BASHUNG : "Là, on a
refait le monde...."
«La majesté dans les
oreilles»
16 MARS 2009
Témoignage.
Gérard Manset a collaboré à «Bleu Pétrole».
Le
chanteur d’"Il Voyage en solitaire" avait été interprété par Alain
Bashung sur "Route Manset" en 2004, compilation hommage ; en retour,
Bashung l’a fait œuvrer sur son dernier album,"Bleu Pétrole".
«Nous
nous sommes très peu vus. D’où la force imprévue d’une telle série de
rencontres. D’autant que mon habitude est de voir les gens seuls. Lors
de ces tête-à-tête, nous parlions de tout sauf de musique. Et
concernant les trois originaux qu’Alain m’a fait l’extrême plaisir
autant que l’honneur d’interpréter et de tripoter, là encore nos
rapports furent très succincts. Cela s’est résumé parfois à une
rencontre dans une brasserie ou dans un salon de thé. Il venait en
taxi. Avec sa bouche pointue très attentive, le regard dissimulé, il
avait écouté très soigneusement ce que j’avais dû amener sur un
portable, m’étant muni d’un casque.
Quant
au studio, je me souviens simplement que dans la première mouture de
l’album, jetée aux orties, qu’il avait faîte à ICP en Belgique, on
l’avait, disait-il, "relégué" tout en haut, pour faire des voix, et
qu’il s’y sentait seul. Cela a duré pas mal de mois. Ensuite, je l’ai
revu chez lui, à Paris, dans sa petite maisonnette vers la Goutte d’Or,
un truc très improbable entouré de fleurs. On aurait cru un conte de
fée. Tout y était tout petit comme dans Alice in Wonderland, et lui,
toujours comme à son habitude, très délicat.
Encore
une fois, sur le plan artistique, bien que nous soyons chacun admiratif
l’un de l’autre, il ne fut pas question de parler de musique. J’avais
pu croire qu’il allait jouer, et moi aussi, quelques accords pour
essayer "Comme un lego", et pas du tout. Il m’a montré quelques
maquettes, il tenait ça en main, distrait et hésitant, les quatre ou
cinq CD gravés la veille et que je devais entendre. Quelques accords de
guitare pour le fameux "Vénus" et une maquette entière des neuf minutes
de "Lego".
Il
avait le choix entre les différentes structures, y ayant rajouté une
modulation harmonique non prévue. J’ai dû entendre deux phrases, et je
lui ai déclaré que cela n’était pas nécessaire, que je préférais
attendre, que la déception serait trop insupportable si ce titre, après
la majesté que je venais d’avoir dans les oreilles - sa voix, et brut
de décoffrage -, venait à ne pas se retrouver sur la galette finale. On
a remballé le tout, on est passé sur la terrasse, au milieu des
bourdons et des pâquerettes, et là on a refait le monde.»
GÉRARD MANSET