portrait d'un homme sans visage
échanges avec les journalistes.....
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Dans
sa traversée des apparences, Manset fait penser à l’élève insolent et
fumiste que fut Arthur Rimbaud, expliquant à son professeur de collège,
Georges Izambard, les raisons qui le poussaient à s’extirper de l’eau
tiède, de la pensée commune et d’une « poésie subjective horriblement
fadasse ». Comme s’il n’avait jamais eu d’autres choix envisageables,
Gérard Manset vibre depuis toujours au diapason d’un temps artistique
propre, tendu à briser les chaînes, construit de façon mathématique et
scandé par une discipline méticuleuse, à la limite de l’obsession.
Autodidacte, tout sauf oisif, à l’école il a de mauvaises
notes, se laisse bercer par ses rêveries mélancoliques, mais à la
maison, il avance méthodiquement sur trois fronts : la musique,
l’écriture et la peinture.
Gérard Manset sort un nouvel album, "L'algue bleue", le 26 avril 2024.
Lorsqu’on écoute les arrangements de guitares, cordes et sitar présents
dans des albums concept comme "La Mort d’Orion" (1970), "Royaume de
Siam" (1979), "Comme un guerrier" (1982) ou "A Bord du Blossom" (2018),
la signature de Manset - fouilleur de partitions symphoniques - ne peut
guère échapper à l’oreille. Il ne s’agit pas que de sensibilité, mais
d’une « attitude », qu’il évoque d’ailleurs dans son livre "Cupidon de
la nuit" (2018, éditions Albin Michel), à travers l’un de ses
personnages « toujours dans ses calculs, les yeux en chasse sur des
petites choses intéressantes, mais pour lui seul. ». Manset a l’œil,
l’oreille et la plume – « je ne sais pas où ça monte, comme au poker
les as », dit-il – et ses plus belles compositions sont traversées de
fulgurances, d’éclairs et de formules qui frappent l'esprit, pour
saisir à bras-le-corps les questions les plus insondables de
l'existence.
Tel est le cas de "L’Algue bleue". Vingt-quatrième album studio de
Gérard Manset, ce nouveau projet musical est le témoin fidèle d’une
carrière vouée à des allers-retours dans le temps. C’est une histoire
qui se poursuit, parsemée d’indices autobiographiques et à l’ambiance
sonore et visuelle chimérique, à l’image de la pochette du disque – le
visage d’une femme comme tombée de la lune. L’enfance s’y balade du
prélude à la queue, portée par l’imaginaire débordant d’un adulte qui
n’a jamais cessé de s’émerveiller. Ballades d’une lenteur quasi
brucknérienne côtoient valses syncopées et envolées de rock
psychédélique. Arpèges de guitares et variations d’harmonies aux
dissonances délicieuses soutiennent la voix de Manset qui se transforme
tout le long de ces neuf morceaux en pur instrument.
Un nouvel album qui renferme une chanson écrite à l'âge de 19 ans
"L'algue bleue", nouvel album de Manset, contient neuf chansons placées
sous le signe d'une double pochette ; portrait d'une divinité, à moins
que ce ne soit un robot, et piano à queue sur un paysage aux allures
lunaires, puisque si on en croit la chanson sur la lune, on y danse.
Sur ce disque, sept chansons durent entre cinq et plus de huit minutes,
et deux en ouverture et fermeture ont un format radio. Ce n'est pas
étonnant, car la première chanson, Gérard Manset l'a écrite à l'âge de
19 ans, "Comment tu t'appelles ?" : « C'est dans une veine juvénile,
une chanson limpide, toute simple, évidente qu'on ne fait qu'à 20 ans,
mais qu'on ne fait plus après. »
Ses débuts dans la musique
Gérard Manset écrit et peint, mais la musique ne s'est pas tout de
suite imposée à lui : « J'écoutais de la musique classique, puis très
vite, j'ai bricolé en jouant un peu de guitare, de batterie avec un
groupe à quinze ou seize ans, avec un ami avec lequel je faisais un
studio ensuite. Mais j'étais très médiocre. » Gérard Manset se
destinait à la peinture. À 20 ans, il est lauréat du concours général
en dessin, et il entre à l'École Nationale Supérieure des Arts
décoratifs de Paris où il expose très rapidement.
Et pourtant, quand on écoute "La Mort d'Orion" sorti en 1970, il y
avait une vraie ambition musicale et une écriture savante pour un des
premiers albums concept : « J'avais un piano, un Pleyel droit
magnifique. En quelques jours, je me suis mis à vouloir étudier, mais
je n'y connaissais rien. En huit jours, j'ai appris le solfège, les
clés, les gammes et j'ai voulu commencer à déchiffrer tout seul. J'ai
commencé par Bach, la Toccata en ré mineur, et je me souviens qu'en un
mois ou deux, péniblement, j'arrivais à ces accords majestueux où il y
a dix doigts de posés sur le clavier et j'étais émerveillé qu'on puisse
avoir de telles harmonies. Je commençais à comprendre l'architecture de
la musique, et ça m'a amené à écrire pour tout le monde. »
Zaho de Sagazan, son choix dans la playlist de France Inter
Gérard Manset a choisi Zaho de Sagazan dans la playlist de France
Inter, qu'il ne connaissait pas, mais qu'il trouve remarquable : « J'en
avais entendu beaucoup parler, mais je ne l'avais jamais entendu. Comme
il y avait la playlist, j'ai écouté un titre et j'ai trouvé ça très
bien. Zaho a une très jolie voix, bien placée, compréhensible. Dans
votre playlist, je ne connais absolument personne. J'ai mis mon doigt
sur deux ou trois trucs qui me semblaient intéressants. Je n'écoute pas
souvent de musique, sauf quand il m'arrive de faire des semi-siestes.
J'ai un vieux poste de radio qui vient du Vietnam, je tourne le bouton
e je survole des tas de fréquences qui quelquefois se
superposent, se chevauchent, s'entrecroisent, c'est merveilleux parce
qu'il y a un son des années 70, et de temps en temps, j'entends des
trucs miraculeux. C'est surtout la musique américaine qui m'intéresse.
Ce qui est français, on ne comprend pas un mot, c'est des sortes de
borborygmes, mais quelquefois, il y a un texte qu'on comprend et qui
est intelligible. »
Jacques Ehrhart, son ingénieur du son, par ailleurs réalisateur de Camille, de BB Brunes et d'Henri Salvador :
Jacques Ehrhart a travaillé sur "L'Algue Bleue" qui est loin d'être sa
première collaboration avec Manset, pour Côté Club, il se rappelle de
sa première rencontre avec lui : « Je travaillais dans les studios
Pathé qui étaient l'équivalent parisien d'Abbey Road à Londres où
j'étais assistant et ingénieur du son, et Gérard m'a mis sur une séance
et c'était assez drôle parce que ça s'est très mal passé parce que
j'avais l'habitude de faire répéter les artistes avant d'enregistrer,
et après la première répétition, je me tourne vers lui en lui demandant
si on pouvait enregistrer. Gérard a sauté au plafond en me disant :
"Comment ça t'as pas enregistré ?" Et puis finalement, ça fait presque 30 ans qu'on travaille ensemble.»
L'émission dans son intégralité :
"-Go, bonsoir à toutes et à
tous et bienvenue dans Côté Club, 116 avenue du président Kennedy, sixième
étage, studio 621 de la maison de la radio et de toutes les musiques. C'est la
bonne adresse pour votre rendez-vous quotidien et en live avec toute la scène
française. Ce soir, Gérard Manset est notre invité en solitaire. Bonsoir, Gérard
Manset.
-Bonsoir.
-24e album, l'Algue Bleue,
c'est le titre, 9 chansons placées sous le signe d'une double pochette, portrait
de femme à moins que ce ne soit un robot et piano à queue sur paysage aux
allures lunaires, puisque si on en croit la chanson sur la lune, on danse. Et
nous aurons en ligne Jacques… oui ?
-Pardon, oui, je me permets
d’intervenir, portrait de divinité.
-Ah, sur la couverture, oui.
-Voilà
-Très bien. On en saura un
peu plus dans quelques instants.
-Lunaire, stratosphérique.
-Et nous aurons en ligne
Jacques Ehrhart, votre ingénieur du son, par ailleurs, le réalisateur de
Camille, de BB Brunes, d’Henri Salvador. C'est Marion Guilbaud qui l'a appelé. C'est
votre collaborateur en studio depuis près de 30 ans. Côté Club, c'est ouvert,
entre vos oreilles. Et on ouvre avec votre premier choix dans la playlist
France Inter. On vous a communiqué les titres et vous avez choisi, notamment,
Zao de Sagazan, pour quelle raison, Gérard Manset ?
-Alors, je ne connaissais
pas, mais j'en avais entendu beaucoup parler. Je ne l'ai jamais entendu. Là,
comme il y avait la playlist, j'en ai écouté la moitié d'un titre. J'ai trouvé
ça très bien. Très jolie voie, bien placée, compréhensible. Bon, elle avait
beaucoup, beaucoup… presse dithyrambique.
-Oui.
-Pour le reste je vous
demanderai de ne pas trop me poser de questions sur la playlist en question, vu
que je ne connais personne.
-C'est parfait.
-J'ai mis mon doigt sur 2-3
trucs qui me semblaient intéressants. Il y en a probablement, mais j'écoute
absolument jamais de musique, quoique maintenant j'en écoute pas mal, parce
qu'il m'arrive quelques fois de me faire des sortes de siestes, des semi-siestes.
Alors, j'ai un vieux poste qui vient du Vietnam, qui est un Baby, je ne sais
quoi un Baby 50, je crois, qui est jaune. Et qui doit être à galènes, je fais
tourner le bouton, et alors, je survole des tas de fréquences qui, quelques
fois, se superposent, se chevauchent, s'entrecroisent et tout ça est
merveilleux, parce qu'il y a un son des années 70. Et de temps en temps,
j'entends des trucs miraculeux. C'est surtout de la musique américaine qui
m'intéresse. En général, ce qui est en français, on comprend pas un mot, enfin,
où c'est des sortes de borborygmes souvent. Et alors, quelquefois, il y a un
texte qu'on comprend, qu'est intelligible.
-Et c'est le cas de Zaho de
Sagazan, tout de suite, sur France Inter…Zaho de Sagazan, c'est le premier choix
playlist de Gérard Manset notre invité qui dessine pendant l'écoute...C'est un
exercice mental.
-J'interviens, parce que là,
je l'ai entendu en entier, c'est absolument magnifique. Ah non, non, ça, c'est
remarquable, donc il faut souligner. On se demande même comment on peut faire
autre chose que ça. Donc, voilà, ça s'appelle le talent, et puis surtout, elle
a un timbre de voix, bien sûr, mais elle a aussi le phrasé. Elle est auteur-compositeur,
je crois.
-Interprète.
-Voilà, c'est tout. Il faut
faire ça, c'est absolument remarquable.
-Récompensée de quatre victoires
de la musique cette année.
-Et voilà, d'accord.
-Voilà, vous voyez un petit
peu le genre.
-Bah oui, mais non, c'est
assez surprenant d'ailleurs. Parce qu'on pourrait presque imaginer que c'est un
peu marginal, enfin, que ce n'est pas du tout dans le « mood » de
d'aujourd'hui. C'est trop élégant, bon, enfin, voilà.
-Mais comme quoi, la
singularité paye parfois.
-Oui, alors on ne sait pas. Il
y a peut-être une configuration d’étoiles qui sont mises dans le bon sens pour
elle à ce moment-là. Peut-être six mois avant, ou six mois après, elle aurait
peut-être pas eu ce profil-là, mais enfin, toute manière, là, voilà, c'est
merveilleux, ça donne les larmes aux yeux, c'est parfait.
-Pour autant, vous dessinez. Pendant
ce temps-là, c'est un exercice mental ?
-J'ai toujours dessiné.
-Ça je sais, vous avez
toujours dessiné. Vous avez même peint, vous continuez certainement,
j'imagine ? Et vous faites ce qu'on appelle des perruques.
-Ah, ça s’appelle des
perruques, je savais pas...
-Ce que vous faites, oui,
c'est-à-dire quand on dessine, par exemple, quand on est au téléphone, ou quand
on dessine, pendant qu'on parle à quelqu'un, ça s'appelle des perruques, ce que
l'on fait.
-Eh bien, voilà, très bien.
-Une perruque d'ordre
abstraite, manifestement.
-Bof, pas vraiment, enfin,
oui, non, comment je pourrais dire? Cartésienne…
-Cartésienne !!
-Nette et carrée ou un chemin
sur le papier.
-Aujourd'hui donc, 24ème
album, « l'Algue bleue », ça sortira en fin de semaine. C'est aussi
le titre d'une chanson qui arrive en troisième position sur l'album. Comment ce
nom s’impose? Comment on choisit un titre, Gérard Manset, vous qui par
ailleurs, êtes écrivain?
-Alors, je ne pouvais pas
l'appeler « Comment tu t'appelles », qui est le titre, là, qu'ils ont
sorti en premier, sur lequel il y a un clip, je ne pouvais pas l'appeler
« Sur la lune on danse ». Moi, j'aurais préféré l'appeler « Sur la
lune on danse ».
-Pas mal « Sur la lune on
danse », ça marchait aussi?
-Oui, oui, mais enfin...Non,
mais ça marchait aussi. Je me suis interrogé, bon, passons, enfin.
Après les autres titres,
n'étaient pas vraiment...
-Non, « La
mélancolie », c'est pas possible.
-Non, et puis, alors,
« l'Algue bleue » m'a semblé, peut-être, plus...
-Énigmatique?
-Plus neutre.
-Plus neutre ?
-Oui, plus neutre, non mais la
chanson, j'aime beaucoup la chanson.
-On va l’écouter dans
quelques instants, oui.
-Mais plus neutre, plus
neutre. Non, alors, j'avais un autre titre très beau, mais qui sortira plus
tard, qui s'appelait « Le cèdre bleu ». Et donc, j'allais pas mettre
les deux. Donc, j'ai finalement laissé le cèdre de côté pour mettre
« l'Algue bleue ».
-Ça veut dire que vous avez un
album en préparation, de nouvelles chansons.
-Ah, il y en a toujours…
-Toujours, ça je peux
imaginer. On va entrer directement dans ce nouvel album, 9 titres, 9 nouveaux
titres, 7 d'entre eux, durent entre 5 et plus de 8 minutes, et il y en a 2 en
ouverture et fermeture qui ont un format, on va dire, plus radio. Et ce n'est
pas étonnant, car la première chanson, vous l'avez écrite à l'âge de 19 ans,
« Comment tu t'appelles » ?...
...« Comment tu
t'appelles », signée Gérard Manset, une chanson écrite à l'âge de 19 ans. Ça
veut dire que vous gardez tout et que vous réécoutez.
-Oui, j'ai beaucoup de
cassettes, mais enfin, de temps en temps, j'en ai réécouté quelques-unes,
celle-là, elle était totalement passée à travers les mailles du filet, bon. Je
ne savais même pas que ça pouvait exister encore.
-C'est vrai. Vous avez été
surpris, en la réécoutant ?
-Oui, oui, oui, oui.
-J’ai été surpris…
-Mais agréablement,
manifestement.
-Oui, parce que c'est la
veine juvénile d'un truc limpide, tout simple, évident qu'on ne fait qu'à 20
ans, ou à 30 ou à 35, mais qu'on ne fait plus après. J'ai plus cette inspiration-là,
quoi.
-Vous n'avez plus cette
évidence par la suite ?
-Oui, c'est ça, oui.
-Donc il y a une certaine
nostalgie par rapport à cette période ?
-Oh non, il n'y a pas de
nostalgie. Il y a un constat, non, non. C'est comme, c'est quelqu'un d'autre
qui s'est présenté, qui a frappé à la porte, Gérard entre ici.
-Entre ici, Gérard…. À 19
ans, mais qui étiez-vous ? Quelle place avait la musique ? Alors même que vous
étiez...
-Ah, aucune…
-…ou que vous peigniez, c'est
ça, oui.
-Non, aucune, je connaissais,
j'écoutais de la musique classique beaucoup. J'ai bricolé très vite en jouant
un peu de guitare, un peu de batterie avec un petit groupe qu'on avait 15 ou 16
ans, avec un ami avec lequel je ferais un studio ensuite. Mais vraiment,
j'étais d'une... d'une médiocrité, voilà. Non, non, je...
-Vous vous destiniez
véritablement à la peinture ? Je rappelle que à 20 ans, vous êtes lauréat du
concours général en dessin, que vous allez entrer à l'école nationale
supérieure des Arts décoratifs de Paris, que vous allez exposer très
rapidement. Donc la musique n'était pas du tout le plan A, au départ ?
-Non, non, non.
-Comment vous avez travaillé la
musique, seul de votre côté, en autodidacte ? Parce que quand même quand on
écoute « La mort d'Orion » en 1970, il y avait une vraie ambition
musicale, une écriture savante pour un des premiers albums concepts.
-C'est vrai, alors... Pareil,
c'est une longue histoire, comment la résumer en deux-trois phrases ? Un
jour, j'avais un piano, vaquant, on va dire, un Pleyel, droit, qui est magnifique,
que j'ai toujours d'ailleurs. Et puis, il y avait une méthode rose. Alors, j'ai
fait un peu de méthode rose et puis, en quelques jours, je me suis mis à
vouloir... à vouloir étudier, je venais de zéro pointé, même renvoyé de Claude
Bernard, je crois même à cause de la musique un jour. Je sais pas... en tout
cas, de zéro absolument pointé en musique. Et puis, en 8 jours, j'ai appris
tout le solfège, les clés, les gammes, les machins. Et j'ai voulu commencer à
déchiffrer tout seul. Donc, je me suis mis sur Bach, la Toccata et Ré mineur,
et je me souviens qu'en un mois ou deux, je jouais péniblement avec peut-être
des ratés, mais j'arrivais à ces accords majestueux du milieu, où il y a dix
doigts de posés sur le clavier. Et j'étais émerveillé qu'on puisse avoir de telles
harmonies, je commençais à voir l'architecture du truc. Et donc, voilà, ça m'a
amené à écrire pour tout le monde et au premier album, « La mort
d'Orion », oui, à diriger, à avoir une trentaine de musiciens de l'opéra.
-Je me permets de vous
corriger, parce que le premier album, justement, ce n'était pas « La mort
d'Orion ».
-C'est vrai, mais je m’étais
quand même un petit peu fait la main, parce que c'est un album que j'ai réfuté,
que je n'ai jamais voulu ressortir. Mais dedans, il y avait un titre qui
s'appelait, par exemple, « L’une et l’autre », où il y avait des écritures
de cordes très belles. Il y avait « La femme fusée », où j'avais une
vingtaine de musiciens aussi.
Non, non, j'étais parti dans
des terrains à défricher, terrible. Je me suis fait un peu la main avant « La
mort d'Orion ».
-Juste une question par
rapport à ce premier album, c'était en 68. En 68, vous étiez concerné par la
vie politique du pays ?
-Écoutez, c'est un sujet
qu'on va éviter, parce que le...Non, non, non, non, non. J'étais concerné par
le Vietnam, par la guerre du Vietnam. Il y a eu très vite les pourparlers à
côté, à côté, à l'étoile, à l'hôtel Raphaël. Mais non, j'étais tourné vers les
lointains, vers les voyages, vers les….
-Déjà ?
-Oui, oui, oui, oui. Je ne
pouvais pas encore partir, parce qu'il y avait le studio de Milan-là, qui m'a accaparé
pendant six ou sept ans. Mais non, c'était l'époque Pompidou. Alors, c'était
charmant. C'était encore, si vous voulez parler de politique, on peut dire que
c'était une politique qui n'était pas du tout politicienne, puisqu'il n'y avait
pas de médias sans arrêt à tout fouiller à la seconde près, à répercuter tout,
à le démultiplier, donc oui, c'était assez charmant. On a appelé ça après les
30 Glorieuses. Bah, il y a des raisons que ce...
-Que ça s’appelle comme ça. « L’algue
bleue », c'est votre nouvel album. On va écouter la chanson qui lui donne
son nom.
"L’algue bleue" extrait de ce
nouvel album de Gérard Manset. Quelle est sa caractéristique à cette Algue
bleue, une spécialité brésilienne ?
-Pas du tout. Ah, de l’algue,
dans la question, pas du titre. Non, parce que là, j'étais quand même
impressionné
-Ouais…
-Voilà, non, non, je
comprends que ça puisse faire peur aussi, mais…
-Pourquoi peur ?
-Parce que ça peut
désarçonner, parce qu'on a… la voix est sauvage. Je sais pas. Non, ça peut, ça
peut... C'est encore, c'est comme tout à l'heure, Zaho, je sais pas quoi...
-De Sagazan…
- C'est très déstabilisant
par rapport à tout ce qu'on entend aujourd'hui de... Comment je pourrais dire
de...
-Formaté ?
-C'est pas le mot formaté
de... Je l'expliquais sur le plan technique depuis l'album où j'avais quatre
titres avec Bashung, le dernier-là, « Bleu-Pétrole » …
-Ouais…
-…que j'avais été surpris... Enfin,
bon, surpris, moyennement, mais de voir à quel point un titre comme « Comme
un Lego », par exemple, mais les autres, rien ne bougeait, les potards, ce
qu'on appelle les potentiomètres d'une console-là, toutes les pistes séparées, c'est
une fois pour toutes, on les met quelque part et rien ne bouge.
Alors, moi, je suis d'une époque
où on bougeait les potards, ça vivait. Il y a des choses qui rentrent, des
choses qui sortent. Et les gens ne sont plus habitués à ça, ça déroute. Bon,
bon, voilà, donc on est dans un monde où tout est plat…, plat, parce qu'on ne
le bouge pas, parce qu'on se méfie des mouvements, quoi.
-Quand vous dites une voix
sauvage, vous faites référence à quoi, ça vous permet de dire quoi, ce terme
sauvage, en parlant de votre voix.
-Je ne sais pas, je l'entends,
je l'entends dans… au casque, j'ai pas de... Même quand je chante en studio,
bien sûr, quand je fais tout, je l'ai... Je suis tout le temps avec, mais je
veux dire là, à froid, là, je monte faire une émission, j'entends ma voix parmi
d'autres choses.
-Et vous êtes impressionné.
-Je suis impressionné, oui. Oui,
je comprends, souvent, on parle d’étrangetés, mais on m'a toujours souligné, ma
voix était très particulière, je veux bien le croire.
-Cette voix, vous l'avez aimé
dès le départ ?
-Elle était beaucoup plus juvénile,
elle était pleine d'harmoniques, les harmoniques sont parties, on est... C'est
pour ça qu'il y a ce côté sauvage. À l'époque de « Matrice » ou de
« Lumières », elle était pas sauvage, elle était étrangère, mais elle
était pas sauvage.
-Vous signez paroles,
musiques, enregistrement, mixage, vous êtes vraiment à toutes les places, ça ne
date pas d'hier.
Est-ce que pour vous, c'est
un impératif catégorique, une incapacité à déléguer, ou est-ce que vous avez eu
de mauvaises expériences par le passé, Gérard Manset ?
-Les
-Jean-Louis Murat.
-Jean-Louis Murat, qui avait
beaucoup de talent d'auteur-compositeur. Il avait pris la mouche il y a très
longtemps parce qu'au début, au tout début, on m’avait demandé de le produire.
Et j'avais eu le tort, peut-être dans ma franchise naturelle et enfantine, de
lui dire, t'as pas besoin de producteur. Si moi je te produis, je vais dire,
faut faire ci, faut faire ça, faut couper ça, faut machin. Non, arrange-toi,
fais tout tout seul. Bon, il l'avait mal pris, mais c'est ça.
L'auteur compositeur, il doit
tout faire tout seul. Et je ne comprends pas d'ailleurs pourquoi beaucoup d’auteurs-compositeurs
ont délégués à Pierre,Paul Jacques. À une époque, ça peut être plus compréhensible
pour des gens comme Jacques Brel ou d'autres, parce qu'il y avait des arrangeurs
extraordinaires, des orchestrateurs. Moi, j'en ai connu quelques-uns au tout début
quand j'avais 18 ou 20 ans. C'était prodigieux. C'étaient vraiment des chefs
d'orchestre, excessivement talentueux, qui transformaient une chanson, une
chanson quelconque, comme celles de Jean Ferrat souvent, qui la transformaient
en faisant quelque chose de magnifique.
-Même chez Gainsbourg,
d'ailleurs. Gainsbourg avait des arrangeurs excellents aussi.
-Oui, enfin, vaut mieux pas
trop me parler de Gainsbourg.
-D'accord.
-Mais surtout que c'était 15
ans plus tard.
-Oui, oui.
-On était déjà un peu dans la
pop, comment je pourrais dire brillantinée, exacerbée, qui voulait montrer
quelque chose qui n'était pas… pas que lui, hein… Non, la grande époque de ces arrangeurs
c'était Jean-Claude Petit avec Julien Clerc, les 5 premiers albums de Julien
Clerc. Bon, il y en a eu beaucoup, il y en a eu beaucoup, il y en a eu
beaucoup.
-Une question par rapport à
ce nouvel album, il n'y aura pas de concert, ç a
non plus ça ne date pas d'hier. Vous vous êtes toujours tenu à l'écart de la
scène. On va pas y revenir. Vous vous êtes beaucoup exprimé là-dessus, mais il
y a quelque chose qui m'intéresse, parce qu'il y a eu à un moment donné, un
espoir avec l'album « Obok », je crois que vous aviez composé des
titres pour la scène, à cette époque-là, des titres taillés pour le concert,
c'était en 2006, et vous y avez renoncé. Mais si vous aviez composé Obok pour
la scène, cela signifie que vos autres chansons seraient des défis pour les
concerts, pour les musiciens, en live.
-Mais ils l'étaient. Toutes
ces autres chansons ou tous ces autres titres étaient des défis.
C'est pour ça aussi que j'ai
arrêté, parce que, par exemple, un titre comme « Demain il fera nuit », c’est
un titre que j'adore, qui était je sais plus sur quel album, peut-être « Le
langage oublié », bon, « Demain il fera nuit », alors qu'il y a très peu
d'accord, il y a des renversements différents, mais on ne peut pas le refaire. Enfin,
c'est compliqué. Il y en a beaucoup, comme ça. Là, sur l'album précédent, il y avait
Marie-Lou, Marie-Lou. Il fait quand même 15 minutes.
Bon, les musiciens s'y
retrouvent plus. Il y a un moment où il se paument, il y a des changements de
tonalité. Il y a quelques fois une mesure en plus, une mesure en moins. Bon,
tout ça, ça peut se rectifier, en cas de tournée.
Et puis, maintenant, j'ai
tellement de titres que je peux en choisir une vingtaine, où il n'y a pas de
problème particulier. Là, « L'algue bleue » qu'on vient d'entendre, là,
ça pose aucun problème, bien sûr.
-Et pour autant, vous vous
tenez encore à l'écart de la scène. Jamais, vous n'êtes tenté.
-Je l'ai toujours été tenté.
Mais pour faire vite…
-Ouais
-…dans les années 80 ou 70, on
était environnés de Dalida et de Claude François, donc on n'avait pas envie de
faire de scène.
-Oui mais depuis les temps
ont changé…
-Bah après.
-Gérard Manset…
-Oui, mais après, après,
après les sonos, elles étaient ce qu'elles étaient. Moi, j'ai jamais eu de
mémoire particulière, parce que je ne sais pas quoi. J'avais pas envie de me
montrer. J'ai salué des gens comme...Bashung bien sûr.
-Jacques Higelin, bon, ces gens-là
sont nés pour la scène. Il faut tout le temps qu'ils soient sur scène. Moi,
j'étais totalement réfractaire à ça. C'est pas mon monde. Je n'ai pas besoin de
voir un public. Donc voilà, j'ai reculé, j’ai reculé mais j'ai toujours
regretté. Non, non, j'adore ça. Quand je suis en studio, et que je chante,
j'adore ça.
-Si vous n'avez pas chanté en
concert d'autres l’ont fait pour vous, Raphaël, notamment, qui a repris votre
répertoire sur l'album « Soleil des latitudes » (sic !!) en
2015 ; Raphaël, qui est managé par Caroline Manset votre fille, Raphaël, c'est
votre autre choix dans la playlist France Inter. Je me suis demandé, si vous aviez
vu, son dernier spectacle mis en scène par Guillaume Vincent, un spectacle théâtralisé.
Vous l’avez vu ?
-Non, j'en ai évidemment
entendu parler. Je savais qu'il emmenait des choses sur scène. Il les retirait.
Enfin, bon, non, je n'ai pas vu, je ne vais jamais voir de spectacles. Donc,
pas plus le sien, mais... mais tant mieux, je lui souhaite tout le bonheur du
monde avec tous les spectacles du monde.
-Tout de suite, Raphaël fait
des heures sup’ sur France Inter…
…Gérard Manset, notre invité
Côté club ce soir. Gérard Manset, vous avez travaillé ce nouvel album avec
votre ingénieur du son depuis près de 30 ans, Jacques Ehrhart, Marion Guilbaud,
l’a joint au téléphone pour en savoir un peu plus sur l'homme de studio que
vous êtes.
« -Bonsoir, Jacques Ehrhart.
-Bonsoir, Marion.
-Vous avez travaillé sur le
nouvel album de Gérard Manset, « l'Algue Bleue », ce n'est pas votre
première collaboration avec lui, est-ce que vous vous souvenez de votre
première rencontre, c'était à quelle occasion ?
-Bien sûr, comment l'oublier,
je travaillais dans les studios Pathé qui étaient l'équivalent d'Abbey Road, à
Paris, puisque EMI avait des studios dans le monde entier, dont celui-là, j'étais
assistant et l'ingénieur du son qui travaillait avec Gérard m’a…, en avait
peut-être un peu marre, je sais plus, ou avait autre chose à faire et donc il
m'a mis sur la séance et c'était assez drôle parce que ça s'est très mal passé,
puis finalement, ça a continué pendant maintenant presque 30 ans, quoi.
-C'était quel album, c'était
en quelle année, cette première séance avec lui ?
-C'était
« Matrice », c'était en 89, je crois, dans ces eaux-là.
-Et qu'est-ce qui s'était mal
passé ? Vous vous souvenez ?
-Ben oui, c'est un détail, c’est
un peu technique, je sais pas si ça intéresse tout le monde, mais à l'époque,
on avait l'habitude que les musiciens répètent avant de faire la prise en
studio.
-Oui.
-Et donc, Gérard descend pour
enregistrer un titre magnifique d'abord qui s'appelle « Comme un ludion ».
Je ne savais pas ce qu’était un ludion à l'époque d'ailleurs. Et donc, il descend
avec sa guitare, il enregistre et il fait la guitare et moi, j'avais l’habitude
que le musicien répète pour être sûr qu'ils sont bien dans le casque, etc. Et
donc, il joue le morceau, puis je me retourne, et je lui demande, donc c'est
bien, on peut enregistrer ? Et lui saute au plafond, il dit : « Comment
ça, t'as pas enregistré ? »
-Ça commençait bien.
-Ça commençait très bien. Et
donc après, j'enregistrai, j'ai demandé ce que c'était qu'un ludion, et puis
après, ça continue. J'ai dû faire encore deux trois conneries à l'occasion, parce
que j'étais un peu vert, encore à l'époque. Mais avec Gérard, on apprend très
vite parce qu'il a une méthode de travail qui est complètement hétérodoxe.
C’est-à-dire qu’il fait pas
trop les choses dans l'ordre, plus ou moins aussi, faut revenir complètement sur
quelque chose. Comme le Picasso dans le film, qui commence par une poule et qui
finit par en portrait, ou le contraire, je ne sais plus, dans le film de Clouzot,
je crois. Non, mais c'est ça, faut s'adapter, refaire des choses qu'on a déjà
faites, reconfigurer parfois les machines, à l'époque, on était encore sur de la
bande et tout ça. Enfin, c'est... On apprend très vite, oui.
-Il est collaboratif, il est
directif.
-À la fois, très directif, il
sait ce qu'il veut pas. Il entend tout de suite quand c'est bien, ce n'est pas
non plus la patience incarnée, mais ça va. Et c'est plutôt, c’est posé, enfin
moi, dès le début, ça m’avait fasciné, quoi, dès les premières séances, faut
que je me souvienne des séances de « Revivre », par exemple, ou des
choses comme ça, où c'était assez magique. Tout en restant très concentré sur
la technique, parce que sinon, ça va pas.
-Qu'est-ce que vous avez
appris en travaillant à ces côtés ?
-J'ai appris à... à tout
faire, oui. Déjà, enregistrer tout le temps, enregistrer vite. Donc, il ne faut
pas que du tout que la technique soit une gêne. Et donc, ça, j'ai appris à
l'époque très vite. En plus, il a une petite tendance. Il fait partie de ces
gens qui... qui suscite des pannes.
-Ah bon, quel genre de pannes,
par exemple, sur l'enregistrement de « L'Algue bleue » ?
-Non, il n'y en a pas eu. Ou
très peu. Je crois, il y a des trucs bizarres. Non, mais par exemple, une fois,
on était à une terrasse de café et un type qui le reconnaît, qui sort de chez
le réparateur de l'appareil photo, et qui demande s’il peut prendre une photo, bien
sûr, Gérard dit non, mais Gérard lui propose que lui prenne la photo, comme ça,
ce serait quand même une photo de Gérard Manset. Elle est prise par Gérard
Manset. Et donc, il appuie sur...l'appareil, rien ne se passe. Le type sortait
du réparateur et avait vérifié que l'appareil marchait. Donc, ça peut arriver
comme ça, quand on lui confie quelque chose, ça ne marche pas. La technique.
-Quelle direction musicale Gérard
Manset avait en tête pour « l’Algue Bleue » ?
-C'était plutôt l'idée de
faire des choses assez live. C'était vraiment la continuité du précédent. Les
albums, comme ça, vont souvent deux par deux, par exemple, « Matrice »
et « Revivre » c’est le même album.
-Tout est recyclé.
-Pas recyclé, retravaillé, toutes
les matières potentielles à faire autre chose. Non, c'est vraiment comme un
peintre qui décide tout d'un coup que là, c'est pas du bleu, c'est du orange et
qui repasse par-dessus, quoi. Du reste, Gérard est plutôt peintre.
-Vous avez une chanson
préférée, Jacques Ehrhart, sur cet album, « l'Algue Bleue » ?
-De… sur l'extraterrestre. Là,
toujours elle, non, ça s'appelle. Je crois qu'elle est assez dingue, ouais.
-Elle est dingue, pourquoi ?
-Pour le thème, la façon de
s'exprimer. Mais je n'ai pas compris tout de suite de quoi ça parlait. Un jour
il a dit et j'ai compris, ça me semblait assez extraordinaire. Je ne sais pas,
moi ça fait 30 ans que je vis avec lui. Donc, je sais plus trop. Tout est à la
fois… tout est pareil et tout est tellement ailleurs. Et formidable d'une
certaine façon, oui.
-Merci beaucoup, Jacques Ehrhart.
-Merci à vous.
-Pour tous ces éclaircissements
sur le travail en studio avec Gérard Manset et à très bientôt dans Côté club. »
-Gérard Manset, vous l'avez
entendu. Vous l'avez écouté… une réaction par rapport à ce qui est pu être dit.
-Oui, bien, non, quand même,
je dois saluer, évidemment qu'on se renvoie des fleurs. Moi, je suis émerveillé.
Je disais tout à l'heure où
j'ai travaillé seul. Souvent, on me dit t’as pas de collaborateur. Vous me
disiez tout à l'heure. Alors, il n'y a pas de producteur. Il n'y a pas de
réalisateur. Il n'y a pas de... Il n'y a rien.
Sauf que j'ai cette chance
d'avoir quelqu'un de très intelligent, de très sensible. Parce que comment il
s'est exprimé là-dessus, j’en n'aurai pas dit le quart. Et c'est tellement
vrai. Tout ce qu'il a dit est parfait. Voilà, c'est tout. Je l'embrasse à
distance.
-Vous créez des pannes. C'est
quoi, cette histoire ?
-Ah non, il y en a eu très
souvent. Oui, oui. Tous les studios tombaient en rade. Mais je savais plus ou
moins pourquoi. Je le prévoyais. Ben je ne sais pas. Ça, c'est un peu passé. Mais
il y a eu 20 ans de numérique catastrophique. Il aurait pas me fallut me mettre
à la NASA pour envoyer des trucs. Non, non, non.
-Pour envoyer des trucs dans
la Lune.
-Voilà.
-En tout cas, écrire une
chanson sur la Lune, c'est possible. Il parle d'une méthode hétérodoxe. En tout
cas, il y a une méthode. Vous aviez donc une méthode quand même,
d'enregistrement.
-Ben, vous savez, c’est la
méthode classique d'origine. On met un Neumann où il faut. On pousse les trois
potards de la console. On regarde que ça torde pas. Avant, on avait des...
C'était l'analogique. Ça ne pouvait pas tordre. Non, mais c'est très simple. Tout
le charabia des ingénieurs du son qui expliquaient… Jacques serait là, ce serait
le premier à éclater de rire et à confirmer ce que je dis. Mais tout ce
charabia des producteurs, des réalisateurs...
Non, non, c'est... D'abord,
j'ai eu la chance de travailler tout de suite quand on parlait de « La
mort d’Orion » avec Bernard Estardy, qui n'est plus là, mais qui était un ingénieur
absolument prodigieux et qui avait été un autodidacte.
Il était électronicien, mais
il avait tout découvert tout seul. Un Neumann au bon endroit, un bon piano.
Voilà, on sait ce qu'on fait. Pas de hors-phase et puis c'est tout. Et puis le
reste, après, c'est le talent du titre. C'est le talent de la voix. C'est la…
l'interprétation. C’est le phrasé, voilà.
-Il parlait aussi
d'enregistrer en live.
-Oui, mais en live, ça veut
dire que tous les musiciens sont dans le studio.
-Oui, mais c'est pas si
courant. Aujourd'hui.
-Oui, malheureusement, à
l'âge que j'ai, enfin, ça l'était toutes les années, tous les trucs des années
70. On n'enregistrait pas autrement. Le premier album où j'ai vendu beaucoup,
là où il y avait le solitaire, qui s'appelait « Y’a une route »,
je me souviens, on a fait tout l'album en une journée et on a fini à 11 heures
du soir. On a fait 9 titres avec un guitariste extraordinaire qui est toujours
vivant, d'ailleurs, qui est aux Etats-Unis, un anglais, David Woods-Hill, je
l'ai salué toute ma vie. Non, non, j'ai quand même eu la chance, encore une
fois, étant seul au niveau des responsabilités d'avoir des musiciens
exceptionnels. Là, on entendait « Revivre », c'est un pianiste qui
s'appelait,
-En revanche, vous expliquez
les chansons, manifestement les titres, parce que Jacques ne les comprend pas véritablement
dès le départ.
-Ben, j'explique rien.
-D'accord, il comprend tout
seul.
-Bon, non, il y en a des plus
ou moins compl…. Celle-là, je veux bien croire que, « Toujours elle »
là, elle est complètement impigeable, mais je l'ai rendu quand même à peu près codée,
machin…
-Et quand bien même, ce n'est
pas grave qu'elle soit impigeable.
-Ça n'est absolument pas
grave.
-On repart dans ce nouvel
album, « l'Algue Bleue », avec ce titre, « Sur la Lune, on danse ».
Vous vous souvenez d'ailleurs de l'apparition de ce titre ?
-J'avais ce premier quatrain,
« sur la lune on danse, et très loin la terre ».
Et puis surtout, j'avais, « c'est
au fond d'un cratère, que l'on s’est…que je l'ai rencontrée, bond de lépidoptère. »
Bon, enfin voilà, je me
voyais, comme quelquefois, je me vois, danser, enfin danser au ralenti, puisque
là, et donc, des bonds exceptionnels et puis croiser cette fille, celle qui est
d'ailleurs sur la pochette-là, sur le visuel.
-La divinité lunaire.
-Oui, oui, oui, oui. Donc, j'ai
très souvent écrit des choses puisque j'écris aussi beaucoup de récits, de
textes, enfin, de littérature on peut dire, mais et de poésie d'ailleurs, il y
a très souvent des choses comme ça à l'extérieur de notre stratosphère à nous, dans
les nuées et dans le passé. Alors, en tout cas, voilà, j'avais ces quatrains que
j'ai gardés longtemps. Je n'ai jamais voulu, j'ai aussi cette particularité par
rapport à des tas d'auteurs-compositeurs, qui cherchent, qui veulent finir, qui
cherchent des rimes, qu’ouvrent des dictionnaires, enfin tout ça est absolument
abêtissant, non, moi, jamais, j'ai toujours attendu, j'ai beaucoup
d'inspiration, merci mon Dieu, mais j'attends que les choses s'enchaînent,
quelquefois, il y a un trou, ça peut arriver. Là, bien, il y avait un trou, j'avais
un quatrain et demi et hop, bon ben voilà, c'est tout, j'ai laissé comme ça, et
puis, petit à petit, j'attendais, et là, j'ai eu une sorte de sample que j'ai
remonté à la surface, et puis des sortes de rythmiques, des trucs, et j’ai dit
non quand même, un jour, là, il faut quand même que j'en fasse quelque chose, là,
« Sur la lune, on danse » ce titre est trop planant, et alors, voilà,
merci encore une fois, ce guitariste, parce que, évidemment si ça tourne, il y
a ça aussi, je sais ce que je veux, mais je ne vais pas le faire tout seul, je
ne joue pas de la Stratocaster comme ça…
-« Sur la lune, on danse »,
très beau titre de ce nouvel album de Gérard Manset, « l'Algue Bleue »,
vous êtes impressionné, manifestement.
-Oui, oui, oui. Ah oui, et
là, je devrais faire de la scène, ça, évidemment, faut que j'arrive à me
convaincre, non, non, mais c'est... Non, mais c'est... je sais pas pourquoi, je
sais, c'est... enfin, je sais pas, peut-être que y’a que moi qui plane, enfin,
je pense pas d'ailleurs, j'en profite pour signaler, que j'ai... je viens de
sortir un clip là, où il y a Méliès qui est assez impressionnant. Donc, je
conseille à tout le monde d’aller voir ce... cet hommage à Méliès.
-Vous avez arrêté de
dessiner, pendant que vous écoutiez la chanson ?
-Ben, oui, parce que je...
là, je m'entends dans des conditions autres, finie, des mois après, pas en
studio, on ne peut rien changer, on ne peut pas intervenir, et j'entends
quelque chose qui me transporte. Je me dis, c'est une des... c'est une des
choses qui m'a maintenue dans cet état d'esprit musical, mais pas que musical, peut-être
qui revient, qui ramène, ou qui relève de mes années, entre guillemets,
bouddhistes, ou tout au moins, méditatifs, c'est que, faire du bien aux gens,
j'ai l'impression que ça fait du bien aux gens, ça, d'entendre ça, c'est un
rêve, quoi c'est un rêve éveillé, et c'est pas du toc, c'est pas un rêve en
toc, comme tout ce qu'on nous vend depuis longtemps, là. Il y a peu de gens, moi,
j'ai Ronsard, quand je lis Ronsard, c'est pas du toc. Il y a peu de gens qui
donnent du bonheur, qui ne soit pas du toc.
-Et bien, ça sera le mot de
la fin, Gérard Manset, merci, on se quitte avec Marion Rampal, qui invite
Bertrand Belin sur son album Oizel, de beaux dimanches en perspective sur
France Inter. Eh bien, Côté Club, c'est fini pour ce soir,
Gérard Manset, merci à vous,
le nouvel album, le 24ème, c'est « l'Algue Bleue », il sortira, le 26
avril prochain."