Gérard Manset : « Je suis un plasticien du son »

par Rémi Bonnet (L'écho républicain) Publié le 26/11/2017

42016Figure mystérieuse et tutélaire de la culture musicale française, Gérard Manset répond à nos questions à l’occasion de la réédition d’un de ses albums-clé : Long, Long chemin. Rencontre.
On l'imagine comme un Charles Foster Kane retiré dans son Xanadu. Parfois, on se demande même si ce n'est pas un personnage de fiction inventé par quelque magicien facétieux.
Mais non, Gérard Manset existe bel et bien, on l'a rencontré, un après-midi ensoleillé d'octobre à Paris. Et il a bien voulu parler. Ce qui n'est pas si courant.
Depuis ses débuts en 1968, le chanteur refuse systématiquement les passages obligés d'une carrière dans le show-business : pas de concerts, pas de photos (ou presque), pas de télé, et très peu d'interviews. Il réédite en cette fin d'année sa discographie presque complète, ainsi qu'un album qui restait dans les cartons depuis 1972, Long Long chemin. Il nous livre quelques clés pour comprendre son univers.
Depuis vos débuts, vous avez une vision du monde très décalée et personnelle.
Oui, mais pour des raisons différentes. Pendant la première moitié de ma vie, j'étais triste et nostalgique. Je me sentais illégitime. Aujourd'hui, j'ai gagné cette légitimité, mais j'ai gardé ma mélancolie.
Vous n'avez ni prédécesseur, ni héritier. C'est assez étonnant.
Je suis, tout d'abord, quelqu'un de studio. Je me considère comme un plasticien du son. Je n'ai rien à voir avec la chanson française, c'est un terme réducteur. Si je devais me définir, ce serait comme auteur-compositeur-interprète.
Vous deviez quand même vous sentir seul à vos débuts, dans les années 60.
Lorsqu'on écoutait Salut les copains, on tombait tout le temps sur Claude François. C'était atterrant. Il dominait tout. Il y avait un grand écart, une vraie facture entre la variété de l'époque et ce que faisaient Magma, Ange, ou moi.
Vous ressortez Long Long Chemin après l'avoir laissé au placard pendant 45 ans. Quel est votre regard rétrospectif sur ce disque ?
C'est fragile et naïf. Je le considère un peu comme mon album « Michel Berger ».
On s'imagine que vous prenez un temps infini à composer et enregistrer vos chansons.
Non ! Elles me viennent en bloc. C'est comme une évidence. Je ne m'assois pas à une table en écrivant des rimes. Je recherche la poésie.
Vous êtes en permanence dans le contrôle, mais en tant qu'auditeur, on est dans le lâcher-prise. Il faut accepter d'être perdu quand on vous écoute.
Ça vient d'un malentendu. Il y a un dogme qui dit que l'on doit comprendre ce que fait le créateur. Mais c'est faux ! Et l'artiste ne comprend pas forcément ce qu'il fait non plus.
Ça vous énerve d'être résumé par votre tube, Il Voyage en solitaire ?
Non, c'est un bon raccourci pour entrer dans mon univers.
Quatre albums pour entrer dans l’univers complexe et foisonnant de Gérard Manset
La Mort d'Orion (1970). Il y a des fans qui ne s’en sont toujours pas remis. Sorti en 1970, cet astre noir, qui ne doit rien à la chanson française, a gagné, au fil des ans, la réputation d’un album visionnaire, hermétique, intimidant, mais culte. Si vous ne l’aimez pas, inutile d’aller plus loin dans l’œuvre de Manset.
Long Long Chemin (1972). Gérard Manset aime jouer avec les nerfs de ses fans. Il a attendu quarante-cinq ans avant de rééditer LA pièce manquante du puzzle. Soit une suite de sept chansons aux arrangements luxuriants, qui se termine par l’hallucinée Jeanne et ses onze minutes de cauchemar mystique. Brûlant.
Il voyage en solitaire (1975). Le voilà, son tube, le seul (ou presque). Il Voyage en solitaire est le raccourci idéal pour se plonger dans l’œuvre de Manset. Un disque « grand public » qu’on peut offrir au novice sans trop se tromper.
Manitoba ne répond plus (2008). On l’a choisi pour un seul morceau : Comme un Légo, découvert dans l’ultime album d’Alain Bashung, Bleu Pétrole (2008). C’est l’une des chansons les plus belles et les plus intenses des dix dernières années. Hé oui, carrément !


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GÉRARD MANSET : «DES GENS COMME DALIDA, ÇA POURRISSAIT L'ÉPOQUE»
Par Christian Eudeline (VSD n°2104 / 14-12-2017)

Il refuse toute émission de télé, ne donne aucun concert et c'est sans doute ce qui a contribué à façonner sa mystérieuse aura. Ça, plus un talent unique pour concocter des disques géniaux et flinguer ses contemporains.
Solitaire mais parisien, Gérard Manset est déjà installé à la table d’un café de la porte de Saint-Cloud lorsqu’on arrive. Grand, lunettes noires qui tranchent avec sa tignasse blanche (mais vous ne le verrez jamais ainsi : depuis trente ans, il refuse de poser), il nous affirme ne pas avoir très faim mais commande une généreuse part de tarte aux figues : « Vous en voulez ? Je ne la finirai pas. » Il l’avalera en entier. Manset ne se pose pas de questions et n’aime d’ailleurs pas trop qu’on lui en pose. « On ne vous a pas prévenu ? Je n’aime pas que mes entretiens soient enregistrés ; vous pouvez prendre des notes ? D’ailleurs je n’aime pas trop les questions-réponses. Vous allez faire un portrait, n’est-ce pas ? Je ne lis jamais les interviews, je trouve ça chiant. »
VSD. Pourquoi ?
Gérard Manset. Parce que l’on voit le monde à son image. Les questions ne veulent rien dire.
C’est peut-être pour cela qu’il y a tant de légendes vous concernant ; ces bandes que vous auriez détruites, par exemple.
Mais je n’ai jamais dit ça ! C’était Pathé-Marconi qui ne me les retrouvait pas ! (Il se calme.) Depuis, ça s’est amélioré. Le coffret intégral de l’année dernière, je l’ai réalisé avec les bandes 3/4 de pouce d’époque ; le disque qui ressort cette année, également.
Mais pourquoi tout faire vous-même ? À l’époque, vous vous occupiez de tout, écriture-interprétation-réalisation, mais aujourd’hui encore, tel Jimmy Page avec l’œuvre de Led Zeppelin, vous passez des heures à tout réécouter, à tout nettoyer.
Je n’aime pas que les choses disparaissent. Ensuite, il y a des titres que j’ai réécrits dix fois ; je tâtonne. Personne n’est dans ma situation. Un type comme Julien Clerc, il avait un ingénieur du son en studio, pas moi. Je n’ai pas la patience d’attendre, donc je me prends par la main, et puis je n’ai jamais eu les moyens d’avoir des esclaves. Le choix de tout faire, c’est la conséquence de la manière dont je crée. Je suis dans la tension, dans l’exultation, dans la gourmandise. Très tôt je me suis retrouvé au bas d’une falaise et je me suis dit : Gégé, tu vas te casser la gueule ! Il y avait de la méfiance et de l’angoisse, sauf avec Bernard Estardy, un excellent producteur.
Votre premier disque, « Animal on est mal », sort en 1968. Auparavant, vous aviez écrit pour d’autres, comme William Sheller, Laurent Malek ou Dalida.
À 20 ans, je suis aux Arts Déco et je suis un branleur. Je suis un dilettante qui fréquente le Drugstore (Publicis, en haut des Champs-Élysées, NDLR). Avec cet ami, Laurent Malek, je me suis glissé dans l’affaire. Comme dans les boums, je n’étais pas invité mais je parvenais à rentrer. Mes chansons étaient mauvaises, j’étais admiratif de Paul McCartney, mais j’étais un autodidacte. J’étais dans une démarche façon grotte de Lascaux ; c’était aussi instinctif que primitif. Je ne connaissais ni Verlaine ni Rimbaud. Je fonctionnais à l’instinct. Et, comme Picasso, quand je n’avais plus de rouge, je prenais du bleu, à moi de trouver la technique pour répondre à mon envie. Dalida, c’est à cause du 45-tours de William Sheller, dont j’avais signé les orchestrations, c’est lui qui m’a branché dessus. De toute façon, des gens comme ça pourrissait l'époque […]
Comment expliquez-vous votre succès ?
Sur la chanson « Caesar », il y a des chœurs, ce sont ceux de la messe de Notre-Dame pour l’enterrement du général de Gaulle. J’avais allumé la télé et enregistré ce que j’entendais même si je n’aurais jamais imaginé me servir de ça. Sur « Il voyage en solitaire », le piano était faux, pas accordé, mais j’ai enregistré dessus une première version de cette chanson. Un mois plus tard, j’ai voulu tout reprendre pour refaire les morceaux, mais ça ne sonnait plus. Qu’est-ce que je fais ? Un mix des deux versions […]
Vous marchiez à quoi ?
Je n’ai jamais rien pris de ma vie, je n’ai jamais pris de cocaïne ni donné dans la fumette. J’étais déjà assez désespéré, je n’avais pas besoin de me défoncer […]
C’est l’une des raisons pour lesquelles vous refusez les concerts : les téléphones portables pourraient immortaliser votre prestation.
Oui. À partir du moment où je ne peux pas installer de brouilleur à l’entrée, il n’y aura pas de concert. Je veux être maître de tout. Sinon, ça se retrouve sur Internet, c’est douloureux, c’est une atteinte très pernicieuse. Je ne fais pas une carrière publique, je suis dans le privé. Je n’ai aucune envie d’être sur la place publique.
Que pensez-vous de vos contemporains ? Qu’écoutez-vous ? Que lisez-vous ?
Claude François était un pitre. Tout le monde dans le show-biz pratique l’excès, chez Bowie ça n’est pas dérangeant mais chez lui, oui. Il est venu me voir et je pense que personne n’avait jamais foutu quelqu’un à la porte comme je l’ai fait ce jour-là. Il n’y avait que Roda-Gil qui pouvait faire quelque chose pour lui, c’était un talent. Je n’aime pas non plus les faiseurs du type Gainsbourg. Tout le monde lui cirait les pompes mais il était conscient de n’avoir aucun talent en musique, même s’il a fait quelques jolies chansons […]. Michel Houellebecq, je lui mets 20 sur 20. C'est le seul contemporain que je peux lire.
Dans votre dernier ouvrage, on croise quelques jeunes femmes qui vendent leurs charmes.
Dans les bars, la nuit, il n’y avait pas de prostituées. J’ai croisé partout tellement de beauté et de gentillesse que tout cela était simplement offert, et que si parfois ça ne l’était pas, ça n’était pas différent de ce que j’avais connu adolescent. J’ai eu la chance comme dans les années quatre-vingt de me promener dans un monde similaire à celui de Nerval. Il n’existe plus la moindre parcelle de ce monde-là aujourd’hui. Je me suis promené pendant vingt ans dans tous les coins du monde, et il y a davantage de pornographie aujourd’hui chez les gamins via Internet que chez les adultes que j’ai rencontrés lors de mes voyages.
Vous avez écrit pour Bashung et Julien Clerc.
Bashung, je ne l’ai pas bien connu, seulement sur la fin de sa vie, via le frère de François Armanet, Max. On a sorti notre premier 45-tours avec Julien Clerc au même moment. Bertrand de Labbey, son agent, m’a appelé quarante ans après, je commençais à entrer dans la légende. C’est comme Raphaël, il fait presque partie de la famille (une des filles de Manset est la manageuse de Raphaël, NDLR).
Une conclusion ?
Je n’ai aucun regret.
« Manset » est le troisième album studio sans nom sorti en 1972, il est réédité en tirage limité.
« Mansetlandia 1978/2008 - Escales », éd. Favre.

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INTERVIEW
-LIVRE-MANSETLANDIA-mercredi 18 octobre 2017-France-info

-Bonjour Gérard Manset.
-Bonjour.
-Merci d'être sur France info. Gérard Manset, le musicien, le chanteur, l'artiste vous êtes là parce que vous publiez chez Favre un extraordinaire recueil de six cents pages de photos, « Mansetlandia » ; « Mansetlandia » expliquez à nos auditeurs, qu'est-ce que c'est « Mansetlandia » ?
-Alors « Mansetlandia », c'est d'abord le titre que j'ai donné au coffret de l'année dernière qui reprenait les dix-huit CD, mais qui était juste absolument pas, divisible individuellement.
Donc il y avait dix-huit CD c'était à la Fnac…
- Cent quatre-vingt-cinq morceaux ?
- Voilà par exemple qui cette année d'ailleurs, sont éclatés individuellement, en même temps. Alors c'est justement parce qu'il y avait cette remise en avant du catalogue complet de CD, un par un, plus un inédit, enfin en CD, que j'en ai profité pour accrocher comme wagon nouveau, ce six cents pages photos, publié chez Favre, qui s'appelle, j'ai donné le même titre, « Mansetlandia » parce que, en quelque sorte, pendant très longtemps, on me demandait, on me posait des questions sur le voyage, quelques fois, j'avais sorti un roman ou deux…
-Oui…
-… un livre de photos, ici, il y avait quelques expositions, mais j'étais très disert là-dessus. Bon, comme ça et puis je ne voyais pas le temps passer. Et puis maintenant, effectivement, ça fait, c'est une autre époque, c'est un autre monde et j'ai trouvé que c'était effectivement la démonstration d'époque révolue, c'est comme ça et…
- Vous voyez vos photos comme celles d'une époque révolue?
- Ben oui, comme quand on lit les Malko, les SAS, les cent premiers numéros, évidemment que plus rien n'est pareil. Les avions ne sont pas pareils….
- Il y a des carcasses d'avions extraordinaires que vous avez photographiées à plusieurs endroits… où est-ce dans le monde d'ailleurs ? On n'a pas toujours la précision.
- Si…
- À la fin, tout à la fin…
- À la fin, au contraire, j'ai mis, j'ai tout légendé. Mais il y a tous les coins du monde, quasiment tous les pays qui étaient tous ouverts, disponibles, chaleureux, accueillants. Dans cette époque-là, oui, c'est mille neuf cent soixante-dix-huit deux mille huit…
- Oui.
-… qui signifie que vous en avez sans doute autant dès la période suivante.
- Moins… de moins en moins. J'en ai un peu après, j'en ai jusqu'en deux mille cinq, on va dire deux mille dix, huit, dix. Mais euh, non, non, non, tout ça n'a plus de sens. Tout le monde…
- Pourquoi ?
-… tout le monde a un boîtier numérique. On fait trois heures de queue pour le moindre enregistrement de vol, il y a un peu moins de visas, mais enfin, avant, il y avait quand même beaucoup de pays qui étaient sans visa. À l’arrivée, on arrivait. Je l'ai toujours dit, les avions étaient vides, j'appelais la veille, j'allais à l'aéroport… vides, à moitié vides et les compagnies ne faisaient pas faillite. On se demande comment tout ça marchait. C'est comme les boulangeries aujourd'hui, il y a des queues interminables et ils mettent la clé sous la porte alors qu'avant il y avait trois, trois gosses qui achetaient leur pain au chocolat. Et bon, ça avait l'air de continuer à vivre normalement.
- Il y a de magnifiques paysages, beaucoup d'enfants. Et puis ce qui m'a étonné, il y a des photos de vous, Gérard Manset. Parce que vous détestez votre image. Vous détestez en tout cas qu'on vous prenne en photo.
- Oui, mais là, c'est moi, ce sont des autoportraits.
- Ce sont des autoportraits, alors avec le retardateur, parfois
- Bien sûr.
- Et ça, ça vous supportez? vous avez supporté ça, vous l'avez fait vous-même.
- C'est une sorte de… de narcissisme voyageur. C'est à dire que oui, j'adorais autant les lits que les plats. - Beaucoup finalement de photos de vous qui n'aimaient pas votre image. Parce que finalement, le seul capable de photographier Manset, c'est Manset.
- Non, non, mais n'allons pas jusque-là ; d'abord, c'est pas que je n'aime pas mon image, c'est que je n'aime pas mon image quand elle est prise dans le boîtier de quelqu'un d'autre dont je ne suis pas responsable pour son utilisation…
- On peut vous aimer Gérard Manset et bien vous prendre en photo…
- C’est pas le problème. Je suis un peu, voilà, je suis un peu indien sur les bords. Chaman, quelque part, je n'ai pas…
- Vous avez peur qu'on capture votre image?
- Ce n’est pas que j'ai peur, je ne veux pas…
- Vous ne voulez pas.
- Je trouve ça tabou. D'ailleurs, d'ailleurs, j'ai toujours demandé quand je prenais quelqu'un…
- Son autorisation.
- À l'époque, la question ne se posait même pas.
Les gens adoraient, bon et puis on était dans un registre autre. Mais là, moi, j'étais quand même déjà quelqu'un de plus ou moins public et je n'aimais pas être véhiculé avec n'importe quoi. Non, non, mais, oui, bien sûr, c'est évident…
- Et à l'ère des smartphones, vous êtes un homme malheureux…
- J'évite les smartphones, c'est tout.
- D'ailleurs, vous avez un téléphone qui date d'il y a bien bien longtemps et dont vous ne vous servez évidemment pas. Vous travailliez, quand vous faisiez ces photos et quand vous en faites…
- Ça n'est que de l'analogique.
- Ce n'est que de l'analogique. Et quel genre d'appareil ?
- Nikon. Quelques fois un cinquante, posé. D'ailleurs, il y a deux ou trois photos qui sont posées. Je posais même le boîtier par terre la nuit. Et comme j'avais des pellicules qui couvraient tout…
- Vous laissiez faire…
- Ah non, pas du tout. Non, non. Je suis au contraire un grand technicien. J'avais mon labo, je développais, je tirais…
-Vous développez vous-même.
- Oui, évidemment. Et puis c'est du Kodachrome pour l'essentiel. Il y a du négatif aussi, mais c'était pour l'essentiel du Kodachrome.
- Nous sommes avec Gérard Manset, nous allons rester avec lui. On parlera peut-être quand même un tout petit peu de musique, pas seulement de photo…
- « Mansetlandia », c'est à la fois le titre de l'extraordinaire coffret avec tous les disques. On ne peut pas dire tous les disques de Gérard Manset parce que vous en avez enlevé. Il y a des disques qu'on ne trouve plus.
- Si vous dites le mot disque…
- Oui, je parle de disque absolument.
- Par la force des choses, oui, disque oui, j'ai remanié certaines choses. Les gens ne comprennent pas pourquoi. Enfin, quelques fois, il y a eu des commentaires sur des blogs, pourquoi il retripatouille tous ces trucs, je ne tripatouille rien. D'abord, je suis seul responsable à bord. Donc si quelqu'un, je ne sais pas qui Courbet, Rembrandt, Bonnard se réveille un matin, il a des toiles dans son grenier, il en voit quelques-unes.
Elles sont très bien, il y en a une. Il a envie d'y retoucher, il y retouche, c'est son problème.
- Vous avez même été jusqu'à évoquer le droit de repentir, je crois. Vous vous êtes dit …
- Ah ben oui. D'abord, il y a des.
- Il faut expliquer à nos auditeurs ce que c'est que le droit de repentir. C'est un artiste qui dit, mais ça, je ne veux plus qu'on l'écoute. Je l'enlève.
- Oui, exactement...
- Vous l'avez fait.
- Je ne l'ai pas fait. J'étais plusieurs fois sur le point de le faire sur plusieurs titres. Heureusement que je pouvais maîtriser leurs utilisations, tous ces titres et refaire des configurations.
- Si on parle de musique à l'ère du web, vous savez bien qu'on trouve tout, on entend tout, c'est une position très radicale et très paradoxale de votre part, mais qui est respectable.
- Oui enfin ça, ça remontait à plus d'il y a dix ans, puisque oui, depuis une dizaine d'années il y a le web et tout on ne peut pas faire grand-chose. Même n'importe qui, qui aurait eu un vinyle peut piquer un bout, le mettre sur le… voilà évidemment que maintenant… enfin, dans la mesure du possible avant le web, j'ai maîtrisé un peu la situation, c'est la moindre des choses.
- Vous parliez des commentaires sur vous? Vous lisez un peu les trucs sur internet, tout ça…
- Non, très rarement, heureusement d'ailleurs… je n'ai pas internet et
- Vous n'avez pas internet?
- Non, non je, je vais au McDo ou je vais quelque part pour relever, même pas un mail, mais pour aller voir un Wikipédia sur un auteur, sur un truc deux minutes. Mais c'est une grande bibliothèque, pourquoi pas? Mais le reste, non. De tout ce qui est… il vaut mieux pas, vaut mieux s'en tenir à l'écart. C'est démoralisant.
- Vous allez me démentir si je me trompe. J'ai lu une interview, quand vous avez sorti le coffret de disques, dans laquelle vous dites, pas de concert parce que je ne supporte pas ces smartphones qui pourraient capturer et votre image et votre musique?
- Oui, pas de scène. Oui, oui. Enfin, il n'y a pas eu de scène en partie depuis une quinzaine d'années, depuis, Obok, parce qu'il y a eu des répétitions.
- Qui étaient formidables, en plus, d'après ce que vous dites vous-même…
- Mais, exactement. J'étais tout à fait sur le point d'y aller. Et puis quand même, personne ne pouvait gérer cette histoire de smartphones.
Je l'avais vu avec Bashung puisqu'à l'époque, il y avait comme un Lego et tout ça. Et quand j'avais été voir un peu sur Internet, ce qui passait de lui, c'était des trois minutes…
- Et ça vous pouvez pas…
-…deux minutes de la salle, le n'importe comment, avec des trucs qui bougent, un son pourri et tout ça, non, c'est pas que je ne veux pas, j'en sais rien, ou on fait tout, ou on ne fait rien quoi…et
-Est-ce que Gérard Manset accepte que je passe, un tout petit bout d'un morceau que je trouve, un des plus beaux morceaux de lui, qui s'appelle « 2870 ».
- Bien sûr.
- Je ne peux pas passer plus parce que c'est votre voix qu'on a envie d'entendre. Mais, chers auditeurs, si vous ne connaissez pas « 2870 », vous en prenez pour quinze minutes dans les oreilles. Et ça reste d'une actualité incroyable ce morceau…
- Oui, alors un petit détail, c'est un vinyle effectivement, qui a dû sortir je sais pas, en 78 par là.
La pochette était faite par Hypgnosis. J'avais été à Londres
- Un masque d'escrime !!
- Oui, oui, c'est une des rares fois où je m'étais un peu forcé à faire quelque chose comme tout le monde. C'était la grande époque Pink Floyd et donc ce titre. Alors voilà, j'étais peut-être, le premier… Peut-être, pas le premier au monde, mais tout au moins en France, je crois une face entière d'album.
- Je vais vous poser une question que je pose à tous mes invités. Vous savez, sur nos smartphones que vous détestez, on peut faire des mises à jour. La mise à jour, ça revient à modifier, ou à changer quelque chose, à effacer quelque chose. Mais vous qui avez effacé et modifié tant de choses, vous n'avez plus rien à effacer, Gérard Manset ?
- Déjà en photo, Je n'ai rien effacé. Non, je n'ai même pas travaillé sur les Photoshop d'aujourd'hui. Oui, effectivement, un petit contrat, c'est un truc comme ça. Mais ce qu'on faisait en laboratoire, on faisait des masques en laboratoire…
- Et dans votre vie. Qu'est-ce que vous auriez envie d'effacer?
- Effacer, c'est beaucoup dire. Mais il y a des choses dont on ne peut pas parler. On ne peut en parler qu'en privé…
- D’accord…
-… avec des gens qu'on connaît. Ce sont des histoires, quelquefois…
-… des histoires personnelles.
- Il y a infiniment de choses qu'on ne peut pas évoquer en quelques phrases, même en un chapitre de bouquin. Il faudrait passer une nuit, des nuits, des semaines et j'en suis arrivé même au triste résultat de comprendre que même parmi mes proches, beaucoup de gens qui n'ont pas vécu ce…j'allais dire chemin de croix, faut pas exagérer mais ce chemin tout court, ne peuvent pas réaliser. Donc on arrive, on arrive très vite dans la vie, au milieu ou après le milieu de sa vie, si on est à peu près lucide, à comprendre que finalement non, il y a ceux qui ont vécu, vu, ressenti, supporté la même chose et puis les autres qui ont vu d'autres choses probablement. Mais enfin bon, le discours là, est difficile.
 - « Mansetlandia » le coffret, « Mansetlandia » l'album de photos. Merci infiniment, Gérard Manset d'être passé par France Info.
- Merci, merci beaucoup.


Gérard Manset complète son intégrale "Mansetlandia" par un livre et un CD inédit/
Franceinfo publié le 22/11/2017
Auteur compositeur interprète, photographe et écrivain, Gérard Manset complète son anthologie discographique parue l'année dernière. Le CD "Long, long chemin" et Mansetlandia, un livre composé de nombreuses photos et de quelques textes viennent conforter ce voyage artistique autour du globe. Une planète vue côté routard par l'un des plus secrets artistes français.

D'un côté un CD, version inédite en numérique d'un album paru en 1972, de l'autre un album de 600 pages de photos prises autour du monde et de textes composés eux aussi dans ces interstices, presque hors du temps et de l'espace, que Gérard Manset aime à explorer depuis la fin des années 60.
L'album de musique s'intitule "Long, long chemin" et comporte huit chansons, soit une de plus que le disque vinyle original. Mais ce n'est qu'une apparence, à l'origine deux des morceaux ("Celui qu'il sera demain" et "Celui qui marche devant") n'en faisaient qu'un. Hors-série à tirage limité, il n'est pas disponible sur les plateformes de streaming ou de téléchargement. Gérard Manset ne se galvaude pas. Son travail a un prix, on pourrait presque dire qu'il faut le mériter. Il est là, comme un voyageur solitaire depuis "Animal on est mal", chanson de 1968, et l'oratorio "La mort d'Orion". Manset, maître à penser sans secte, sait que son public trouvera le chemin de l'album et du livre.
Long long chemin, de Gérard Manset Long long chemin, de Gérard Manset (Parlophone)
Les chansons ne surprennent pas. Si Manset a mûri et s'est enrichi au fil des décennies et de ses voyages en Asie, Afrique et Amérique Latine, sa voix est restée la même. Comme mal assurée, elle garde toujours son étonnante précision dans la froide évocation de micro-événements, de visages croisés, de silhouettes entrevues, de matins chauds et humides, de cafés avalés à Phnom Penh, Manaus, Djibouti ou Brazzaville. Comme désabusé. Un regret dans la forme : pourquoi avoir choisi de livrer le CD dans un format trop grand pour entrer dans le coffret de l'intégrale parue l'année dernière ?
Mansetlandia 1978 / 2008 Escales, le livre, pourrait constituer la version papier de ces chansons. Sur six cents pages de photos, le lecteur-auditeur retrouve ces infimes parcelles d'un quotidien exotique, sans jamais être folklorique, qui font l'alpha et l’oméga des chansons de Manset. Au fil de ses pages, on croise des visages, des adolescentes trop vite grandies (au Marin' bar ?), des chambres d'hôtel pour routards, chambres d'Asie, des banlieues (nord ?) tristement ensoleillées, des fruits tropicaux oubliés sur une table... Maisons sur pilotis ou chats efflanqués, l'ailleurs de Manset n'est jamais luxueux.
De chacune de ses photos, on peut se dire : "ça je pourrais le faire". La différence, c'est que Gérard Manset prend ces images que d'aucuns jugeraient banales. Leur accumulation en dit pourtant long sur l'homme et sa manière de voyager. Et sa manière d'explorer le monde pour le traduire en textes et chansons. Et puis, surprise ! Le chanteur-photographe-écrivain-voyageur apparaît plusieurs fois. Lui, si jaloux de son image, daigne nous la livrer. Toujours austère, comme préoccupé, en attente. Toujours en voyage. Il est là, caché par un appareil photo dirigé vers un miroir, assis sur un lit d'hôtel, entre quelques moinillons bouddhistes, ou de très jolies et très jeunes filles asiatiques. Il vient d'arriver, il s'apprête à partir, presque absent de l'image.
Mansetlandia 1978 / 2008 Escales est le deuxième livre que Gérard Manset publie dans le même esprit aux éditions Favre. Le premier, d'un format supérieur, était paru en 2011 sous le titre "journées ensoleillées". Contrairement à Mansetlandia, ses photos sont légendées. Pour connaître les lieux représentés dans le livre qui vient de sortir, il faut se rendre dans les notes de fin d'ouvrage. Une volonté de l'auteur, sans doute, qui ajoute du mystère au simple feuilletage du livre mais que l'on peut regretter.

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Manset, le génie en noir et blanc

La planète Mansetlandia s'enrichit d'un nouveau coffret collector sous forme de quatre disques en vinyle blanc.
Objets immaculés où brillent les mots et la musique du mystérieux Gérard Manset.
Par Thierry BOILLOT pour les Dernières Nouvelles d’Alsace (3/12/2022)

Invisible à la télévision depuis 39 ans, absent des réseaux sociaux, Gérard Manset n'est jamais monté sur scène. Et ce malgré l'appel de ses fans qui ont créé le groupe Facebook : « Faisons pression pour un concert de Gérard Manset ».

Au lieu de cela, les adeptes du « voyageur en solitaire » ont pu se rabattre sur l'excellent spectacle créé par I' Alsacienne Léopoldine Hummel avec Maxime Kerzamet, On Voudrait Revivre, reflet de l 'œuvre de cet artiste hors case.
Ermite ? Mystère ? Prophète ? Génie ? Manset est tout cela et bien plus encore. Peintre du monde qu'il raconte avec plusieurs longueurs d'avance, il nous surprend seize ans après avoir écrit sur L 'Enfant Soldat ces mots troublants d'actualité : « Nouveau Tchernobyl/De bave et de bile/Mais à nos portes qui se presse/Dans la jungle pire encore/Mais que rien n'empêchera » ...
L'inclassable
La chanson est tirée de l'album Obok dont on retrouve plusieurs extraits sur le coffret en édition limitée de quatre disques en vinyle blanc Mansetlandia. Un objet collector consacré à la période 2006-2018 du chanteur. Outre Obok, les albums Manitoba ne répond plus, Un oiseau s'est posé, opération Aphrodite et A bord du Blossom sont tous cités suivant une sélection réalisée par Manset lui-même.
On y entend notamment sa version de Comme un Lego, titre qu'il avait offert à Alain Bashung en 2008 avant de l'intégrer à son propre répertoire.
Un long blues typique de Manset l'inclassable, dont chaque phrase percute les âmes et la musique bouleverse les consciences.
La noirceur de Mansetlandia contraste avec le blanc des quatre 33 tours, qui ne représentent qu'une partie du coffret de 19 CD sorti en 2016 auquel il faudrait ajouter A bord du Blossom et le récent Le Crabe aux pinces d'homme. Car Manset n'en a pas fini de nous inviter dans son univers poétique et tourmenté. A explorer sans fin.

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