C’EST
UNE PIERRE
19/05/1991
-Arnaud Viviant- Les Inrockuptibles-
Jouant l’éclipse ou ramenant la lumière, tranchant ou retranché, Manset
parle de Matrice tout en pilonnant celle de ses anciens albums et
maintenant, très vite, de Revivre au Chant du cygne.
Ce jour-là, entre un bistrot éteint de Max Dormoy et un restaurant thaï
fortement déconseillé par le Gault-Millau, celui qui n’a rien à dire
évoquera longuement le voyage, les femmes, le poker, Scorpions, la
solitude, les antipodes, le désespoir ou Léo Ferré.
Arabesques,
circonvolutions, propos parfois inquiétants ou tranquillement
inquiétés. A la fin, quoi ? La vérité ?
J’aurais préféré que cela soit un portrait, voire une rencontre
ponctuée d’une phrase ou deux, enfin tout ce qu’on veut, sauf une
interview. Car je trouve que mon langage parlé n’est absolument pas
conforme à l’image que j’ai d’un artiste. Ainsi, je n’aime pas
véhiculer une certaine forme de vulgarité, comme cela a pu se produire
quelquefois à la radio. Voire, il y a maintenant plus d’une dizaine
d’années, dans certaines interviews à la presse où le journaliste avait
repris quasiment mot à mot certaines circonvolutions et périphrases
dans lesquelles je m’engageais, ponctuées, peut-être pas de
grossièretés ou de choses maladroites, mais plutôt, oui, je le répète,
d’une certaine vulgarité dont j’ai horreur. C’est une des raisons pour
lesquelles je préfère, le cas échéant, me cantonner dans le
vouvoiement, et répondre par oui ou par non aux questions. D’ailleurs,
je n’ai pas grand-chose à dire. Enfin, allons-y quand même.
On explique la sortie,
sinon précipitée, du moins rapide, de Revivre, par le fait que vous
voulez de nouveau partir.....
Qu’en est-il au juste ?
Ce n’est pas une volonté de repartir. Personnellement, je suis et je ne
suis pas là. Dans ma tête, je suis même beaucoup plus ailleurs qu’ici.
En même temps, il y a cette bicéphalité qui fait qu’il m’est
définitivement impossible de vivre ailleurs qu’ici. Je suis né à
Saint-Cloud, j’ai traîné mes semelles un peu partout, mais je reste
attaché au clocher. Donc, quel que soit le côté sucré, l’aisance, la
félicité des antipodes, je n’en suis pas. Il y a en moi une perversion
définitivement ancrée qui est celle, sinon de la culture, du moins
d’une boulimie de signaux culturels tous azimuts, qui me rattache ici.
Même si je n’en suis pas dépendant. Car, à dire vrai, je ne vais voir
que très peu d’expositions, je ne lis quasiment pas, je n’ai jamais mis
les pieds au théâtre de ma vie, la danse je ne connais pas, et le
cinéma je n’y vais qu’une fois par an. Pourtant, j’ai besoin de ce
grouillement, de ce brouillamini permanent de vies différentes qui
n’existe qu’ici, et bien certainement pas dans le tiers ou le
quart-monde où, s’il y a grouillement, brouillamini, ce n’est que de
vies qui se ressemblent.
Vous n’avez toutefois
pas répondu à une partie de la question. A savoir : comment s’explique
cette soudaine accélération dans la parution des disques de Gérard
Manset ?
Ah, voilà une question précise. Essayons d’être simple. Matrice,
c’était il y a un an et demi. Mais pour moi, comprenez, c’était il y a
trois ans. Trois ans maintenant que je me coltine ces chansons. Après
quoi, il y a eu au printemps dernier la compilation Toutes choses. Mais
ce n’était pas des titres neufs. De quoi s’agissait-il exactement ? De
faire un peu le tri dans la discographie, d’épousseter l’affaire. Quant
à Revivre, j’avais le choix de le sortir à la rentrée prochaine,
c’est-à-dire en octobre 91, soit maintenant, au printemps. Or, il faut
savoir qu’à l’exception de Train du soir, tous mes disques sont sortis
à l’automne. Une nouvelle fois, donc, j’ai voulu casser ce sempiternel
rythme automnal. Pourquoi ? D’abord, parce que je voulais faire une
croix sur l’aspect tragique de Matrice, son côté oeuvre au noir bien
souligné. J’ai voulu Revivre volontairement plus soft, et donc le
printemps, avec ses bourgeons partout, me semblait un temps de sortie
plus propice. Le plus tôt possible dans le printemps, afin que le
disque ait le temps de s’installer, de faire le plein des ventes avant
l’été, et que, dès septembre, de façon définitive, enfin, définitive
et provisoire à la fois, Manset soit oublié.
Matrice a été disque
d’or. Cela a-t-il changé quelque chose pour vous ?
Non. La chose est en l’état, intacte, compacte, homogène. La chose est
tenue, gérée, dirigée, élaguée, de façon tout à fait concise, précise,
depuis toujours, depuis le premier jour, depuis le premier 45 tours
Animal on est mal. Bien sûr, quelques petits accrocs sont parfois venus
griser le tableau. Mais bon. Quant à la méthode de vente, elle est
toujours la même. Conditionnée plus ou moins par le produit, et cela
sans l’avoir voulu, sans l’avoir cherché, sans même savoir que j’aurais
la patience d’attendre dix, douze, quatorze, seize albums. Pensant à
chaque fois, depuis La mort d’Orion, que ce serait le dernier. Ou, en
quelque sorte, ne faisant qu’honorer des contrats que je m'étais
soigneusement rédigés moi-même. Cela peut sembler une forme de fascisme
dans les conditions de travail, ou tout du moins un privilège ultime,
ces contrats autorédigés. Mais non. C’est simplement qu’au royaume des
aveugles, un borgne qui a fait ses preuves et qui présente un contrat
aux clauses dures mais respectables, ne rencontre aucune opposition.
Rien n’a donc changé. Cette forme ultime de sécurité a toujours existé,
depuis le premier titre du premier 45 tours. Elle a ensuite toujours
été renouvelée quasiment d’office, et même par anticipation, afin de
n’être pas sujet aux pressions d’autres maisons de disques. Bref, je
n’ai jamais privilégié qu’une chose : le disque, son contenu, sa
pochette. Et voilà d’ailleurs pourquoi j’ai balancé une certaine
quantité de choses que j’avais faites : parce qu’elles n’étaient pas
homogènes avec l’idée d’éternité que je voulais les voir représenter.
Peut-on dire que Matrice
était un album sédentaire et Revivre un album voyageur ?
Non. Il y a une même châtaigne avec deux gousses. La peau, l’écorce
sont les mêmes. Simplement, il y a des réalités que je ne veux plus
assumer. Ce sont : la violence, la dureté, la noirceur de Matrice. A la
fin, je trouve qu’il y a une forme d’impudeur dans la voix qui fait
qu’une phrase dans une chanson peut être beaucoup plus destructrice que
cinq pages dans un roman, quelle qu’en soit l’horreur. C’est par
exemple Jacques Brel chantant C’est dur de mourir au printemps.?
Développée sur trois cents pages, cette idée, c’est du roman de gare.
Mais chantée par un écorché comme Jacques Brel, et je dis cela sans
être particulièrement sensible à l’homme, cette phrase a dû en
démolir certains. Il faut donc être très vigilant par rapport à ce que
porte, transporte, transmet la voix. Voire s’en tenir à distance. Quant
à ceux qui soulignent le côté cabot de l’affaire, je ne veux pas citer
de nom, mais il est clair qu’ils sont relativement détestables, et à
proscrire.
Ce que vous venez de
dire a tout de même l’air de s’opposer à une phrase de Tristes
tropiques selon laquelle on a encore le droit d’être cynique ...
Oui. Je sais qu’il y a actuellement une petite polémique autour de
cette chanson. Je me suis amusé avec ce texte. Il ne faut pas me
demander si j’adhère à tout ce que je dis. Ceci n’est qu’une crise
d’urticaire, réactionnaire, qui se retourne d’ailleurs comme un gant et
sur laquelle il n’y a pas à réfléchir. Au demeurant, il y a dans
Revivre d’autres titres moins descriptifs que celui-ci. Tel Le lieu
désiré qui, s’il avait été sur Matrice, aurait possédé quelques
couplets de plus, des phrases que j’ai gommées, un aspect plus dur et
plus précis que ce qu’il en reste sur Revivre. Là, ce n’est qu’une
évocation éthérée, qui se résume à :
Le menton creusé/La barbe de deux jours/Sur le lieu désiré/Il reviendra
toujours.
Bon, une fois que j’ai dit ça, j’ai tout dit et on se demande pourquoi
la chanson continue (rires).... Mais mieux vaut rester sur ce genre
d’évocation ambiguë où chacun peut revivre ce qu’il veut, sans être
malmené.
A propos de lieux
désirés, pouvez-vous expliquer comment revient dans vos chansons la
documentation de type quasiment ethnologique que vous accumulez durant
vos voyages ?
D’abord, et pour résumer, je dirais qu’il y a eu à l’époque "rien",
puisque je ne connaissais pas le monde. Puis l’époque "foi-illumination"
où j’en ai pris plein la tête. Maintenant, comment ai-je retranscrit
les choses, comment les ai-je ressorties, ou plutôt comment me
sont-elles ressorties ? Là encore, deux époques. D’une part, celle que
je qualifierais d’Actuel, en référence au magazine. C’est-à-dire frime.
Faire tout avec rien, aller sur tous les coups, grossir les choses, en
faire une montagne. Le tout agrémenté d’une prose particulière, mode,
kitsch, liée à l’époque. J’ai ainsi longtemps tenu des carnets, oui,
j’ai écrit pas mal de choses, que je gardais, en étant vaguement
influencé, non, pas vaguement, influencé tout court par ce genre
d’écriture : Actuel, Libé. Là, j’ouvre une parenthèse : depuis un an,
Libé s’est calmé au niveau de l’écriture, il est passé d’une extrême à
l’autre. A cause des femmes. Lesquelles sont toutes très compétentes et
contraignent le monde. Sous peu, il n’y aura plus de différence entre
les quotidiens car tous seront écrits à 90 % par des femmes. C’est déjà
largement visible dans les hebdomadaires, et définitivement dans les
mensuels. Fin de la parenthèse. Or donc, après cette période Actuel,
j’avais toujours envie d’utiliser certaines choses, mais de manière
instinctive, primaire, je me rendais compte que ce n’était pas la
manière. Ce n’était pas élégant, c’était provisoire. Or, j’ai horreur
du provisoire. Jusqu’au jour où, il y a six ou sept ans, révélation, je
suis tombé sur Nerval. Je sais que ça fait un peu itinéraire du Petit
Poucet, mais c’est comme ça. Nerval, le Voyage en Orient. Et là, en une
page et de façon fulgurante, je me suis rendu compte que la solution
était là. Ecriture propre qui permettait de tout dire, avec une
profondeur, une acuité infiniment supérieure aux phrases à
l’emporte-pièce des Actuel et des Libé. A partir de ce moment-là, je me
suis donc attaché à la forme. Voilà.
C’est drôle, vous dites
avoir horreur du provisoire et pourtant vous envoyez vos disques au
pilon.
Pour que ce qui reste ne le soit justement pas, provisoire. De toute
façon, la chanson est provisoire. Et puis, il faut bien s’amuser. Non,
s’amuser, ce n’est pas le mot. Disons que les choses ne peuvent pas
rester comme ça, permanentes. D’ailleurs, il y a encore bien assez de
titres génériques en circulation : Royaume de Siam, Lumières, Y a une
route, Matrice Et puis la musique, on s’en fout. Comment dire ? La
musique, c’est l’hypocrisie absolue, le marché définitif, la
consommation ultime. Toute cette musique partout, ces CD, ces machins,
ces mètres cubes entiers de disques, alors qu’une bonne dizaine de
titres suffirait, et qu’on devrait virer tout le reste des magasins. Ne
garder, selon moi, qu’un bon CD des Stones, un bon CD de musique
californienne, de l’époque baba, tiens, flower-power. On garderait
aussi Revolver des Beatles, et celui-là suffirait. Et puis quand même
quelques CD classiques : quelques symphonies de Beethoven, quelques
quatuors de Schubert, de Schumann, tous les concertos pour violons,
quelques concertos pour pianos et violoncelles. Et puis un album de Bob
Seger. Ou plutôt une compilation. Voilà. On aurait déjà largement de
quoi faire, on pourrait partir tranquillement sur son île. Alors le
reste ce qu’on appelle la chanson française n’est qu’une industrie
comme une autre. C’est Citroën avec ses BX, ses CX, ses ZX C’est le
pneu, la chanson française, c’est l’industrie du pneu.
Est-ce qu’on ne
garderait pas un Léo Ferré dans le tas ?
Bon, au panthéon des poètes, cet homme a sa place. Quand il montera
là-haut, oui, il sera de la famille. Cela dit, il fait partie d’une
catégorie d’artistes fragiles dont je ne peux me sentir frère, ni de
sang, ni de race. C’est quelqu’un qui ne maîtrise pas sa destinée, il
est un peu ballotté. Et puis il est illuminé. Je n’ai aucune affinité
avec ce genre de sensibilité exacerbée. Moi, j’aime les poètes purs et
durs. Ceux qui ont un caractère affirmé, ceux qui pénètrent les choses,
qui ont du relief. Et pas un relief de nature maladive, de décalé, de
désaxé.
Pourtant, Léo Ferré et
vous avez l’air de partager la même désinvolture par rapport à la
musique.
Alors là, vous vous trompez totalement ! Le plafond de ce café devrait
même vous tomber immédiatement sur la tête. Car, quelqu’un de
désinvolte par rapport à la musique, c’est moi et pas Léo Ferré. C’est
même la seule critique que j’admette comme elle englobe toutes les
autres. Désinvolture, oui, le mot est très bon. Cela dit, et même si
cela peut sembler contradictoire, je refuserai toute critique
concernant mon travail sur chacun des albums. Car ma désinvolture
vis-à-vis de la musique est globale, c’est, si vous voulez, un
détachement. En somme, je ne considère pas cela comme important et je
préfère côtoyer un joueur d’échecs, un Kasparov quelconque, plutôt
qu’un auteur-compositeur. Qu’a-t-on à apprendre de quelqu’un qui
gratouille la guitare, d’un rimaillon ? Cette désinvolture existe donc,
non pas parce que je méprise la musique, mais parce que je ne la tiens
pas en haute considération. Et a fortiori la chanson. Maintenant
attention ! Une page de Beethoven, cela équivaut à une page de
Chateaubriand. C’est aussi riche, construit, rigoureux, personnel. Mais
là, nous sommes loin de l’industrie du disque. Pour en revenir à Léo
Ferré, il n’est pas du tout comme moi. Lui croit en ce qu’il fait, il
défend ce qu’il fait, il se bat pour ce qu’il fait. Léo Ferré a des
convictions artistiques, politiques, sociales, cosmiques ! Il est sur
son nuage. C’est un artiste avec un petit a. Ce qui n’est peut-être pas
une tare, mais certainement pas une qualité ! Moi, je ne suis pas de
cette nature, je ne m implique pas dans ces choses-là. Cet aspect cabot
et déclamatoire, je n’entre pas dedans. C’est du spectacle et le côté
saltimbanque n’est jamais recommandable. Bref, Ferré, Brel, c’est un
monde auquel je n’appartiens pas. Ce qui entraîne chez moi, d’ailleurs,
une certaine forme de solitude. Je ne me sens pas chez moi dans la
famille qui devrait être la mienne.
Et cette solitude vous
poursuit sous les tropiques ?
Oui, il y a une errance, comme ça, permanente. Un manque d’attaches, de
racines. Bon, il y a tout de même des compensations. Je n’ai jamais
parlé, au-delà des deux, trois banalités d’usage, de ce que j’aimais
dans le voyage. D’abord parce que c’est très personnel. C’est comme
l’enfance, ou du moins ce que la psychanalyse nous en dit. Le voyage,
c’est une autre forme d’enfance dans laquelle on évolue, où certaines
choses vous marquent et d’autres pas. C’est aussi une forme
d’initiation constante, nécessaire. Elle a d’ailleurs toujours existé :
Sparte envoyait des types dans la montagne avec juste une couverture.
Soit ils revenaient, soit ils crevaient de froid. Voilà le voyage. Sauf
que maintenant, il faut s’envoyer soi-même.
C’est donc spartiate, le
voyage ?
Oui, spartiate et mystique, mais c’est la même chose. A la fin,
qu’est-ce qu’on cherche ? On est venu pour quoi ? Pour en prendre plein
la tête, être illuminé, secoué, mis à genoux. Pas pour qu’on nous serve
la même bouillie tous les matins. Evidemment, c’est un privilège
d’avoir un jour assez de recul pour comprendre qu’on n’était pas fait
pour cette bouillie, mais pour aller chercher autre chose ailleurs.
Tout le monde n’a pas cette chance. Certains sont assommés dès le
premier jour, et toute leur vie, il va falloir qu’ils y aillent, sans
avoir le temps de sortir la tête de l’eau, y respirer un grand coup.
Vous amusez-vous en
enregistrant vos disques ?
Oh oui. Il y a une phrase symptomatique dans une chanson qui s’intitule
Je suis Dieu, chanson que j’ai d’ailleurs envoyée vite fait au pilon.
Cette phrase dit Et je fais tomber les gens dans des pièges. Un
disque, c’est un piège, un trou que je creuserais et dans lequel
j’installerais des pals. Certains tombent dedans, d’autres pas, mais
moi je sais où les cartes sont biseautées, même si elles le sont peu.
Un certain public, et a fortiori les médias, cherche toujours à
interpréter. Ils traquent le mot, l’originalité, le son, le machin.
Pourtant, il y a mille et mille manières de tromper l’adversaire : on
peut ne rien vouloir dire du tout en ayant l’air de dire, on peut dire
en s’efforçant de ne laisser aucune trace. Donc c’est amusant. En
revanche, je n’ai pas ri du tout quand certaines personnes m ont averti
qu’il y avait de gros problèmes de son avec le premier master de
Revivre. Soudain, j’étais pris à mon propre piège. Sinon, la situation
me fait penser à l’introduction de Mauvais karma : " Quelqu’un joue
là-bas/Tire le manche vers le bas/Les choses vont et
viennent/S’allument et s’éteignent/Et sont heureuses et
saignent/Interminablement/Sur cet écran". Quelqu’un est au-dessus de la
mêlée, ailleurs, question de stratosphère. Il tient le manche, devant
l’écran tout le monde gesticule, lui il fait reculer, avancer, arrêt
sur l’image, il rigole et des types tombent dans le trou. Un disque,
c’est pareil, même si on se trompe. Mais on ne peut pas se tromper.
Et vous rigolez quand on
vous dit que Revivre est moins bon que Matrice ?
Ah, oui, je me marre. Car on ne peut pas apprécier Matrice et dénigrer
Revivre. Ces deux disques sont équivalents sur des tas de terrains.
Certes, Revivre n’a pas l’esbrouffe, le côté rameuteur de Matrice. Par
exemple, un morceau comme Banlieue Nord sur Matrice, c’est du péplum,
c’est Quo Vadis. Je ne dis pas que je n’aime pas, parce
qu’heureusement, à un moment, ça monte : Mon Dieu, montrez-nous quand
même , là, j’avoue, j’ai le frisson. Après, il y a des choses plus
intimistes, on ne peut pas toujours faire du cinémascope. C’est Exil ou
Filles des jardins qui trouvent leurs équivalents absolus sur Revivre
avec Le lieu désiré ou Chant du cygne. Bref, il s’agit du même album.
Donc je me marre. Enfin, plus ou moins....
Allons plus loin : c’est
toujours le même album, non ?
Si l’on veut. La plus grande liberté, je l’ai découverte il y a quatre
ou cinq albums, lorsque j’ai compris que je n’avais même plus besoin de
signer mes titres. Qui allait me prendre Comme un guerrier ou Matrice ?
Personne. Il y a cette signature constante. Alors, si l’on veut
chipoter, on peut dire que par rapport à Banlieue Nord, quelques
couplets de Tristes tropiques auraient besoin d’être déposés à la
Sacem. Il y a des lieux communs, on sent moins l’implacable
personnalité de l’auteur. Mais c’est involontaire. Cela fait partie du
jeu. J’attendais qu’on me dise : Voyons, Gérard ! Ne sommes-nous pas
nous-mêmes des peuples opprimés, c’est d’un banal !?
Pourquoi refusez-vous
d’être photographié ? C’est métaphysique ? Ou policier ?
Eh bien, cela a encore à voir un peu avec Tristes tropiques. On peut
considérer ce refus comme une forme d’imbécillité primaire, première,
animale, instinctive, difficilement formulable mais sécurisante : la
peur de se faire voler son âme. Je vous vois hocher la tête.
L’explication ne vous plaît pas ?
Disons que je la trouve
assez indienne, peu civilisée...
Oui, oui, encore une fois, c’est : "Ne sommes-nous pas nous-mêmes des
peuples opprimés". Alors, bien sûr, après, il y a des ramifications.
Lesquelles ne font que raffermir, étayer, rendre indiscutable
l’affaire. On ne voit le monde, n’est-ce pas, qu’à travers ses propres
conceptions du monde. Or, les miennes sont les suivantes : je ne vais,
ne fonctionne que là où il y a un pan caché, dissimulé, quelque chose
de flou, de pas très clair, de difficilement exprimable, une polémique
sur laquelle on peut discuter des jours ou se taire définitivement.
C’est, si vous voulez, l’Immaculée Conception, le Saint-Suaire, ou
encore les pyramides. Qui les a construites, les pyramides ? On ne veut
pas savoir. Par connivence avec le public, j’essaye donc toujours de
ménager quelques pans d’ombre. Un peu comme l’architecte qui dirait:" Je
viens de construire un immeuble à Paris dont la façade fait très mal.
Mais je ne vous donnerai pas l’adresse." C’est un jeu de pistes. Enfin,
tout ça pour dire que mon attachée de presse me donne des boutons quand
elle me dit :"Tu sais, pour les Inrockuptibles, c’est très important les
photos, l’esthétisme ", tous ces arguments que je connais par coeur. Je
m oppose totalement à cette forme d’esthétisme qui ressemble à ces
raisonnements dont les prémices sont fausses, et dont la construction
seule est juste.
Avez-vous le sentiment
d’appartenir à une génération ?
Oui, celle de 68, mais à l’époque je la réfutais. Au moment des pavés,
j’étais en train d’enregistrer La mort d’Orion, et alors que tous mes
copains étaient au Panthéon, sur les barricades, je n’ai connu, moi, du
Quartier Latin à cette époque, que des coupures de courant, des baisses
de tension. C’est évidemment le hasard. Mais je ne sais, de toute
façon, si j’aurais adhéré à ce mouvement. Car j’étais personnellement
totalement pour l’image du père, je trouvais tout à fait désastreux
qu’on brûle tout, qu’il n’y ait plus d’ordre, d’enseignement, qu’on ne
vénère plus personne. Eût-il mieux valu que je sois comme les autres ?
Je ne sais pas. Et puis les meneurs étudiants me semblaient d’un tel
ridicule ! Alignant un tel chapelet de banalités, celles-là que je
ressors aujourd’hui avec dérision dans Tristes tropiques ! Je me
demande de toute façon comment les gens peuvent adhérer à des partis
politiques, quels qu’ils soient. J’ignore si c’est une tare, mais il y
a là une forme de crédulité que je n’ai pas. J’aimerais croire à toutes
les carottes que l’on nous tend, mais je ne veux pas. Ce qui, encore
une fois, entraîne une forme de solitude et de désespoir. Il faudrait
être comme tout le monde : brebis. Donc, j’ai raté 68. Et des années
après, et là sans la moindre excuse, j’ai raté la plus grande période à
mon avis depuis la Renaissance : le flower-power. Led Zeppelin et tout
le toutim ! (Rires). Je n’étais pas à Woodstock. C’est lamentable !
Incompréhensible ! Enfin, pas tout à fait. Car à l’époque, je ne
pouvais pas adhérer à cette planerie collective. Cela me semblait un
mouvement de déchéance absolue, de doux illuminés, une perte. Pourtant,
quand on compare cette effervescence à celle d’aujourd’hui, on se dit
que c’était vraiment la Renaissance. Bref, j’ai raté ça et je le
regrette amèrement. J’aurais dû passer trois ans à Woodstock, cinq ans
en Californie. D’autant qu’aujourd’hui, il n’y a plus aucune raison de
se sentir quelque part aux Etats-Unis.
Et la drogue ? Jamais
essayé ?
(Las) On m'a demandé cela il y a tellement longtemps. Non, bien sûr, je
n’ai jamais essayé. Vous savez, j’ai en permanence la faculté de
bloquer l’imagination, l’inspiration. Car ça va très vite : la moindre
idée, la plus petite suggestion, et c’est parti, je construis mon
affaire. Et c’est non-stop : une véritable prolifération tous azimuts,
des greffes infinies, les unes sur les autres. C’est quelque chose que
l’on ressent avec l’écriture de Bayon, ce débit, cette inspiration sans
relâche, ce vomissement, cette logorrhée. Eh bien, c’est pareil chez
moi.
Vous avez longtemps joué
au poker....
Tiens ! Je me demande d’où vous tenez ça. Eh bien, le poker, avec le
recul, c’est vraiment une belle école. Une vraie psychanalyse. Les gens
jouent réellement comme ils sont, on les dirait allongés sur un divan.
Pour apprendre à se connaître, il faut jouer au poker, c’est évident.
Toutes les gammes de bluff, de surenchère, de suivi prennent ainsi,
suivant les caractères, des allures différentes. Il y a par exemple des
poètes qui sont à table. Vous les voyez. Ils ne jouent pas
nécessairement mal, mais ils gèrent leur main de façon aléatoire.
Quant aux femmes, je me souviens qu’il y avait, quelquefois, une copine
à table. Je jouais quelques tours par correction, puis je demandais à
être remplacé. Sans être misogyne, il était impossible de jouer avec
elle. Je pouvais pratiquement calculer tout le monde, sauf une femme.
C’est comme s’il y avait eu un cheval à la table, ou une chaise.
C’était un être d’un autre monde, irrationnel, sujet à des humeurs tout
à fait hors d’atteinte : flambant à un moment, ne sachant plus rien à
un autre, prenant, ne prenant pas, suivant, ne suivant pas. On ne
comprenait pas. Quant à moi, je jouais ainsi : vite, bien, jamais
aléatoire. Et je jouais ce qu’on appelle béton, sans pratiquement
jamais me recaver , me renflouer. Jusqu’au jour où j’ai quand même tout
laissé sur un coup et où j’ai arrêté.
Comment ça s’est passé ?
C’était un coup où plusieurs mains sont montées très haut, il y avait
des jeux maîtres à droite et à gauche. J’ai été obligé de payer. Mais
n’importe quel joueur à ma place y aurait laissé son tapis. C’était un
concours de circonstances troublant.
Mais où était le plaisir
au poker ? Dans les poussées d’adrénaline ?
Oh non, il n’y a jamais eu de poussée d’adrénaline. Je suis
malheureusement un être très froid. Non, le plaisir, je le trouvais
plutôt dans un certain esthétisme arithmétique. Et puis le poker, c’est
comme la vénerie, un univers avec un vocabulaire particulier, des
rites, des règles, des coutumes. Ce sont des activités que je ne
pratique plus guère aujourd’hui, mais pour les mêmes raisons, j’ai
pénétré dans le monde de la sauvagine avec les gabions, les appeaux
Ainsi que celui du surf- casting et de la pêche à la mouche, où il y a
mille mouches différentes, plusieurs façons de les nouer, de les
présenter. Ce sont des univers à part, comme le poker. Néanmoins,
j’insiste, je n’aurais pas tout laissé sur une partie. J’étais plutôt
là en spectateur. Je n’avais pas la nature d’un joueur, même s’il m’est
arrivé d’aller à quelques tables plus importantes que celles de mes
amis, notamment sur la côte d’Azur, à Cannes. Dès que les premières
difficultés se sont présentées, j’ai laissé la place. En fait, ça
revient à ce que je disais précédemment sur le voyage et l’initiation.
A l’époque, le poker, c’était peut-être une façon de voyager.
Ça ne vous manque donc
pas ?
Non, ce que je regrette, ce n’est pas vraiment le poker, mais plutôt la
notion de lieu, de club où, à n’importe quelle heure du jour ou de la
nuit, on retrouve les copains, les Bayon, tout ça, pour discuter, boire
un verre ou deux, sans même parler de jouer aux cartes. Roda-Gil, il
fait ça à la Closerie des Lilas, mais moi je ne suis pas très Closerie.
Alors oui, un club, un lieu de rendez-vous, ça me manque.
Vous ne parlez pas
souvent de vos musiciens ?
Oui. Je constate souvent que je suis seul à tout faire. Et je réponds à
ceux qui me le reprochent que je ne trouve personne Pendant très
longtemps, je me suis plaint des musiciens, car je n’ai jamais obtenu
d’eux ce que je voulais. J’étais donc obligé de jouer moi-même avec
tous les pains que cela suppose. Et si jamais je voulais les faire
rejouer, j’avais tout de suite droit au sarcasme, à l’ironie. Pourtant,
en vingt ans, j’ai croisé quelques collaborateurs, individus, copains,
auxquels je dois beaucoup. C’est le cas de Mike Lester, qui fait la
moitié des guitares sur Revivre ou Matrice. Mike m a fait découvrir
deux choses : le karaté et Bob Seger. C’est quelqu’un qui a l’esprit
100 % rock, c’est-à-dire martial. Un type en or, absolument
inattaquable, un peu plus jeune que moi au demeurant. Enfin, toujours
est-il qu’il m' a amené les guitares que j’attendais : à la fois hard et
humaines, vraies. Je crois en effet que le hard-rock est une des plus
grandes écoles musicales qui soient. Là encore, comme au poker ou dans
les arts martiaux, il s’agit d’une école de vérité. De même qu’un coup
de bluff ne fait pas trois jours à une table de poker, il ne peut y
avoir d’esbrouffe, de tricherie, de mystification dans le hard-rock.
Les types arrivent, ils allument l’ampli et ça joue. C’est pourquoi je
maintiens que Scorpions n’est pas un petit groupe. Au début, ils
faisaient marrer tout le monde. Mais non ! C’est une très grande
musique, Scorpions, il y a des auteurs derrière, il y a un pulse ! Ce
n’est pas comme les disques de Michael Jackson, où on ne sait pas qui
fait quoi, qui apporte quoi et combien cela a coûté. Et tant mieux
s’ils font actuellement un carton ! Or, c’est Mike qui m a fait un peu
découvrir tout ça. Bien sûr, il y avait eu des prémices : les Small
Faces, par exemple. Mais en me balançant il y a une bonne quinzaine
d’années Bob Seger dans la tête avec Night moves et tout ça, Mike a
vraiment renversé la vapeur. Il a ouvert une porte en moi et tout le
reste a suivi. C’était le début de l’ère des auteurs-compositeurs purs
et durs, et j’ai découvert que Bob Seger était le plus pur et le plus
dur d’entre eux : voix rocaille, bonne instrumentation. Et puis tourner
trois cents jours par an, ce qui fait que, lorsqu’il rentre en studio,
ça sonne. Trois guitares sèches, une basse, une batterie et ça suffit.
Voilà des musiciens respectables. Peut-être que leur vie ne l’est pas,
quoique je me demande si Bob Seger n’est pas un peu curé sur les bords.
En tout cas, j’aurais bien voulu suivre une de ses tournées comme ça,
pour voir, dans le camion.
Le suivre, d’accord.
Mais la faire ?
Oui, on me questionne beaucoup sur mon refus de jouer sur scène.
Pourtant, il faut comprendre. Nous, bons Français avec le béret et la
baguette, nous sommes, comparés aux Américains, comme culs-de-jatte en
ce qui concerne la scène, les tournées. Nous aurons toujours droit à
Michel Berger et France Gall. Qui sont gentils, qui font, et je le dis
sans une once d’ironie, de mépris ou de critique, une musique bien
propre. Simplement, ça n’a rien à voir avec la compétence américaine. Nous, nous avons Truffaut, que nous tenons pour
un génie sous prétexte qu’il met trois heures pour ficeler trois plans
avec des acteurs qui ne savent pas jouer. Eux ont Spielberg. Bref,
l’Amérique possède des paramètres de grandeur et de démesure que nous
n’avons pas. Nous, nous sommes un petit pays, avec des baraques les
unes sur les autres, des appartements en tas. Eux, c’est cow-boys,
Marlboro, éperons, et ça part. Et la route, c’est ça. Bob Seger, ça
roule tout seul.
Gainsbourg vient de
mourir. Or, comme vous, il ne se contentait pas de composer. Il
peignait, il photographiait, il écrivait.
Oui, on ne peut pas lui retirer ça. Mais ça m’emmerde de parler de lui.
Je n’ai jamais été amateur. Je ne regrette qu’une chose : ne pas
l’avoir rencontré pour lui dire, gentiment, ses quatre vérités. Je
suppose qu’à un moment, cela lui aurait vraisemblablement fait du bien,
sinon plaisir. Car j’ai l’impression qu’autour de lui, il n’avait que
des amateurs inconditionnels. Ce qui est bien déplorable. Aussi se
trouvait-il dans un cycle infernal. Plus il augmentait la dose, moins
cela se retournait contre lui. Plus il lançait la balle haut, plus les
gens applaudissaient. Et puis aussi, comment s’explique son désastre
personnel, cette fuite en avant irrépressible, quel qu’était son talent
? Par l’absence de hiérarchie. Je m’explique avec un exemple. Bayon,
mettons, dont je suis en train de lire Le lycéen, et qui est
définitivement la seule personne qui me fasse rire avec Louis de Funès,
sort un bouquin. Est-il meilleur ou pire que celui de Labro ? Qui va le
dire ? Ainsi, ce qui est très déstabilisant pour les artistes, c’est
l’absence d’échelle de valeurs indiscutable. Autrement dit, vos
relations, vos amis, vos intimes, vos pairs peuvent bien vous répéter
que vous êtes le meilleur, cela ne vous empêche pas de rentrer le soir
et de douter comme au premier jour. Et de vous demander si tout cela, à
la fin, n’est pas qu’une vaste farce...
*********************************************************************************************************************
REVIVRE, DIT-IL
par Philippe BARBOT (Télérama n°2150 du 27/3/1991)
Aussi
avare de mots que de photos, l'animal. Mais pour « Revivre », Manset
s'explique. Scoop ! Il abandonnerait la course en solitaire pour les
voyages en groupe. Paroles d'Evangile restituées par un fan.
C'est
un fruit exotique qui gît sur un étal. Tranché net par une lame,
rustique mais effilée qui repose à côté de son culinaire forfait. De la
blessure clinique, sourdent quelques noirs pépins. Bref, c'est un
agrume coupé en deux. Mais c'est surtout le cliché, pris il y a
quelques années dans une ruelle de Bahia, qu'a choisi Gérard Manset
pour illustrer la pochette de son dernier album. Ne cherchez pas, il
n’y a pas de symbole.
Le
disque s'intitule « Revivre ». C'est aussi le titre d'une des sept
chansons du disque, préféré de justesse à deux autres qui sonnaient
tout aussi bien, « Capitaine Courageux » et « Tristes Tropiques ». Mais
bon, vous imaginez les problèmes de copyright...
C'est
vrai, pourtant, dans l'œuvre de Manset, il y a du Rudyard Kipling pour
la geste obstinée, et du Claude Lévi-Strauss pour l'ethnologie
poétique. Et ce disque, s'il en était besoin, le prouve une nouvelle
fois : textes sculptés à la main, ciselures de rimes, pas un mot de
trop, pas la moindre coquetterie gratuite, pas le moindre écart de
lyrisme douteux, tout est soupesé, affiné, éprouvé. Écoutez-moi ça :
« On voudrait revivre / Mais ça veut dire/On voudrait vivre
encore la même chose / Refaire peut-être encore le grand
parcours/Toucher du doigt le point de non-retour. » Qui d'autre que
lui, le Gérard l'ermite, le chantre d'Asie, pourrait se le permettre ?
Revivre,
donc. Renaissance et répétition, deux thèmes chers à l'auteur de « Y'a
une route », mais ici, comment dire, régénérés. Pas dans l'habit :
toujours cet éternel et familier piano frileux, cette boite à rythmes
laconiques et ces quelques effusions de guitare électrique qui
rappellent « Matrice », l'album précédent. Pas étonnant : la plupart
des chansons ont été enregistrées en même temps et sortent de la même
matrice, justement. Mais cette consanguinité (les deux disques sont
davantage frères jumeaux que fragments d'un dyptique) se tempère cette
fois de climats apaisés, presque sereins. Avec, immédiatement
discernables, trois points de mire, trois crêtes : « Le Chant du cygne
», un des cinq plus beaux textes du Gérard Musset, dans la lignée de «
Toutes choses » ; « Le lieu désiré », sorte de suite immobile à « Il
voyage en solitaire » ; et « Capitaine Courageux » symphonie spatiale
toute de mouvements aquatiques, dans le sillage de « Camion bâché ».
Après
avoir nettoyé sa discographie, entre laser et pilon, et dépassé, enfin,
la barre fatidique des cent mille exemplaires vendus, l'animal se
sentirait-il un peu moins mal?
«
Ce succès m'a permis de franchir une ligne de démarcation
psychologique, c'est vrai. Mais je suis encore bien loin des Cabrel ou
des Goldman, on ne fait pas le même métier… En fait, avec le recul,
j’ai pris conscience d'un paradoxe tordu : « Matrice » était un disque
très dur, et c'est ce pourquoi je suis fait, ce qui rend sans doute ma
démarche artistique unique. Pourtant, j’ai décidé de ne plus colporter
ce genre de choses. Je ne veux pas laisser cette image de... torturé.
Les excès, en tout, sont à récuser. Il y a un juste milieu et je crois
l'avoir approché avec ce disque. »
Dans
un bistrot de la porte de Saint-Cloud, Manset s'explique. Rendez-vous
quasi rituel qui, cette fois, en accord avec lui, ne prendra point la
forme d'une classique interview. Artisan tatillon du mot, Manset
redoute la trivialité d'une conversation sur le vif, la crudité banale
de phrases extirpées de leur contexte. Car, c'est notoire, l'auteur de
« Rien à raconter » est un interlocuteur plutôt disert.
«
Tu trieras tout ça », s’inquiète-t-il parfois, au sortir d'un long
détour oratoire. En voici une tentative, condensée, ramassée et, sauf
son respect, épurée. Dur de réécrire Manset...
REVIVRE, MODE D'EMPLOI
«
Rien à voir avec la réincarnation bouddhique. ici, c'est plutôt au sens
conventionnel, chrétien, du terme. Mais, derrière le cliché éculé, une
idée, une nuance m’a intéressé : si on repassait à travers les mêmes
tamis, les mêmes épreuves, Si an avait la possibilité d'analyser à
chaque seconde, image après image, le film de sa vie, de ses faits et
gestes, sans doute pourrait-on être en règle avec soi-même Et il n'est
pas dit qu'on aurait envie de modifier ce qu'on a déjà vécu… »
CHANSON DEBOIRE
«
J'ai beau tendre vers quelque chose de littéraire, car c'est mon seul
propos, ma seule raison de faire de la musique, je sais que deux ou
trois phrases chantées ont souvent plus d'impact que dix pages de
texte. Pourtant, j'exècre le mot chanson. Si l'on dit une chanson de
Trenet, d'accord, le mot chante de lui-même. Mais, ce qu'est devenu
l'univers de la chanson n'a rien voir avec ça. Je suis toujours sidéré
par la tolérance du public envers certains… chanteurs. La vraie
tolérance serait de les laisser s'exprimer, mais de refuser de tomber
dans les pièges tendus à la goujaterie, à la vulgarité. »
FILS DES TROPIQUES
«
Il y a une phrase, dans la chanson « Tristes Tropiques », qui dit : «
Ne sommes-nous pas nous-mêmes des indiens des plus rares... ». C’est un
peu une provocation, dans le contexte actuel de boulimie écologique.
Nous aussi, nous avons droit aux plumes, aux amulettes, aux
scarifications, aux sévices, aux déplacements de population, même si
c'est de manière plus dissimulée. Peut-être qu'un jour il faudra dire
que la misère, affective, nutritive, est chez nous. Et que les bons
vivants, ce sont eux, les peuples des tropiques, avec leurs étuis
péniens et leur curare... »
MODERNE INANITE
«
On me reproche parfois le son de mes disques, dépassé, disent certains.
Mais on ne se rend pas compte du ridicule de l'actualité. J'ai revu
récemment Le Pacha, à la télé, un film avec Jean Gabin. Il y a une
scène tournée dans une boite de nuit où l’on voit des jeunes gens très
flower power, avec des colliers et des vestes à dorures, danser le
jerk... Immédiatement, le film date. Dans la création artistique, il
faut tenir compte de l’horreur de la modernité. »
SOLO FINAL
«
Pour la première fois, j'ai fait le vide des titres que j'avais en
réserve, pour ne pas me retrouver piégé par mon fonds de commerce. Il
ne m'en reste qu'un, qui s'intitule « Toujours elle » et que je n'ai
pas enregistré pour le sauvegarder. J’aimerais que ce soit le point de
départ d'un autre univers sonore, d'une autre façon de travailler. J'ai
désormais besoin de la notion de groupe, d'atelier plutôt, comme en
peinture. J'envie ces peintres d'Asie qui travaillent dans la rue, au
coude à coude.
La
production artistique ne peut être éternellement solitaire, dans une
chambre de bonne ou dans un palace. Sinon, on est condamné à se scruter
le nombril. J'ai envie d'avis, de conseils, de réactions. Après tant
d'années, c'est sans doute mon désir le plus important : je ne veux
plus travailler seul ! »
***********************************************************************************************************************
RÉSURRECTION
Par Yann PLOUGASTEL pour l’Évènement du Jeudi (28/3/1991)
Gérard Manset de Bouddha à d'Ormesson...
Porte
de Saint-Cloud, vendredi midi, brasserie Les Trois Fontaines. Au fond
de la salle, un homme redoute d'avoir la migraine. Il a tenu à ce que
la lumière vienne de sa gauche. Un ami l'a surnommé « le pèlerin du
silence ». Un autre, plus soucieux de références littéraires, a ajouté
.... « Une sorte de Beckett du rock. » On ne sait pas grand-chose de
lui. Un nom. Des disques. Une poignée de morceaux qui montent à la tête
(migraine ?). « S'il chante / C’est qu'il est deux / C'est qu’il est
heureux / Dans son monde à lui.» Au programme : du noir, de la peine,
quelques étoiles, des membres rompus, des amours perdues, des larmes
dans la nuit, beaucoup de vide... Plusieurs milliers de fidèles lui
vouent un culte secret sans qu'il apparaisse à la télévision ou donne
un concert. II jette juste de temps en temps des messages à la mer.
L'homme
a un pull informe, un jean trop large et des baskets improbables. Comme
d'habitude, il y a un point d'interrogation qui danse dans son dos.
Quel masque porte-t-il aujourd’hui ? Va-t-il être le guerrier
solitaire, le voyageur immobile, le prisonnier de l'inutile, le
capitaine courageux, le philosophe énigmatique, le bouddhiste
sourcilleux ? Sur les pochettes de ses albums, son image apparaissait
de plus en plus fugacement, brouillée ou floue. Celle fois-ci, pour «
Revivre » rien ! Un fruit brésilien coupé en deux et un couteau («
Découper le monde à coups de rasoir pour voir au cœur du fruit le noyau
noir » chantait-il autrefois). Comme s'il n'existait plus… « J’ai assez
donné dans l'impudeur de la première personne, désormais on donne dans
le « on ». Puisqu'il n'est plus rien qui puisse montrer qu'on est sûr,
autant prendre le parti de l’afficher », assène l'homme au menton
creusé. Puis il commande une bouteille de bordeaux. On l'avait quitté
zen, buveur de thé et adepte du riz complet, il revient amateur de
vin... Plus tard, il ira jusqu'à avouer son admiration pour Jean
d'Ormesson (« I ’image du père Idéal ») Jean-Edern Hallier («
l'inconscience ne naît pas du néant ») Cet homme, chez qui le rire est
mort, aime saccager les illusions de ceux qui croient avoir percé une
part du mystère. « On marche de travers / Comme un crabe / Et la mer
descend », avouait le refrain d'un de ses morceaux clés.
INSTANTS DE GRÂCE ET DE FACILITÉ
Apres
avoir annoncé qu'il renonçait à la musique pour peindre et écrire, puis
revisiter son œuvre en élaguant l'indigne à coups de serpe pour ne
garder que les chants du cygne, l'homme du train du soir a repris la
route du studio. Pour deux albums ; Matrice, plongée parfaite entre
ténèbres et silence (« Renvoyez-nous d'où on vient »), qui, depuis le
carton de Il voyage en solitaire, s'est avéré la meilleure réussite de
notre homme ; et aujourd'hui « Revivre », versant arrogant de la même
montagne (malgré un mixage en dépit du bon sens qui relègue les mots
dans un lointain préoccupant). «Le crabe, c'est le Cancer. Mon
ascendant (…) Le Cancer, c'est l'élément marin, la mer, l’eau. C'est le
regard tourné vers l'enfance…. On ne vit que dans l'enfance. » D'où
cette volonté de re-vivre qui ne correspond pas à une résurrection mais
à un besoin de « vivre encore la même chose », comme si on ne pouvait
échapper à une ornière tracée. Ce dernier disque est bizarre. Hybride.
Avec des instants de grâce (« Chant du cygne », « Revivre »,) et des
facilités qui tournent à la caricature (« Tristes Tropiques » ou « Eden
Bay »). Comme s'il s'agissait de relativiser — à la baisse — la
luminosité de Matrice. Porte de Saint-Cloud, vendredi, 15 heures,
brasserie Les Trois Fontaines. On a envie de citer Verlaine :«
Dans une rue au cœur d'une ville de rève / Ce sera comme un instant
qu’on a déjà vécu / Un instant à la fois très grave et très aigu.
Gérard Manset a mal à la tête.
**********************************************************************************************************************
UN ENTRETIEN AVEC GÉRARD MANSET
(LE MONDE | 11.04.1991)
JE, D'OMBRE ET DE LUMIÈRE
Singulier
et sombre, rocker sans autre excès que celui de son caractère, Gérard
Manset vient d'achever un album suave, « Revivre », suite attendue du
très beau et très dur Matrice de l'an dernier, juste après un coffret
chic en forme de best of.
Yves Simon, à quarante-cinq ans,
connaît les honneurs de l'intégrale, dix CD, à paraître en deux fois
d'ici à la fin de l'année. Bien campé dans son époque, il a choisi de
s'éloigner de la scène il y a plus de dix ans. Gérard Manset peint.
Yves Simon écrit. Ils voyagent. L'un chante et l'autre pas. Question de
mots, et question de fond : qu'est-ce que la chanson ?
Réponses esquissées par deux auteurs-compositeurs-interprètes d'après soixante-huit.
MANSET
est un sujet difficile. Dire que c'est un mystère serait contribuer à
la construction du mythe. Bâtir un prophète là où il n'y a qu'un
chanteur serait insulter ses propres exigences : celles du vrai, de
l'authentique. Et, d'ailleurs, est-il chanteur ? Question posée,
réponse évitée : " Voilà bien un mot à proscrire. " Mais que fait-il
donc dans la vie ce grand garçon brun, adolescent tourmenté de
quarante-cinq ans environ, qui déteste le bruit et la fureur du siècle
et qui voudrait à tout prix ne pas en être le produit ?
Les
quelques traces de réalité décelées dans sa vie protégée indiquent
qu'il voyage, qu'il a appris les langues orientales dans une école, et,
surprise, qu'il serait plutôt sympathique une fois ôtée la noirceur
mélancolique imposée par l'image Manset.
De Manset, on retiendra
qu'il ne donne pas d'interview, sauf quand il en donne, qu'il pratique
assidûment les arts mineurs -la chanson, la photographie- et
s'adonne avec une passion impatiente et déçue à un art majeur, la
peinture.
Dans un café de la Muette, Manset parle. Pour le jeu des
questions-réponses, c'est non. " Ça, c'est bien quand on a vraiment
quelque chose à dire. " Lui...
« Revivre » vient de sortir un
peu plus d'un an après « Matrice », album unanimement encensé par la
critique. Ce matin-là, l'homme secret qui habite le rock français n'est
pas dans son assiette. Insatisfait du mixage de son quinzième disque -
la voix était trop en arrière - il en demandera quelques jours plus
tard le retrait des bacs des disquaires. L'imperfection a quelque chose
de la souillure. Remixé adéquatement, Revivre fait aujourd'hui une
seconde sortie, ce qui ne lui confère pas pour autant la qualité de«
Matrice », mais voilà qui passionnera les collectionneurs.
La
création a des caprices. Manset, dit-on, fabrique des blocs, dont il
tire d'abord le meilleur, puis l'acceptable. A la question des dates,
de la chronologie, l'auteur-compositeur répond: « Si on passait mes
albums au carbone 14, on constaterait qu'ils sont tous de la même
époque. Je maquille. »
Seul confidence, en signe de bonne volonté
: « Capitaine courageux », plus quatre ou cinq titres de son nouvel
enregistrement ont été composés avec « Matrice ».
Il enlève ses lunettes noires. Et les remet aux premiers signes d'agacement.
«
Plus on avance, plus le bon sens disparaît. Auparavant, on pouvait
passer les trois-quarts de son temps à s'affiner. Le reste était
consacré à la technique et au commerce; maintenant, c'est l'inverse.
Dix minutes de création et dix mois de justification, de mise au point.
»
Sincère, manipulateur, fragile, tourmenté, talentueux, Gérard
Manset tourne autour de la chanson, la triture en boucles répétitives.
Même ton, même guitare électrique, même voix solitaire et tremblante,
même rythmique, même déprime. Exil. Automutilation. Y a une route,
Camion bâché : le style Manset a un on-ne-sait- quoi d'hypnotique,
comme ces spirales sans début, ni fin, par lesquelles les tourments de
la dépression se prolongent dans un délice maniaque.
Gérard Manset serait-il prisonnier de lui-même ?
«
Dans le malentendu total et global de la mystification artistique, je
suis un petit cas particulier vécu avec honnêteté. Un artisan peut-être
un peu plus qualifié que les autres. Depuis Bouddha, on n'a pas inventé
grand-chose. Tout n'est que redite. La personnalité, l'identité d'un
individu tient à cette façon particulière d'exprimer les mêmes choses.
D'où les excès d'aujourd'hui, eux seuls sont surprenants. »
La
légende dit : Gérard Manset fait tout, tout seul. Il écrit, compose,
arrange, mélange et veille avec un soin pointilleux sur le travail de
studio.
« Le travail et la concentration passent par le refus du
monde. » Ecrasante responsabilité que celle de l'homme retranché.
« Immédiatement après la satisfaction, commence le doute. » Et le
rocker avoue aujourd'hui sa tentation du groupe, son envie d'oreilles
habiles à détecter les vices de fabrication avant lui, son rêve
impossible de spectacles vivants.
Le succès de Matrice -la barre
des cent mille exemplaires vendus est enfin franchie- lui aurait-il
donné l'envie de redescendre au rang du commun des mortels ?
Manset, qui oscille entre la divinité (un ésotérique " Je suis dieu " lancé dans les années
70,
et pris au pied de la lettre par les fans) et le sentiment de la
nullité (" Je suis totalement stérile "), trouve l'époque impudique.
«
La danse, le cinéma, la chanson : du cirque, une foire
infantilisante. Chanter est exhibitionniste. Le vagissement, le
glapissement de la voix, c'est comme se déshabiller », et la boulimie
de consommation made in USA a perverti cette époque " à vomir ". Manset
n'est pas gai. Où met-il le plaisir ? " Dans le quotidien. " Haussement
de cils.
A LA RECHERCHE DE LA MYSTIQUE PERDUE
On ne peut pas parler d'itinéraire musical à propos de Gérard Manset.
Plutôt de repères, en forme d'albums, puisqu'il a rayé la scène du registre de ses phobies.
1968
: un tube météorique dans une année agitée : « Animal, on est mal ».
1975 : « la Mort d'Orion » (sic !!), lettré et confidentiel. « Lumières
», en 1984, album prophétique, à la recherche du dépouillement et de la
mystique perdue (« Finir pêcheur ») et « Matrice », en 1990 (resic…
!!), incisif et dur (« Banlieue nord »).
Jusqu'à 1977, il se
prête au jeu du chanteur. Ne se cache pas autant. Ne se mutile pas
encore le visage du N de son nom (comme sur la pochette de « Matrice
»). Mais cette année-là, lui, " l'entier, l'excessif ", ne supporte
plus de travailler au beau milieu du fatras de la télévision, des
spectacles approximatifs. Il se retire. Part. Ailleurs, « là où
les mots sont vrais. En Thaïlande, pays de western, où l'étymologie est
respectée, les rapports de forces disent leur nom ». Il y écrira un
roman, « Royaume de Siam ».
Sac au dos, voyageur solitaire,
personnage sombre, il réserve ses œuvres à ceux qui se laissent élire.
Dépouillé, ennemi de l'inutile et du superflu, allusif, Manset
apparaît, disparaît. C'est une seconde nature, au demeurant payante sur
le plan de la carrière, un art du contraste.
« La faute ne vient
pas de ceux qui choisissent de rester dans l'ombre, mais des médias qui
ont sous la main des gens qui veulent bien s'exposer. »
Dix ans
après sa désertion physique, dix albums plus tard, il annonce son
retrait définitif de la chanson. Les disques jugés imparfaits sont au
pilon (tous). Les « accros » de la poésie noire, admirateurs de la
première heure ou nouveaux venus dans le cercle manséiste, essaieront
de reconstituer la collection complète avec dévotion.
Seul
45-tours, hormis « Filles des jardins », tiré de « Matrice », «
Caesar », titre chanté en latin, extrait de la Mort d'Orion
(rere-sic…). Rarissime.
A la fin de l'année passée, avec le
dédain apprêté du dandy, le rocker bouddhiste fait son autocritique et
sauve vingt titres de son œuvre passée, les remixe, et les emballe dans
deux CD à tirage limité et numéroté, accompagné d'un double jeu de
cartes (le bridge) estampillées d'une toile du peintre anglais Sir
Edward Burne-Jones -des jeunes filles hypnotiques et diaphanes -qui
orne la pochette. C'est chic, très chic. « Bien sûr, l'habillage est
une opération de marketing. »
On dit Manset ésotérique, il en devient agaçant, comme une secte à lui tout seul.
«
Il y a des lumières, des voix soufflées de loin. » Ceux que le siècle
n'aura pas encore totalement dévorés comprendront. « Un langage
codé ? Ah, oui, on dit ça ? C'est normal, c'est comme ça que je reçois
les mots. Je suis ami et complice avec les mots. Poète, voilà peut-être
le substantif qu'il me reste, entre le respectable et l’inintégré, je
dis bien l'inintégré. » Il note ce mot dans un carnet de poche.
« Mon travail doit tendre vers la littérature. »
Manset l'élitiste ne lit pas. N'écoute pas de musique.
«
Beethoven, je pourrais. Mais, non, c'est trop castrateur. Et puis, par
préscience, je débusque tous les lièvres de la création artistique. »
La première page du premier chapitre de « l'Assommoir » de Zola lui
suffit à comprendre l'ampleur de l'écrivain.
De même, de courts
extraits de « Tristes tropiques » donnent la mesure de Lévi-Strauss, «
un de ces êtres intelligents que les gens omettent d'écouter, quelqu'un
qui a gardé le bon sens qui nous fait aujourd'hui cruellement défaut ».
Pas besoin d'épiloguer. « De toute façon, la réalité d'une
création artistique se mesure au volume et au poids. A l'intérieur de
ces portes verrouillées, je construis des jeux de piste, des lieux où
je maintiens les choses. »