
Sur
une idée de Gérard Pont (organisateur et copropriétaire du Printemps de
Bourges et des Francofolies), à l'occasion des 30 ans des Francofolies
de La Rochelle, et en hommage à Jean-Louis Foulquier, leur fondateur,
Gérard Manset a posé, comme en balade, son regard de photographe sur la
Rochelle estivale et festive, le temps de deux week-ends, l'un en 1987
et l'autre cette année 2014. Des images qui nous parlent, entre autre,
d'un temps léger où les Higelin et autres Bashung ressemblaient à de
beaux et ténébreux saltimbanques... Un choix somme toute assez
inexplicable, Manset ayant toujours été à cent mille lieues de ces
animaux de foire qu'il a toujours vilipendé et cette sorte de défense
de l'exception culturelle française ( ah bon, vraiment ça existe ??)
nous laisse un peu sur le cul... Quant au prétexte de l'hommage à
Foulquier, je resterai sobre mais la mort n'a pas transformé cet homme
à la culture musicale beaucoup trop franco-française à mon goût avec
les oeillères ou la mauvaise foi qui vont avec en un monument digne
d'un quelconque hommage. En plus La Rochelle au moment des Francofolies
avec tout ce que cela draîne comme faune de paumés et de
traîne-misères, c'est vrai qu'on se croirait un peu au tiers-monde....
sans doute une aubaine pour les chasseurs de clichés inattendus !!
Filigranes Editions (5 février 2015)
Mansetlandia - 1978-2008 Escales
Gérard
Manset photographie sans traverstir la réalité, sans arranger les
sujets ou les lumières, car son seul but est de restituer l'instant
présent, la magie des rencontres. En brésilien, Mansetlandia
signifierait : "l'univers de Manset ", son pays, le territoire, le
fief, poser son regard sur ce qui peut construire les entrelacs et les
dédales d'un parcours artistiques. Chaque image et chaque sourire aura
probablement donné naissance à l'un ou l'autre des thèmes des
différents albums qu'aura produit Manset. L'enchantement des haltes,
musical, esthétique, paraît sans cesse relever d'une même incitation :
partir. On y trouvera le regard très personnel qu'il porte sur de
petites choses insignifiantes auxquelles il donne la vie.
Éditions Favre (19/10/2017)
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INTERVIEW
-LIVRE-MANSETLANDIA-mercredi 18 octobre 2017-
France-info
-Bonjour Gérard Manset.
-Bonjour.
-Merci
d'être sur France info. Gérard Manset, le musicien, le chanteur,
l'artiste vous êtes là parce que vous publiez chez Favre un
extraordinaire recueil de six cents pages de photos, « Mansetlandia » ;
« Mansetlandia » expliquez à nos auditeurs, qu'est-ce que c'est «
Mansetlandia » ?
-Alors « Mansetlandia », c'est d'abord le titre que
j'ai donné au coffret de l'année dernière qui reprenait les dix-huit
CD, mais qui était juste absolument pas, divisible individuellement.
Donc il y avait dix-huit CD c'était à la Fnac…
- Cent quatre-vingt-cinq morceaux ?
-
Voilà par exemple qui cette année d'ailleurs, sont éclatés
individuellement, en même temps. Alors c'est justement parce qu'il y
avait cette remise en avant du catalogue complet de CD, un par un, plus
un inédit, enfin en CD, que j'en ai profité pour accrocher comme wagon
nouveau, ce six cents pages photos, publié chez Favre, qui s'appelle,
j'ai donné le même titre, « Mansetlandia » parce que, en quelque sorte,
pendant très longtemps, on me demandait, on me posait des questions sur
le voyage, quelques fois, j'avais sorti un roman ou deux…
-Oui…
-…
un livre de photos, ici, il y avait quelques expositions, mais j'étais
très disert là-dessus. Bon, comme ça et puis je ne voyais pas le temps
passer. Et puis maintenant, effectivement, ça fait, c'est une autre
époque, c'est un autre monde et j'ai trouvé que c'était effectivement
la démonstration d'époque révolue, c'est comme ça et…
- Vous voyez vos photos comme celles d'une époque révolue?
-
Ben oui, comme quand on lit les Malko, les SAS, les cent premiers
numéros, évidemment que plus rien n'est pareil. Les avions ne sont pas
pareils….
- Il y a des carcasses d'avions extraordinaires que vous
avez photographiées à plusieurs endroits… où est-ce dans le monde
d'ailleurs ? On n'a pas toujours la précision.
- Si…
- À la fin, tout à la fin…
-
À la fin, au contraire, j'ai mis, j'ai tout légendé. Mais il y a tous
les coins du monde, quasiment tous les pays qui étaient tous ouverts,
disponibles, chaleureux, accueillants. Dans cette époque-là, oui, c'est
mille neuf cent soixante-dix-huit deux mille huit…
- Oui.
-… qui signifie que vous en avez sans doute autant dès la période suivante.
-
Moins… de moins en moins. J'en ai un peu après, j'en ai jusqu'en deux
mille cinq, on va dire deux mille dix, huit, dix. Mais euh, non, non,
non, tout ça n'a plus de sens. Tout le monde…
- Pourquoi ?
-…
tout le monde a un boîtier numérique. On fait trois heures de queue
pour le moindre enregistrement de vol, il y a un peu moins de visas,
mais enfin, avant, il y avait quand même beaucoup de pays qui étaient
sans visa. À l’arrivée, on arrivait. Je l'ai toujours dit, les avions
étaient vides, j'appelais la veille, j'allais à l'aéroport… vides, à
moitié vides et les compagnies ne faisaient pas faillite. On se demande
comment tout ça marchait. C'est comme les boulangeries aujourd'hui, il
y a des queues interminables et ils mettent la clé sous la porte alors
qu'avant il y avait trois, trois gosses qui achetaient leur pain au
chocolat. Et bon, ça avait l'air de continuer à vivre normalement.
-
Il y a de magnifiques paysages, beaucoup d'enfants. Et puis ce qui m'a
étonné, il y a des photos de vous, Gérard Manset. Parce que vous
détestez votre image. Vous détestez en tout cas qu'on vous prenne en
photo.
- Oui, mais là, c'est moi, ce sont des autoportraits.
- Ce sont des autoportraits, alors avec le retardateur, parfois
- Bien sûr.
- Et ça, ça vous supportez? vous avez supporté ça, vous l'avez fait vous-même.
-
C'est une sorte de… de narcissisme voyageur. C'est à dire que oui,
j'adorais autant les lits que les plats. - Beaucoup finalement de
photos de vous qui n'aimaient pas votre image. Parce que finalement, le
seul capable de photographier Manset, c'est Manset.
- Non, non, mais
n'allons pas jusque-là ; d'abord, c'est pas que je n'aime pas mon
image, c'est que je n'aime pas mon image quand elle est prise dans le
boîtier de quelqu'un d'autre dont je ne suis pas responsable pour son
utilisation…
- On peut vous aimer Gérard Manset et bien vous prendre en photo…
- C’est pas le problème. Je suis un peu, voilà, je suis un peu indien sur les bords. Chaman, quelque part, je n'ai pas…
- Vous avez peur qu'on capture votre image?
- Ce n’est pas que j'ai peur, je ne veux pas…
- Vous ne voulez pas.
- Je trouve ça tabou. D'ailleurs, d'ailleurs, j'ai toujours demandé quand je prenais quelqu'un…
- Son autorisation.
- À l'époque, la question ne se posait même pas.
Les
gens adoraient, bon et puis on était dans un registre autre. Mais là,
moi, j'étais quand même déjà quelqu'un de plus ou moins public et je
n'aimais pas être véhiculé avec n'importe quoi. Non, non, mais, oui,
bien sûr, c'est évident…
- Et à l'ère des smartphones, vous êtes un homme malheureux…
- J'évite les smartphones, c'est tout.
-
D'ailleurs, vous avez un téléphone qui date d'il y a bien bien
longtemps et dont vous ne vous servez évidemment pas. Vous travailliez,
quand vous faisiez ces photos et quand vous en faites…
- Ça n'est que de l'analogique.
- Ce n'est que de l'analogique. Et quel genre d'appareil ?
-
Nikon. Quelques fois un cinquante, posé. D'ailleurs, il y a deux ou
trois photos qui sont posées. Je posais même le boîtier par terre la
nuit. Et comme j'avais des pellicules qui couvraient tout…
- Vous laissiez faire…
- Ah non, pas du tout. Non, non. Je suis au contraire un grand technicien. J'avais mon labo, je développais, je tirais…
-Vous développez vous-même.
-
Oui, évidemment. Et puis c'est du Kodachrome pour l'essentiel. Il y a
du négatif aussi, mais c'était pour l'essentiel du Kodachrome.
-
Nous sommes avec Gérard Manset, nous allons rester avec lui. On parlera
peut-être quand même un tout petit peu de musique, pas seulement de
photo…
- « Mansetlandia », c'est à la fois le titre de
l'extraordinaire coffret avec tous les disques. On ne peut pas dire
tous les disques de Gérard Manset parce que vous en avez enlevé. Il y a
des disques qu'on ne trouve plus.
- Si vous dites le mot disque…
- Oui, je parle de disque absolument.
-
Par la force des choses, oui, disque oui, j'ai remanié certaines
choses. Les gens ne comprennent pas pourquoi. Enfin, quelques fois, il
y a eu des commentaires sur des blogs, pourquoi il retripatouille tous
ces trucs, je ne tripatouille rien. D'abord, je suis seul responsable à
bord. Donc si quelqu'un, je ne sais pas qui Courbet, Rembrandt, Bonnard
se réveille un matin, il a des toiles dans son grenier, il en voit
quelques-unes.
Elles sont très bien, il y en a une. Il a envie d'y retoucher, il y retouche, c'est son problème.
- Vous avez même été jusqu'à évoquer le droit de repentir, je crois. Vous vous êtes dit …
- Ah ben oui. D'abord, il y a des.
-
Il faut expliquer à nos auditeurs ce que c'est que le droit de
repentir. C'est un artiste qui dit, mais ça, je ne veux plus qu'on
l'écoute. Je l'enlève.
- Oui, exactement...
- Vous l'avez fait.
-
Je ne l'ai pas fait. J'étais plusieurs fois sur le point de le faire
sur plusieurs titres. Heureusement que je pouvais maîtriser leurs
utilisations, tous ces titres et refaire des configurations.
- Si
on parle de musique à l'ère du web, vous savez bien qu'on trouve tout,
on entend tout, c'est une position très radicale et très paradoxale de
votre part, mais qui est respectable.
- Oui enfin ça, ça remontait à
plus d'il y a dix ans, puisque oui, depuis une dizaine d'années il y a
le web et tout on ne peut pas faire grand-chose. Même n'importe qui,
qui aurait eu un vinyle peut piquer un bout, le mettre sur le… voilà
évidemment que maintenant… enfin, dans la mesure du possible avant le
web, j'ai maîtrisé un peu la situation, c'est la moindre des choses.
- Vous parliez des commentaires sur vous? Vous lisez un peu les trucs sur internet, tout ça…
- Non, très rarement, heureusement d'ailleurs… je n'ai pas internet et
- Vous n'avez pas internet?
-
Non, non je, je vais au McDo ou je vais quelque part pour relever, même
pas un mail, mais pour aller voir un Wikipédia sur un auteur, sur un
truc deux minutes. Mais c'est une grande bibliothèque, pourquoi pas?
Mais le reste, non. De tout ce qui est… il vaut mieux pas, vaut mieux
s'en tenir à l'écart. C'est démoralisant.
- Vous allez me démentir
si je me trompe. J'ai lu une interview, quand vous avez sorti le
coffret de disques, dans laquelle vous dites, pas de concert parce que
je ne supporte pas ces smartphones qui pourraient capturer et votre
image et votre musique?
- Oui, pas de scène. Oui, oui. Enfin, il n'y
a pas eu de scène en partie depuis une quinzaine d'années, depuis,
Obok, parce qu'il y a eu des répétitions.
- Qui étaient formidables, en plus, d'après ce que vous dites vous-même…
-
Mais, exactement. J'étais tout à fait sur le point d'y aller. Et puis
quand même, personne ne pouvait gérer cette histoire de smartphones.
Je
l'avais vu avec Bashung puisqu'à l'époque, il y avait comme un Lego et
tout ça. Et quand j'avais été voir un peu sur Internet, ce qui passait
de lui, c'était des trois minutes…
- Et ça vous pouvez pas…
-…deux
minutes de la salle, le n'importe comment, avec des trucs qui bougent,
un son pourri et tout ça, non, c'est pas que je ne veux pas, j'en sais
rien, ou on fait tout, ou on ne fait rien quoi…et
-Est-ce que
Gérard Manset accepte que je passe, un tout petit bout d'un morceau que
je trouve, un des plus beaux morceaux de lui, qui s'appelle « 2870 ».
- Bien sûr.
-
Je ne peux pas passer plus parce que c'est votre voix qu'on a envie
d'entendre. Mais, chers auditeurs, si vous ne connaissez pas « 2870 »,
vous en prenez pour quinze minutes dans les oreilles. Et ça reste d'une
actualité incroyable ce morceau…
- Oui, alors un petit détail, c'est un vinyle effectivement, qui a dû sortir je sais pas, en 78 par là.
La pochette était faite par Hypgnosis. J'avais été à Londres
- Un masque d'escrime !!
-
Oui, oui, c'est une des rares fois où je m'étais un peu forcé à faire
quelque chose comme tout le monde. C'était la grande époque Pink Floyd
et donc ce titre. Alors voilà, j'étais peut-être, le premier…
Peut-être, pas le premier au monde, mais tout au moins en France, je
crois une face entière d'album.
- Je vais vous poser une question
que je pose à tous mes invités. Vous savez, sur nos smartphones que
vous détestez, on peut faire des mises à jour. La mise à jour, ça
revient à modifier, ou à changer quelque chose, à effacer quelque
chose. Mais vous qui avez effacé et modifié tant de choses, vous n'avez
plus rien à effacer, Gérard Manset ?
- Déjà en photo, Je n'ai rien
effacé. Non, je n'ai même pas travaillé sur les Photoshop
d'aujourd'hui. Oui, effectivement, un petit contrat, c'est un truc
comme ça. Mais ce qu'on faisait en laboratoire, on faisait des masques
en laboratoire…
- Et dans votre vie. Qu'est-ce que vous auriez envie d'effacer?
- Effacer, c'est beaucoup dire. Mais il y a des choses dont on ne peut pas parler. On ne peut en parler qu'en privé…
- D’accord…
-… avec des gens qu'on connaît. Ce sont des histoires, quelquefois…
-… des histoires personnelles.
-
Il y a infiniment de choses qu'on ne peut pas évoquer en quelques
phrases, même en un chapitre de bouquin. Il faudrait passer une nuit,
des nuits, des semaines et j'en suis arrivé même au triste résultat de
comprendre que même parmi mes proches, beaucoup de gens qui n'ont pas
vécu ce…j'allais dire chemin de croix, faut pas exagérer mais ce chemin
tout court, ne peuvent pas réaliser. Donc on arrive, on arrive très
vite dans la vie, au milieu ou après le milieu de sa vie, si on est à
peu près lucide, à comprendre que finalement non, il y a ceux qui ont
vécu, vu, ressenti, supporté la même chose et puis les autres qui ont
vu d'autres choses probablement. Mais enfin bon, le discours là, est
difficile.
- « Mansetlandia » le coffret, « Mansetlandia »
l'album de photos. Merci infiniment, Gérard Manset d'être passé par
France Info.
- Merci, merci beaucoup.
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CUPIDON DE LA NUIT (2018)
Cette
fois, il nous revient avec une somme autobiographique intitulée Cupidon
de la nuit. Pas sûr qu'il s'agisse de lui ou de son double fantasmé.
Car Manset, un peu sur le mode Tarantula de Dylan, est plutôt
du
genre à se faire entrechoquer les mots, les couleurs et les lieux. Il
ne s'agit pas ici d'une autobiographie classique, traditionnelle, qui
nous apprend qui, quoi, quand, comment. Il y va dans ce livre ardu
d'errances oniriques et langoureuses où les personnages rencontrés sont
à peine nommés. Ça aide de savoir que sa fille Caroline (Caro) est la
manager du chanteur (et maintenant auteur de nouvelles) Raphael. Ne
comptez pas trop sur Gérard pour le préciser. Pas plus qu'il ne faut
confondre un ami
prénommé Christophe et le chanteur d'« Aline »,«
noueux et tout en muscles, butt-temer élégant, cheville mince d'hidalgo
ou de torero courtaud ... ».
Quand Gréco lui parle de la joie de se
produire sur scène, voilà sa réaction : « J'en avais la nausée,
distrait, indifférent, un mal de cœur dans le sens d'être peiné,
solidaire et gêné de l'entendre se définir par de telles envolées de
commisération humaine. »
On croise aussi Cabrel : « Il m'a presque
rassuré, n'ayant pas ce qu'il voulait, ou rarement, obligé d'accepter,
de passer à l'acte et de remercier. »
Misanthrope, le Gérard? Pas
plus que ça quand il s'agit d'errer dans les bas-fonds de Bangkok ou de
Caracas, préférant les lodges à rebrousse poil que les antiques
palaces. Mais il faut le suivre, ce reptile
insaisissable aux« mots
désuets » comme il le dit lui-même, ne pas se laisser désarçonner par
son style fulgurant et des éclairs d'une rare intensité. Ce récit
enfiévré est un labyrinthe livré de fort belles - mais
exigeante -
façons par un cerveau tortueux, aux infinies promenades émotionnelles.
« Même avant de voyager, j'ai toujours voyagé. Cela remonte au tout
début, à l'enfance, à des trains sourcuteux qui me
déposaient à la petite gare de la Ferté. »
Gérard Manset se livre ici comme jamais, tout en se cachant bien derrière son style éclaté.
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L'ORIGINE D'UN LIVRE
Cupidon de la nuit par Gérard Manset. 252 p, Albin Michel 22€
«Dans la vie de chacun, tout est décousu» Auteur-compositeur,
interprète, mais aussi écrivain, peintre et photographe, le mystérieux
Gérard Manset propose, avec ce dernier ouvrage, un objet littéraire non
identifié, dans lequel il revisite son parcours, humain comme
artistique. Aux antipodes d'une autobiographie classique, ce livre
épais est comme une figure libre.
-
Quel est, chez vous, le déclic pour un livre: une image, un personnage, un thème, une histoire? -Gérard
Manset: Il n'y a jamais aucun préalable. pas plus en littérature qu'en
musique,ou que dans toutes mes autres activités artistiques. L'origine,
ou la raison essentielle, ce peut être une phrase,un mot. Et puis un
éditeur, qui attend un texte. Pour Cupidon de la nuit il y avait une
demande d'un éditeur [Albin Michel ndlr] qui était, disons amicalement
concerné. Il était question d'un livre qui parle de moi. Or, je ne
voulais pas m'exprimer en utilisant le " je ". C'est ainsi que m'est
venue l'idée de prendre le parti d'un autoportrait en creux: ce sont
les autres qui parlent. J'y ai évidemment inséré aussi quelques contes,
une forme que j'aime beaucoup. Puis de la fiction. Au final, cela a
donné un assemblage complètement surréaliste. Car ce portrait en creux
est bien plus parlant que si je l'avais brossé moi-même. C'est assez
jubilatoirc de défricher des terrains de cette façon-là.
-Pourquoi sous refusez-vous au "je"? -G.M.
:Parler ainsi de moi me semblerait impropre, et insipide. Ça ne sert à
rien de raconter sa vie. Je me suis dit que la littérature française
compte de grands écrivains qui parlent d'eux... sans en parler! A
commencer par Proust: La Recherche, c'est son journal ! Et sur trois
mille pages !Alors, j'ai rouvert son œuvre, pour voir s'il y avait un "
je " ou pas. Il n'y en a pas beaucoup. Sur trois pages, il décrit ce
qu'il voit. Uniquement. Ce qui me va très bien, puisque moi, toute ma
vie, j'ai décrit ce que je voyais, lors de mes voyages notamment. J'ai
des tas de carnets et parfois j'en ressors quelques bribes. J'ai donc
préféré décrire certaines scènes qui m'ont plu, que j'ai vécues, que
j'aime. Les choses sont apparues et se sont imposées ainsi. De façon
décousue, certes mais dans la vie dc chacun, tout est décousu. C'est
pour cette raison que j'ai inséré cc personnage d'Isa, qui est venue,
comme ça, dès le début, elle a frappé à la porte... Elle permet des
ricochets. des relances, des interrogations, des digressions, des
dissertations.
-
Une fois la
"clé" trouvée, est-il aisé d'y greffer les autres thématiques abordées,
comme les voyages, vos filles, les souvenirs musicaux? -G.M.:
Pas vraimcnt. J'ai d'emblée pris le parti de faire ce que j'appellerais
un "sandwich" : une scène familiale / une scène de copains ou de
dérive. Très peu de métier, très peu de musique. J'aime bien être du
côté du réalisateur et non de l'artiste
Propos recueillis par Hubert Artus (Magazine Lire n°466 Juin 2018)
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RÉCITS BARBARES (2019)
Tout l'univers de Gérard Manset, à travers six nouvelles qui flirtent avec le fantastique.
Par Jean-Claude Perrier, le 18.10.2019 (Livres Hebdo)
L'un
des plus célèbres titres de Gérard Manset commence comme ça : « Ramenez
le drap sur vos yeux, Entrez dans le rêve ». Il date de 1984. 35 ans
après, le recueil de ses Récits barbares se clôt sur la nouvelle « Une
fantaisie », laquelle s'achève sur ces mots : « Le Rêve. (C'est le nom
d'une villa. NDLR) Et alors il entra. » Volontaire ou pas, la
réminiscence suffirait à démontrer la profonde cohérence de l'oeuvre de
Manset, quel que soit le médium choisi par ce créateur polyvalent et
surdoué : photographie, peinture, écriture, paroles et musique.
Récits
barbares, ce sont cinq nouvelles plus une. Cinq novellas, en fait, dont
les princes sont des enfants, filles et garçons, animaux également. Et
un texte final plus court, qui convoque les principaux héros des autres
textes, les fait se rencontrer sur le tournage d'un film bizarre, dont
le réalisateur, avec ses cheveux poivre et sel, pourrait bien
ressembler à Manset lui-même : « toute sa vie, il avait filmé des
choses semblables oit il était question de magie et d'inventions à la
limite du raisonnable ». il est de surcroît « très pointilleux » et «
exigeant ». A la réflexion, tout l'univers de l'artiste, même quand il
semble décrire le monde, se situe à la frontière de la réalité. Alors
rien d'étonnant, ici, à ce qu'une pré-adolescente, Perle, ayant
pratiqué avec son amie Biche, une biche, l'échange de leurs sangs, les
deux créatures se voient changées l'une en l'autre.
Théoriquement
pour un après-midi, mais les apprenties sorcières découvriront à leurs
dépens qu'on ne joue pas comme ça avec la création. Comme les hommes
qui ont péri à cause des abominations qu'ils ont commises contre la
nature, et ont été remplacés par des singes. A quelques exceptions
près, comme Gligli, un « petit d'homme » qui tentera de rejoindre les
siens, des rescapés qui ne devraient plus commettre les mêmes erreurs.
En principe. Il y a aussi Epinette et Vincent, emportés par curiosité
au fond des mers, à la recherche d'un trésor, et qui y risquent leurs
vies. Ou encore Honoré, qui vit dans le Moyen-Âge dont ïl rapporte des
dessins extraordinaires, des croquis d'architecture et d'héraldique. Au
point de s'y perdre ? C'est lui qui, à la toute fin, choisit la villa
Le Rêve et y entra.
La boucle est bouclée de ce livre inclassable
et drôle, comme Manset, lequel réaffirme ici son amour pour la
littérature de la fin du XIX siècle : Villiers de l'Isle Adam, Barbey
d'Aurevilly, Pierre Louÿs... Il y a pires fréquentations.