après, composés d'un certain nombre de manières, sur des images, sans les images, avec des lettrages, sans les lettrages, sous les lettrages, 40 possibilités pour finalement en arriver à l'essentiel, à la substantifique moëlle, un seul élément de puzzle au milieu de la pochette. Voilà.
-Sous les étoiles exactement sur France Inter avec Gérard Manset, extrait de cet album que l'on découvre mieux cette nuit, "Manitoba ne répond plus", à l'écoute de ce morceau on se dit que ce serait bien en scène quand même...
-C'est une question?
-C'est une réflexion, mais oui je vous pose la question...
-Oui, oui, on se dit et je me dis la même chose, bien sûr, non non non, surtout que j'ai des très très bons musiciens, et que je commence à aimer mon matériel et celui qui le compose. Non, non, mais donc je suis en règle avec tout ça. Bon, on verra. Je l'ai déjà dit sur "Obok", j'ai dit on verra, mais il y a eu des répétitions sur "Obok", j'ai fait, j'ai pas... ça s'est très bien passé, mais j'ai pas entériné l'affaire. Il aurait fallu valider, j'ai pas validé. Bon, il y a la réalité de l'âge aussi. On commence pas à la scène à l'âge que j'ai, mais enfin, bon, après tout, je m'en fous un peu.
Non, j'ai pas de...  la réponse est open. C'est la porte ouverte, mais on verra.
-Vous attendez des propositions?
-J'en ai eu. Ils commencent tous à se fatiguer. Ça fait 15 ans à peu près qu'à chaque album, il y avait un tourneur qui faisait des démarches, jusqu'au dernier qui a été très élégant et qui a pris sur lui quelques journées de répétition dans les conditions tout à fait normales, parce que je voulais voir, je voulais être en situation. Donc non, là je crois que je suis au point où... un matin ce sera à moi de décrocher mon téléphone en disant je signe les yeux fermés, c'est pas une question d'argent d'ailleurs, mais simplement si je signe, il faut que je parte pour 6 mois, 1 an et j'ai pas envie de faire 5 dates, ça m'intéresse pas. C'est où on change de vie, on bosse avec une équipe pendant un certain temps, comme j'ai du matériel qui s'y prête, oui, alors après, est-ce que la santé, la fatigue, les machins, les réveils, tout ce qu'on veut, le planning, moi j'ai toujours été très très très libre, le fait de m'engager sur un an, un an et demi, de savoir que le je sais pas quoi, le 21 machin du temps, truc, dans 6 mois et demi, plus un jour, la nuit, à 3 heures du matin, on va chanter à je sais pas où, à Bourges, à Chartres, c'est pas un truc qui me... Bon, je sais pas. En même temps, c'est un voyage, donc pourquoi pas. Peut-être qu'un voyage que je n'ai pas encore fait...
-Vous dites changer de vie. Il vous semble que c'est aussi un autre métier?
-C'est pas un autre métier, mais c'est une autre vie. C'est un autre... Les horaires sont différents. La fatigue, l'attention, le contact, je sais pas quoi, une sorte d'idolâtrie. On est comme au centre du truc, les limousines viennent vous chercher, la bouteille de champagne elle arrive, on vous la pose devant vous, voilà, c'est des tablées de quinze, c'est quand même... Voilà, même à mon niveau, même si je suis très sobre, très réservé et très éloigné de toutes ces choses-là, je veux dire, par la force des choses, c'est comme ça. Dans un hôtel, c'est la chambre la plus calme, la meilleure, c'est les breakfasts à n'en plus finir. C'est voilà, bon, voilà, c'est comme ça. Bon, donc c'est une autre vie, quoi.
–Et plus souvent, c'est la 4L qui vient vous chercher.
– Ah non!
– Gros rouge qui tâche.
– Ah bah non, non, mais ça, évidemment que ce ne serait pas ça, évidemment que ce serait... voilà, évidemment que ce ne serait pas ça.
-Ado, lorsque vous êtes entré en musique, au moins dans les espoirs, vous rêviez de scène?
-Ah non, pas du tout. J'ai jamais rêvé, au contraire, c'est même quelque chose que je trouve assez débectant. C'est peut-être pas le mot, c'est peut-être un peu... Non, pas dévalorisant non plus. Déplacé, voilà le terme. Non, je trouve le statut de notoriété, enfin d'être... comme ça, le centre, le point de mire, je trouve ça assez déplacé.
-Vous allez voir les amis ou vos interprètes?
-Je vais en voir très très peu, très rarement, en général je pars tout de suite ou au bout de 3-4 titres j'y vais plus par amitié, voilà, comme ça pour une sorte de petite communion rapide, soit dans les loges après, soit pour voir quelques titres au début du spectacle et évidemment que je l'ai déjà dit mais...
Il m'est arrivé quand même, là très récemment de voir un spectacle en entier, à la limite presque d'en redemander. C'était Alain Bashung quand il a fait l'Olympia. C'était absolument sublime, d'une musicalité exceptionnelle, une leçon absolument magistrale, bon.
-Alain Bashung qui vous chante...
-Bien évidemment que c'est une des raisons aussi pour lesquelles j'y étais. Il attaque avec "Comme un Lego"... voilà, après les pendules sont remises à l'heure. Il a une voix démente, il est tout seul avec sa sèche, puis après il y a les quatre musiciens là, pfff... tous des pointures. Non, c'est d'une beauté. Là, ça fait regretter de ne pas avoir commencé ça il y a 20 ans, quoi. Maintenant que la scène en est à ce point magique quand elle doit l'être. Mais il n'y en a pas beaucoup en France qui sont de ce niveau-là. Bon, voilà.
-J'ai un objet, des plus intéressants, très beau, dans les mains. Vous le connaissez, c'est un tirage limité.
-Oui, bien sûr, évidemment.
-Vous pouvez nous en parler?
-Eh ben, c'est un petit livret. Vous savez, il y a ce côté, cette dérive, finalement peut-être positive, mais qui moi me pose des problèmes parce que je n'ai pas beaucoup de choses à donner, qui est que maintenant, commercialement, il faut toujours des séries limitées, et que notamment la Fnac...comme on est en partenariat avec la FNAC, elle a demandé une série limitée FNAC. Donc il faut quelque chose à rajouter, à scotcher avec, à vendre pour 0,50€, même pas, c'est le même prix, je crois... enfin, bon. Et donc tout ça, fait travailler des quantités de personnes, en général dans la maison, au niveau marketing.
Et notamment, en ce qui me concerne comme je suis à la base de tout, et bien je me presse le citron, suivant l'expression triviale pour arriver à sortir, je sais pas, quelque chose qui ne soit, ni de la vidéo parce que j'en ai pas, ni des bonus tracks parce que j'en donnerai pas, voilà, ni des raclures de studios comme en général. Bon, voilà, alors en quoi? Alors j'ai eu cette petite idée. Alors il y a deux ans sur "Obok", j'avais fait ce petit bouquin « 9 alternatives à "Obok", qui était une bonne idée puisque c'est une manière littéraire de, ou tout au moins par le texte, de présenter mon interprétation des chansons d'"Obok", parce que j'en avais un petit peu marre que les gens croient à chaque fois, que ça voulait dire un truc, alors que ça voulait dire autre chose, bon, et que ça voulait dire simplement ce qui était écrit, bien évidemment. Et là, l'idée était pas mal, qui était de... sur la version limitée standard, de réutiliser des playback de certaines chansons qui avaient des orchestrations pas mal, donc voilà. Et puis là, sur la Fnac, de mettre...,Il doit y en avoir 16, 16 chansons que j'ai fait pour différents artistes, là, depuis 2 ans ou 3 ans, la plupart paroles et musique et certaines simplement les textes.
-Alain Bashung, Jane Birkin, Julien Clerc, Michel Fugain, Juliette Gréco, Indochine, Philippe Lavil, Florent Pagny, Raphaël. C'est un beau générique...
-Eh ben oui.
-Vous êtes heureux?
-Euh....
-Lorsque vous regardez votre sillage dans le rétroviseur...
-Ah, bien sûr...
-Ces beaux noms, là.
-Ces beaux noms... c'est vrai, le terme est exact... C'est ça, ces beaux noms... Non, non. C'est valorisant, bien sûr. Je suis très content. C'est pour ça que je trouvais que l'idée était bonne. Moi, elle a eu l'air de plaire. Et puis voilà. Et puis on peut se dire que certains connaissaient telle ou telle chanson, mais ils savaient pas que j'étais peut-être à la base de... d'autres. Il y en a qui ont découvert, bon, dû à... allez... à je sais plus quoi, à quelques manifestations récentes ou quelques déclarations récentes de Ségolène Royal, que finalement, c'était moi qui avais fait ce titre pour Juliette Gréco. Bon, "Aimez-vous les uns les autres", donc petit à petit les gens entrent dans l'histoire.
-Sous les étoiles exactement sur France Inter, Gérard Manset avec cet album, "Manitoba ne répond plus". Vous faites toujours de la photo?
-Oui.
-Quel genre de photos?
-J'en ai fait beaucoup, j'ai fait du noir et blanc, j'ai fait beaucoup de Kodachrome, justement je devais sortir un bouquin où il y avait que du Kodachrome de l'époque 64 asa. J'ai fait du 6-7, j'ai fait du 6-6, j'ai pas fait de plaque.
Mais j'ai fait du laboratoire, j'ai développé beaucoup et j'ai voilà...tiré beaucoup. J'étais très très bon en labo, en noir et blanc.
-C'est magique ça?
-C'est magique évidemment.
-Quels sont les sujets de vos photos?
-Oh bah c'était surtout en... puisque j'ai voyagé beaucoup, c'était du clic-clac. Alors après, on m'a dit...Enfin, quelques relations, quelques amis dans ces univers photos un peu machin ou reportage. Non, il semblerait que j'ai... une sorte de regard un peu particulier de cadre. Je travaillais, et je travaille toujours d'ailleurs, excessivement rapidement, avec un grand angle en hyperfocale donc ça permettait de... pas de problème de mise au point en général et paf.. et de shooter des trucs dans la rue, dans les machins, dans les... En général le 28, pas le 24. Je peux partir sur des détails techniques comme ça parce que je...
– Faites ce que vous voulez.
– Bon d'accord. Non ben voilà, c'est tout. Tous mes amis reporters de l'époque ne travaillaient tous qu'au 24, avec un premier plan. Non, moi j'ai jamais eu le 24. Bon, j'étais au 28. Voilà, et puis le 35 et puis c'est tout. Puis j'ai eu les Pentax, j'ai eu les Nikon, j'ai eu voilà. Mais j'étais pas du tout Leica. J'ai jamais été Leica.
-Vous dessinez également?
-Oui, j'ai fait tout le trafic aussi. Arts-déco, machin, gravure, salons, tous les trucs quand j'étais jeune. J'ai sorti un ouvrage il y a deux ans qui s'appelait Les Petites Bottes Vertes. J'en parle un peu, voilà, bon.
C'est une autre vie, on ne peut pas tout faire, mais oui. Je m'étais d'ailleurs... J'avais même imaginé que je terminerais ma vie en peignant, quelque part dans les îles, je ne sais où, aux Philippines, ailleurs, Indonésie, quelque part par là, peut-être l'Afrique, mais... Et non, il semblerait que ce soit délicat, ou que le temps passe sans que je réalise vraiment, donc j'ai toujours d'autres choses à faire, j'écris beaucoup, voilà.
-La photo, le dessin, on dit que cela apprend à voir.
-Oui, peut-être, je me suis jamais posé la question, mais c'est vrai que je suis quand même... un aficionado de ce qu'on pourrait appeler entre guillemets la beauté. D'ailleurs, tout à l'heure dans un entretien, c'est un petit peu ce qu'il en resterait. J'ai dû terminer là-dessus. Sur le rôle d'un... Tout au moins, mon rôle, si j'avais un rôle à tenir, si j'étais là pour quelque chose, qu'est-ce que je véhiculais dans mes albums ou qu'est-ce que j'avais l'impression de véhiculer? C'est à peu près la seule chose qui m'intéresse. On vient d'entendre "Dans un jardin que je sais", je trouve que c'est la beauté absolue. C'est la Grèce antique, c'est Athènes, c'est tout ce qu'on veut. Qui se soucie de ça aujourd'hui, je ne sais pas, je suis plus proche de Poussin que de l'art contemporain et des bicyclettes clignotantes qu'on expose un peu partout, et voilà...
-Vous-même vous exposerez vos dessins, vos photos? Vous les ferez paraître dans un livre?
-Il en a été question, il en est question. Je ne sais pas si c'est le moment, je ne sais pas trop à quoi ça sert. J'ai la chance d'avoir, on va dire, été une sorte de nouveau venu accepté très chaleureusement dans la Maison Gallimard avec la collection Blanche et donc... Je suis depuis, on va dire, deux ans, une sorte de petit paradis, des gens charmants, érudits, disponibles, nombreux, qui n'ont l'air de ne vivre que là-dedans, que dans la typo, que dans la mise en page, que dans la relecture. Bon, ça semble surréaliste qu'un tel domaine, univers, existe encore. Donc pourquoi pas, peut-être. Mais je veux dire, maintenant, je vais faire très attention à ce qui doit être publié, alors peut-être qu'un jour, si les circonstances s'y prêtent, il y a un service beau livre. J'ai d'ailleurs pas démarché. On verra. J'y penserai peut-être quand le moment sera venu. Mais tout ça existe. On verra.
-Sous les étoiles exactement sur France Inter en compagnie cette nuit de Gérard Manset. Nous parlions de littérature, vous avez fait paraître il y a quelques temps un énième ouvrage, le quatrième, le cinquième?
-Je ne sais plus trop, il y en a quelques-uns, ça dépend dans quelle catégorie on les classe, mais oui.
-Celui-ci s'intitule "Les petites bottes vertes" et à vous que l'on reproche parfois...d'entretenir le mystère, de ne pas vous montrer, de ne pas parler de vous. Là pour le coup dans ce livre, vous vous êtes dévoilé.
-Oui, c'est un roman mais qui reprend une bonne partie des années 70, l'époque studio de Milan. D'ailleurs j'avais failli l'appeler, je ne sais pas quoi, "les années Milan", de mémoire comme ça, avec l'associé ami avec lequel j'avais fait ce studio et puis bien évidemment les quelques visages de l'époque.
-Alors, le studio Milan, c'était votre studio, pas mal d'artistes s'y sont présentés. Pour les gens de ma génération, Ange par exemple.
-C'est vrai.
-Tout feu, tout flamme.
-C'est vrai. Un peu plus tôt René Joly...
-Oui.
-Et avec qui vous avez fait un sacré tube, c'était "Chimène".
-C'est vrai.
-Étienne Roda-Gil fréquentait aussi ce studio?
-Euh, bah il enregistrait pas au studio de Milan, mais il est venu, j'ai tout un reportage photo avec lui, parce qu'il était, on va dire, partenaire intellectuellement solidaire et à l'époque, oui à l'époque "solitaire", justement "Il voyage en solitaire", mais... "Y'a une route"... et tout ça, avec un dénommé Philippe Constantin, qui avait les éditions Éco-Musique à l'époque, Pathé-Marconi, et donc on faisait un petit trio, Étienne avait monté ses éditions, voilà... Non, non, il était très souvent là, Étienne.
-Dickou ?
-Ah, Dickou, bien sûr, Dickou... Toujours le verbe haut, toujours aussi sympathique, et voilà, qui maintenant il doit être dans son ranch quelque part. — -Alors c'est Dick Rivers.
-Voilà.
-Aujourd'hui, vous avez votre studio ?
-Non. Il n'y a plus, de toute manière. Même les studios professionnels ont beaucoup de difficultés. Il en reste quelques grands bâtiments, allant à la dérive sur des océans de... Voilà, de vacuité musicale mais...
-J'ai du mal à vous imaginer solitaire. Or vous avez chanté souvent la solitude.
-Non mais je...
-Là, c'était rassurant d'entendre parler d'amis.
-Oui, non, non, mais je ne travaille pas seul contrairement à ce qu'on croit. Simplement, je coupe, encore une fois, voilà, j'élague, je colle, je scotche, seul. Je suis obligé de prendre toutes mes décisions, seul. Mais j'aime beaucoup la confraternité.
-Vous chantez aussi beaucoup l'enfance?
-Oui, parmi le reste, oui. Oui, c'est lié. Je marquais tout à l'heure, parce que j'ai vu une feuille et j'écrivais. Je ne sais plus par quel titre on a commencé, par « Quand une femme » et j'ai écouté avec un certain ravissement, j'ai découvert finalement ce que j'avais fait, puisque je l'oublie très vite et je ne les réécoute jamais, et j'ai marqué « Conte de fées ».
Donc voilà, on entre toujours dans un conte de fées, avec quelquefois ses bons moments, et quelquefois ses moments plus périlleux et plus pénibles, comme dans l'album, d'ailleurs un titre je crois qu'on écoutera pas ce soir, mais qui est "Le Pays de la Liberté". Voilà, quelques fois y'a le... le paysage change, et c'est l'orage qui s'amorce, voilà.
-Vous voyagez toujours?
-Moins, beaucoup moins, mais d'autres voyagent à ma place. Les avions sont pleins.
-Oui, et alors?
-Ben voilà.
-Ils vous racontent, ils vous rapportent ce que vous voulez.
-Non, j'ai pas besoin qu'ils me racontent ce qu'ils voient en communauté. Mais je veux dire, voilà, un clou chasse l'autre.
-Et pour le coup, vous préférez les voyages en solitaire?
-Ah non, ça s'est terminé depuis très longtemps. Et je n'ai jamais préféré les voyages en solitaire. Il y a eu les voyages Fac-Langueso-à Dauphine, oui, enfin, où là, découverte de certaines langues mais non je... si il y a des pays bien ou mal qu'il faut découvrir seul, il y a des langues qu'il faut découvrir seul, il y a des itinéraires qu'il faut découvrir seul, mais bon ça, tout le monde fait ça à 20 ans, à 30 ans, à 40 puis après quand même on préfère voyager au moins partager, discourir.
-Qu'est ce qui nourrit votre inspiration? Les souvenirs bien sûr?
-Je pense que....que c'est toujours une sorte de nourriture venue de l'au-delà ou de...de réminiscences généralisées, globales, de quelques voix, V-O-I-X aînées qui doivent se balader dans l'espace et qui m'ont pris comme médium. Et donc il suffit que je marche un peu. Le matin, en général, c'est le matin, sur un macadam quelconque et je pense que du rythme des pas et du choc du talon contre le sol, de façon comme satélurique et ancestrale, certaines choses remontent, passent dans les mollets, dans la poitrine, montent dans la cervelle et il suffit que je me retrouve devant une table avec un papier, une feuille, une guitare et voilà et c'est parti. Ils se mettent à parler à travers moi.
-On vous reconnait dans la rue lors de ces marches ?
-Ah ça peut-être, mais enfin on ne se manifeste pas depuis belle lurette. Non heureusement, soit on m'ignore gentiment ce que je préfère, soit quelques fois très rarement, quelques-uns m'ont tendu la main et voilà, ils m'ont salué gentiment, mais bon.
-Vous avez un site internet?
-Non.
-Même pas de MySpace?
-Non pas du tout, surtout pas MySpace.
-Mais...
-Qu'est-ce que vous reprochez à MySpace?
-Je sais pas, une sorte d'imbécilité globale mondialisante.
Alors oui, certains retrouvent des connaissances perdues et qu'ils n'auraient jamais retrouvé sans ça, mais je sais pas, je suis d'une génération où on a beaucoup de mal à imaginer ne pas devoir son bonheur au hasard, ou à la prédestination, mais pas à la machine.
-Bien. Pas de site officiel non plus, sur le web.
-Pas de site officiel, il y a une page sur l'album, là, mais c'est tout.
-L'album est en vente partout?
-L'album est en vente partout. Il va d'ailleurs être suivi puisqu'on parlait des "petites bottes vertes" d'un ouvrage dont je ne dirai pas le nom, mais qui sort dans très peu de temps, pareil, encore à la Blanche. Assez burlesque, assez barré, mais ça a eu l'air d'amuser tout le monde dans la maison, on verra.
-Ce sera l'occasion de se revoir.
-Eh ben pourquoi pas! Alors là, il y aura du discours autour, là...
-Je vous remercie infiniment d'être venu nous rejoindre cette nuit. Je le redis, vous donnez très très peu d'entretiens. Une conversation à bâtons rompus comme ça.
-Voilà, eh ben bonsoir ou presque bonjour, alors...
- C'était très agréable et j'espère que les auditeurs ne se sont pas sentis isolés et qu'ils vous aimeront mieux désormais. À bientôt.
-A bientôt.
-Bonne route.

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