MANSET : ANIMAL
DÉCORTIQUÉ
La
presse et les journalistes donnent leurs avis, font des interviews,
critiquent en profondeur ou à la va-vite, en font parfois des tonnes ou
racontent des histoires sans grand rapport avec la musique ou le disque
qu'ils ont sous les yeux, donc je propose ma vision de l'oeuvre de
l'animal en toute subjectivité, chacun y piochera ce qu'il souhaite et
aura envie de se faire sa propre opinion en écoutant, retours acceptés
avec plaisir.
CRITIQUES
CHRONOLOGIQUES :
1968
: Ceci est le premier album de Gérard Manset. Il ne porte pas de nom et
on l'appelle, donc, Gérard Manset, ou bien encore Manset 68
ou
Animal On Est Mal. Ce disque date de 1968 dans sa première
version, montrant un Manset en train de fumer, l'air songeur.
En
1971, Manset rééditera ce disque en supprimant Pas De Pain et en
mettant trois autres titres à la place (12 titres au lieu de 10, et
autre pochette), Golgotha, L'Arc-En-Ciel et La Dernière Symphonie.
Ordre changé pour les morceaux, ce n'est plus Je Suis Dieu, mais Animal
On Est Mal, qui ouvre le disque. Déjà, en 1971, Manset commençait à
modifier son répertoire, à modifier ses albums, et ce n'est que le
début ! L'album dure dans les 31 minutes dans sa version 1968, et dans
les 39 minutes dans sa version 1971. Les deux versions sont pour moi
assez proches au niveau de l'ambiance, on voit que cela s'est fait avec
des moyens très limités, une production très peu professionnelle avec
la voix trop en avant et la musique au fond dans un coin, comme pour
presque s'excuser d'être là; tout cela manque de cohésion et une écoute
suffit à comprendre pourquoi Manset a choisi en quelque sorte d'oublier
cette partie de son oeuvre; on zappera très vite et on passe à la suite.
LA
MORT D'ORION : Porté aux nues par les uns, franche rigolade pour les
autres ce concept album spacio-médiévo-progressif me laisse assez
indifférent avec ses envolées symphoniques lorgnant vers la musique
classique, une sorte de rite de passage entre le premier album rempli
de tics très "chanson française" avec tout ce que cela a de péjoratif
et une volonté de se débarasser des poncifs ou références imbuvables
(cordes dégoulinantes, choeurs plus ou moins psychédéliques, voix
extérieures, orchestrations à la papa) avant d'attaquer la montagne
rock'n'roll par la face Nord (illumination ? Vision quasi divine ?
Révélation ou conversion après l'écoute d'un Dieu quelconque ? Qui sait
?....) Je zappe
LONG LONG CHEMIN : Troisième et dernier disque
du chemin de croix, tous les titres seront par la suite mis au rebus
par Manset jugeant ces balbutiements indignes de figurer sur une
quelconque compilation, ce que je partage absolument. On trouve bien
les prémices de ce vers quoi Manset va évoluer ( l'oiseau de
paradis, ou donne moi qu'on peut à la rigueur sauver du naufrage), mais
le reste est à oublier, d'ailleurs l'auteur a parait-il détruit les
bandes originales afin de ne pas céder à la tentation de ré-éditer ça
un jour en CD ou remastérisé comme c'est à la mode aujourd'hui; next !!
Y'A
UNE ROUTE : 1975, les vraies affaires commencent et de quelle manière
!! Face 1, piste 1 : "Y'a une route" et la base de l'oeuvre est posée;
avec une telle fondation, l'édifice va pouvoir s'ériger et ne pas
craindre les tremblements de terre. Ambiance Kérouac (Sur la route) et
la beat generation, tout est là en deux accords et quelques arpèges de
guitare sèche, les images un rien surréalistes (le chien avec sa tête
dans ses mains !!), les voyages (équateur, la brousse), Manset sort du
chemin de terre (il y reviendra plus tard) et monte sur le macadam,
c'est du solide, le chef de gare fait un signal à ceux qui vont monter
dans le train pour le suivre....après la route faut prendre le train
(du soir ?) et là tout le monde suit ou presque !!
Piste 2 : Il
voyage en solitaire, là c'est pas facile....le tube planétaire qui va
donner son envol à Manset jusqu'aux plateaux télé de Drucker ou Danièle
Gilbert et le persuader s'il en était besoin que ce monde de
bonimenteurs n'est pas fait pour lui. Fin de l'épisode et rejet total
du système, on ne l'y reprendra plus. Hormis cela et en essayant de
faire le tour de ce monument on peut être fasciné par la ritournelle
assez proche de Lennon genre "Jealous Guy" avec ce grand piano qui
résonne comme dans une église et ce type seul au monde, perdu dans
cette ville tentaculaire, remplie de bagnoles avec un melon comme une
citrouille avec cette histoire de "chanson est bonne". Accordons-lui le
bénéfice du doute, une chanson dépouillée qui fera un tube par
accident..
Piste 3 : On sait que tu vas vite; certifié rock'n'roll à
200% où se mêlent vitesse, chromes, choc des générations, voyage, et
pour finir dans le fossé puis au cimetière....Live fast, die young !!
Toute la furia du rock, "hope i die before i get old" dirait Pete
Townshend avec l'enchainement sur le titre suivant "Qu'il est loin le
temps devant nous"; réflexion douce amère sur le temps qui passe trop
vite sans qu'on puisse en profiter à son maximum...et le suivant
"Attends que le temps..." en remet une couche; une sorte de tryptique
où les secondes qui passent vont petit à petit nous laminer (Vulnerant
omnes, ultima necat); un thème cher aux poètes de tous temps.
On
arrive ensuite sur "Un homme étrange" où Manset va nous parler de lui à
demi-mots (né sous la mitraille....il est né en 1945 !!)
n'aimant
pas la plaisanterie ni qu'on se moque de lui, avec son petit break
jazzy et cette double voix omniprésente qui fait se téléscoper les mots
entre les deux enceintes. Puis 33 secondes expérimentales (le verger du
bon Dieu) avant d'aterrir sur "C'est un parc", sorte d'Eden - arche de
Noé, où tout semble feutré et apaisé, comme dans du coton malgré les
images fortes (orage, civière, chasseurs, piège) et la musique s'écoule
comme une fontaine de jouvence avant de se terminer sur la reprise de
y'a une route comme une chute de studio jouée dans un mange-disque sans
haut-parleur avec des pistes audio passées à l'envers ou en décalé, le
trip psychédélique sur 2 minutes anecdotiques.
Au bilan un disque
déséquilibré alternant les moments de grâce absolus et les
expérimentations assez incongrues qui plombent un peu la cohésion de
l'ensemble mais la machine est sur les rails et Manset défile à 100 à
l'heure sans personne pour lui faire de l'ombre dans le paysage musical
français.
RIEN
A RACONTER : Le malaise est perceptible, la suite d'Il voyage en
solitaire se devait de prendre le contre-pieds du tube inattendu. En
réponse à toutes les questions incongrues que tout le monde lui a posées
(vous voulez dire quoi dans il voyage en solitaire ? Le voyageur c'est
vous ? etc etc) Manset réplique avec ce titre choc "Rien à raconter",
point final , foutez-moi la paix !
La face 1 démarre avec le moment
d'être heureux, la recherche du Saint Graal, l'utopie, on sent Manset
déboussolé par le succès d'"il voyage" et il le crie haut et fort dans
sa première phrase "Quand on est malheureux...." mais tout cela passera
et avec le temps reviendra ce moment d'être heureux lorsque les feux de
la rampe se seront éteints; traumatisme quand tu nous tiens !! Le
message est clair et ça va mieux en le disant. Reste une chanson trop
lisse qui passe et qu'on oublie assez vite.
Piste 2 : La liberté;
même si le concept est éculé, on a toujours quelque chose à sortir avec
un titre comme ça, mais globalement ça reste une chanson faible,
bouche-trou, guitare sèche, et qui aurait pu figurer sur l'album de 72,
quelques vestiges d'un passé qu'on croyait révolu, c'est froid, terne
et pas du tout rock'n'roll....
Cheval qui suit est lui beaucoup plus psychédélique avec ses chambres
d'écho, son rythme haché
et sa guitare wah-wah, malheureusement la mélodie a du mal à se faire
un chemin, et les paroles restent de peu d'impact vue l'ambition de la
musique; on oubliera facilement
Rouge-gorge, là c'est l'explosion
des sens, la progression des instruments, l'envolée des cordes après le
début minimaliste, la mélodie évidente légère comme un vol d'oiseau
planant dans le ciel et l'intensité dramatique des images décrites,
chef-d'oeuvre.
Rien à côté de la suite, arrivent les vases bleues
(au féminin; c'est LA vase...) la suite d'accords du début (ces Ré
majeur 7, Mi mineur 7) comme une invitation au voyage et la guitare
distordue en contre-chant avant les nappes de synthés et le solo de
guitare électrique qui assoient le mythe. Ce titre se retrouvera sur
toutes les compil' futures et on comprend pourquoi, incontournable...
Rien à raconter ensuite, tout est dit dans le titre, paroles sans intérêt,
le message on l'a devine avant d'écouter le titre, pas de surprise,
tout est plat.
Puis la pie noire pour continuer la visite du zoo,
guitare réverb' à fond, arpèges plombés, texte encore très suréaliste,
décor peint en noir et ambiance quasi macabre, la recherche d'un Eden
loin des villes et de la foule, anecdotique et expérimental.
Dernier
titre : "Ailleurs" quasi Pinkfloydien, l'ombre de Syd Barrett plâne ,
avec les choeurs féminins, les prémices du Marin'Bar en conclusion,
comme s'il présentait son passeport au guichet de l'aéroport et nous
dit d'un signe de la main, je me tire loin d'ici, je reviendrai pas
tout de suite, pendant ce temps oubliez-moi !! Production riche,
cordes, section de cuivres, choeurs, solo de guitare aérien monocorde, à bientôt....
2870 : Deux ans plus tard, retour du maître,
enregistré à Londres avec les musiciens locaux, rock'n'roll; ça démarre
avec Jésus: à l'époque on pouvait en faire une chanson...s'adresser à
lui directement en lui mettant sous le nez ses travers et ses errances,
on a bien compris que la tasse de thé de Manset se situe ailleurs, lui
et ses disciples, il ne kiffe pas. Musicalement c'est assez sommaire,
ça martèle quelques phrases pour faire rentrer dans le crâne, pas un
monument quand même.
Arrive "Le Pont" et là c'est le summum; intro
guitare puis cordes, piano, du grand Manset, l'écho, la réverb', le
texte asséné sur fond de distorsion, l'envolée magique, tout le monde
est sur le pont de lianes, suspendu à 200 m au-dessus du fleuve, ça
donne le vertige, le tournis...on veut courir pour traverser mais les
pieds sont comme englués, scotchés par cette femme omniprésente et si
loin à la fois. Ce pont a des fondations en béton avec son solo de
guitare final, ébourriffant, impossible à passer en single en radio,
mais à déguster tout seul !! Comme un single malt....
Un homme une femme, rien à voir avec
Lelouch, ici Manset semble avertir une femme-amie des dangers de
s'accrocher à l'homme en question, sur fond de guitare rock, le morceau
reste moyen et ne fera pas partie des compilations futures.
Amis
ensuite, chanson quelconque, plainte à l'accordéon ou équivalent ne passera pas à la postérité.
Suit
2870, 14 minutes de pur rock'n'roll, donne son nom à l'album, un peu
comme si la légende d'Orion revenait sur le devant de la scène après un
périple au fin fond du cosmos, délire quasi-progressif très proche du
Relayer ou des Tales from Topographic Oceans de Yes, les guitares sont
devant pour mener le bal, distordues, trafiquées, même en version
réduite difficile d'en faire un 45 tours !!!
Le final " Ton âme
heureuse" , après l'ouragan vient le souffle d'une brise pour calmer
les esprits même si les guitares ont la part belle, à peine quelques
rides sur un océan d'huile.
ROYAUME DE SIAM : La légende est en
marche, cet album exemplaire de bout en bout ne souffre aucune
demi-mesure, homogènéité du propos, titres forts, variés, griffés"
Manset" dans toute l'acception du terme. Une sorte de mur porteur qui
soutiendra l'ensemble.
Royaume de Siam, le titre; retour de l'Asie
où il a passé de nombreux séjours, en forme de carte postale,
instruments de là-bas, ambiance Bangkok telle que personne ne le
connaissait à l'époque, loin des tours opérators et de la prostitution
enfantine. Du riz, Bouddha et tout le monde est heureux.
Puis vient
"Balancé", guitares saturées, texte en urgence, rock'n'roll urbain,
vision de caillassage ordinaire, la banlieue telle qu'on la redoute,
zone de non-droit prise par les gangs.
Retour sur la plage et le
voyage : "La mer n'a pas cessé de descendre" l'être aimée est partie,
la mer continue inlassablement ses allers et venues, nappes de synthés
et guitare lumineuse, un classique !!
"Quand tu portes" explicite la
paternité avec des mots très forts et très vivants, guitare sèche,
nappes de cordes, basse qui mène le bal, l'équilibre fragile des
sentiments. Très fort.
"La neige est blanche" , le titre aux
sonorités proches d'"Il voyage en solitaire", le grand piano avec écho,
réverb', Manset pur jus, le couple pris dans la tourmente du quotidien
qui lamine les sentiments, la séparation, ambiance grise foncée, la vie.
"Fini
d'y croire", sax et guitares se téléscopent sur fond de révolte et de
nihilisme exacerbés, Manset résolu et amer, le constat est réél,
l'urgence du texte se marie avec la musique, du grand art, rock haine
roll attitude.
"Le Jour Où Tu Voudras Partir" Mélodie superbe, orchestration
lumineuse, images fortes, rien à jeter
"Seul
et Chauve", réflexion amère sur la mort, la chute, noirceur absolue,
une intro à la Elton John, le piano omniprésent assénant des breaks
lugubres d'intensité maximale, le tout souligné par cette guitare wah
wah distordue qui en rajoute une couche, le final en apothéose avec ces
"plus jamais, plus jamais...". Clôture et on repart se ressourcer en
Asie du Sud-Est, la suite au prochain numéro.
L'ATELIER DU CRABE
- LE TRAIN DU SOIR : Comment dissocier ces deux-là, sortis la
même année, on se prend à rêver que le double album aurait marqué la
discographie d'une pierre majestueuse, sans doute les impératifs
marketing de la maison de disques....!! Bref, l'atelier du crabe le
morceau, ouvre le bal, riff de guitares multiples doublé
d'une
section de cuivres un peu pompier façon défilé New Orleans, quelques
flûtes plus ou moins incongrues, une musique d'atelier où chacun porte
sa pierre à l'édifice, joue dans son coin et tente la cohésion. Le
texte est plus ou moins enjoué, un joyeux bazar, ludique et bordélique
et un final étrange avec les mesures de marchand de rêves comme
oubliées au mixage, ou pas....enfin selon les versions !!
Il faut toujours se dire adieu écrit
en 30 minutes, tube évident à la façon Manset, mélodie qui colle aux
tripes, noirceur de mise, solo de flûte traversière (il a osé...),
belle réussite qui fait mouche tout de suite, malgré un enchainement
d'accords assez peu classique.
Manteau Rouge ensuite
et là c'est Apocalypse Now, le voyage au bout de l'enfer pour les
références cinéma, le Viet-Nam tel qu'on ne veut plus le voir, guitare
façon Dire Straits, grand reporter en zone de conflit, l'Asie du
Sud-Est, les
cadavres et le napalm, comment oublier une fois qu'on est revenu à la
civilisation ? La seule solution pour ceux qui vivent là-bas c'est de
gré ou de force le Manteau Rouge, ce communisme à la sauce yeux bridés.
Criant de vérité et de frustration occidentale.
Un saut de puce et
on se retrouve dans les îles de la Sonde, vision paradisiaque, beauté à
couper le souffle, la pêche, la mer à perte de vue, les cordes doublent
la guitare pour marquer de leur empreinte le caractère
onirique.Grandiose.
Retour en Europe, l'hiver n'est pas loin,
rendez-vous d'automne, dès l'intro le piano martèle le rythme, la
guitare en remet une couche, le synthé nappant le tout d'une tension
malsaine. Le froid est là, mais la musique est brûlante, le riff
transperce tout comme un rayon de soleil électrique avec en bout de
course l'Amérique, Manset en Christophe Colomb pointant le doigt vers
la terre promise et tout le monde le suit....
Marin'bar
: dilemne ; ambiance de prime abord type Philippe Lavil qui tape sur
des bambous, ce morceau aurait dû finir numéro 1 au top 50, mélodie
aguicheuse, paroles presque transparentes mais Manset a finalement eu
un peu de honte de proposer ça, un peu comme un "hidden track" perdu en
milieu de face (pression d'EMI ??) , la preuve, le morceau ne sera
réédité sur CD qu'à partir du Best Of de 1999. Pour l'atmosphère on
situe l'action sur une île perdue de la Mélanésie, ex-possession des
USA, type Guam, Marshall ou Salomon, la beauté locale, océanienne à la
peau cuivrée qui vit de ses charmes pour nourrir sa famille, passe sa
vie dans ce bar, mi ingénue, mi dévergondée; le tiers monde version
Pacifique.
Le masque sur le mur, le chassé croisé entre l'Asie et
l'Europe continue, mélodie entrainante, guitare séche et grosse basse,
quelques cordes venant zébrer un ciel presque apaisé ou en nappes
cotonneuses quand le ciel vire au rose; reste le texte avec un goût de
dernière chance, le point de non-retour, la maison abandonnée, vidée de
son contenu, des choses belles dispersées aux quatre vents, les
souvenirs, les heures de joie, les carnets de notes, seul ce masque
horrible venu d'on ne sait où comme un signe du destin qui ne génère
que le malheur là où on l'accroche, bombe à fragmentation avant l'heure.
Musique
dans la tête pour finir ce premier volet : Blues électrique mené
tambour battant par une guitare mixée en avant, cuivres éclatants sur
un texte désabusé, un musicien qui cherche à fuir le monde et tout qui
s'écroule autour de lui malgré sa passion pour la musique.
Au final
8 titres magnifiques, Manset au sommet de son art et maîtrisant son
univers sans aucune faute de goût, on en redemande....!!
Six mois
plus tard voici que sort le deuxième volet de ce diptyque, "Le train du
soir", 6 titres seulement, un peu plus inégal mais de facture
intéressante. On débute très très fort avec "Le train du soir", le
morceau, un rock échevelé, guitare en avant, piano omniprésent,
rythmique automatisée, comme une locomotive à vapeur, lancée à toute
vitesse sur les rails vers une destination inconnue, fumée noire, nuit
noire, cherchant la femme ou essayant de l'oublier, le désespoir en
filigrane, un classique.
Deuxième morceau et grosse surprise, Manset
s'essaie au reggae (c'est l'époque qui voulait ça...); ici cependant
pas de référence à la ganja ou à la Jamaïque et Jah, presque un chant
d'espoir, une fenêtre sur la vie, ça reste malgré tout anecdotique dans
sa discographie et heureusement.
Ensuite Les loups, rock urbain
aux accents britanniques (rue de Londres), accords de guitare martelés,
gros son presque hard rock, teneur politique ( terrorisme ? Montée des
extrêmes ?), la peur est partout, solos abrupts, final en forme de
défiance, de mise en garde, revendicatif et pragmatique.
Morceau
suivant "Pas de nom", encore une surprise, morceau déjà connu, sorti en
face B du 45t "Pas mal de journées.." avec son clavecin venu d'un autre
temps, la voix avec son écho dédoublé, accents progressifs quasi Rick
Wakeman, médiéval et atypique, sur un texte bien sombre et nihiliste.
5ème
morceau : Marchand de Rêves, et là c'est le choc, près de 12mn d'une
histoire en technicolor, Angkor et Angkor, le Cambodge, le bout du
monde, 8ème merveille du monde.
Sans doute le titre le plus abouti de Manset à tous points de vue,
texte, musique, images, orchestrations, accords. Départ guitare
électrique seule égrénant 4 accords somptueux qui mettent le frisson de
suite puis les répétitions "Y'a plus personne debout...." sur des
accords mineurs 7 presque au hasard sur le manche, les breaks, les
avancées, les retours, les voix de choeur qui portent le message et lui
donne un aspect quasi-onirique, la distorsion, qui est ce marchand de
rêves (dealer, vendeur de came ?) , ce type que tout le monde déteste
mais qui est toujours là où on ne l'attend pas et qui semble tout
contrôler. Après son passage il ne reste rien, les rues sont vides
jusqu'au prochain méfait. Ce morceau est une montagne indépassable, un
must à écouter tous les jours pour sentir le talent et la perfection
poussés à leur paroxysme. Rien d'autre.
Le
disque se termine par "Pas
mal de journées sont passées", sorti déjà en 45t en 1977 (??), boogie
rock façon Status Quo à teneur politico-desespérée, fable plus ou moins
écolo, idéal pour finir cette session. C'est avec ces deux disques que
j'ai découvert l'animal Manset, depuis je le suis dans tous ses délires
ou presque ...!!
COMME
UN GUERRIER : Automne 1982, sortie de l'album, premier morceau, "Comme
un guerrier", et on repart en Asie, l'Inde, la fuite en avant, la
course contre le temps, la guerre, la barque, courir pour survivre dans
ce monde hostile. Le morceau démarre sur une distorsion de guitare le
long du manche puis piano et guitare à l'unisson, les mots déboulent
comme assénés, lourds de sens, plombés par cette guitare distordue ou
modulés par les envolées de cordes; mode mineur; puis changement de ton
au refrain on passe en mode majeur comme pour éclairer le propos.6'30 à
bride abattue, sans se retourner, les pieds dans la gadoue, la
glaise. On sent l'indienne fatiguée de cette vie qu'elle espèrait
meilleure, loin de ce trou paumé où elle a grandi quand elle a accepté
de suivre l'étranger, l'occidental. Le final est plein de désespoir,
(elle est morte...??), la guitare en élégie funèbre...
La Mer Rouge
ensuite, couplet écolo-résigné, hommage à Henri de Monfreid, qui fit
l'éloge de ce paradis sur terre, mais le constat de ce qu'il est devenu
est plutôt amer, la civilisation touristico-low cost a tout pourri.
L'orgue Hammond en chef d'orchestre apporte une touche nostalgique, une
chanson d'une grande sensibilité et qui nous fait voir que la beauté de
ces pays, autrefois se méritait, il fallait faire une expédition pour y
parvenir, aujourd'hui la civilisation et les jets nous y emmènent en 3
heures mais le mystère et le charme ont disparu. Ça aurait dû être un
tube, mélodie à tomber mais les paroles trop alarmistes ont eu raison
des décideurs radios.
L'enfant qui vole ensuite, retour en Europe
(quoi que...), l'école du cirque et son univers particulier; les heures
de répétition qu'il fasse jour, nuit, le matin, le soir et les clowns
tristes qui ne font rire personne, sorte de proxénète des temps
modernes. Les feux de la rampe et l'envers du décor, les cordes qui
tapissent le morceau ajoutent à la démesure de l'ensemble mais la
chanson est d'une gravité qui fait froid dans le dos par-delà sa beauté.
Toujours
ensemble : morceau bizarre, sorte de reprise du titre du Train du soir
"Quand les jours se suivent" mais débarassé de ses oripeaux reggae avec
un texte différent (du Manset pur jus...), et une orchestration plus
classique, pas un mauvais choix mais l'effet de surprise est moins
prononcé. Le texte semble une allégorie de la vie d'un couple qui se
côtoie depuis des lustres, et même si l'amour est moins explosif leur
choix de vie est plein de moments fantastiques.
Maubert : Plongée
dans le métro et le Paris de 1982, station Maubert-Mutualité, ambiance
glauque, rythme rock'n'roll style Bob Seger, la révolte façon tag,
"marque donc sur le mur"....encore un excellent titre porté par des
cuivres étincelants et un piano hors d'haleine. Fantastique.
La
route de terre: l'homme est parti il y a si longtemps, on attend son
retour, guitare sèche passée dans une chambre d'écho, réverb' à fond,
on le voit, il va arriver, il est là, on le touche presque....le final
de cordes, magnifique...poésie bucolique. Une sorte de suite à y'a une
route....
Pour un joueur de guitare
: retour à Paris, elle est partie, il reste seul avec son blues et sa
guitare, l'amour perdu ne se rattrape plus. Guitare omniprésente bien
sûr, piano monocorde, comme une toile aux nuances de gris sous toutes
ses variantes, où la pluie les larmes se mêlent intimement. Le blues du
solitaire.
Pour finir, l'épée de lumière, un texte assez nébuleux,
hommage à Dark Vador et son épée laser (??), un rock porté par un sax
en pleine forme et des cuivres qui font le job .
Au final un disque
sans fausse note, rien à jeter ou presque, des moments de grâce absolus
et des chansons qui vont forger la légende Manset. Régal.
LUMIÈRES
: Album paru en 1984, ramassé et concis, 6 titres et qui démarre avec
"Lumières" le titre pendant près de 12'; ça commence de manière
classique, piano, guitares, boites à rythme (??) et le texte plongé
dans le noir qui se demande vers où il faut se tourner pour y voir un
peu; puis le refrain arrive avec sa chorale type petits chanteurs à la
croix de bois, surprenant et inédit mais assez bien senti dans le
contexte; quelques riffs de guitare spasmodique nous rappelant les
fondamentaux. Manset parle beaucoup de son expérience personnelle dans
ce titre (le lion secoue sa crinière...il est du mois d'août, donc
lion), la photo de lui sur la pochette (en communiant ?) et de son
rejet de la religion en général ...(perdu la lumière qui nous
guidait...., la chorale....) . Un titre long, fort, mais on ressent
certaines concessions sur ce titre, du genre je mets le prix pour avoir
une chorale parce que c'est exactement ce que je veux mais en
contrepartie je fais l'économie d'un vrai batteur pour une drum-machine
un peu froide; restrictions budgétaires EMI (??)
Que deviens-tu ?
Titre d'une beauté absolue, les paysages sont là, à portée de main,
comme si on les touchait, l'auteur se remémorant une ancienne
connaissance et son désir de connaître son parcours, où elle a posé son
sac. Le solo de guitare poussé par les nappes de cordes, sublime, le
final au violon nous porte au firmament. Reste
cette boite à rythme....mécanique et sans âme !!
Finir
pécheur (référence religieuse encore), boite à rythme (beurk), chanson
d'espoir en ressassant le complexe d' il voyage en solitaire avec sa
célébrité mal digérée, parler le moins possible parce que si on se
connait et s'apprécie, qu'est-il besoin de le dire? Vivre au jour le
jour, dans son coin de paradis, sa petite plage, sa barque, manger du
riz des poissons (déjà dit plus tôt) sans savoir ce qu'il se passe
ailleurs, surtout si ce sont des drames...
Vies monotones : Le
prolongement d' il voyage en solitaire, grand piano tout seul comme
dans un auditorium, ,quelques reminiscences Rolling Stones (si
si), le solo de piano vers la fin a des côtés très "She's a rainbow" le
texte se suffit à lui-même, pas besoin d'expliciter avec un titre aussi évocateur, la recherche des lumières, de convives pour
partager...Magique.
Entrez
dans le rêve : pas simple, ambiance batarde, genre Mark Knopfler a
rejoint pour un boeuf Indochine....la guitare Dire Straits sur une
rythmique façon l'aventurier, toujours boite à rythme incongrue....Le
texte lui est noir au possible, le coeur du fruit et son noyau, les
coups de rasoir, parfait pour le Top 50 au niveau format et musique
mais les mots impassables en radio...et en TV (écran merveilleux ??
private joke !!)
Un jour être
pauvre :
Côté musique, ce sont les States, un peu country rock,
basse bien présente, les cordes en fond d'écran,
passons sur la drum machine; côté texte le détachement complet des
choses matérielles en point de mire, juste se concentrer sur les
valeurs qui comptent vraiment, l'argent pourrit tout, l'utopie ultime.
Disque
majestueux, varié, seule ombre ces boites à rythmes qui nous gâchent le
plaisir (et sur le prochain ce sera pareil), un vrai batteur c'est
autre chose que ce son métallique, comme un robot, qui va aussi bien à
l'oeuvre qu'un pagne à un trader de la City.
PRISONNIER
DE L'INUTILE : Un an après "Lumières" et déjà la suite des aventures,
peut-être un peu précipité....globalement deux titres à mon goût un peu
moins réussis, mais peut-être était-ce aussi une volonté de sortir ça
avant de tirer un grand coup de chapeau ou de balancer une bombe en
1986 ("J'arrête tout !"). On démarre avec "Et l'or de leur corps", la
passion pour Gauguin enfin concrétisée en musique, la période
tahitienne, notamment "
D'où venons-nous ?Que sommes-nous ?Où allons-nous ?", 1,40m x 3,75m,
sorte de testament artistique du peintre rongé par la syphilis et les
maladies, représentation du sens de la vie, les Marquises comme dernier
endroit du monde, vision du paradis flouté petit à petit par la
civilisation et l'occidentalisation. Le texte, déjà très sombre, trouve
une ligne mélodique improbable avec sa suite d'accords mineurs (le Ré,
le Fa en suivant), générant une sensation de fin de cycle, de bout du
voyage. Ce sera le père d'Henri de Monfreid (tiens, tiens, ...) qui va
en hériter; il est aujourd'hui au musée de Boston. Les prémices du
cubisme et du fauvisme sont posés dans ces tableaux tahitiens de
Gauguin, la passerelle incontestable avec les impressionnistes.
"Prisonnier
de l'inutile", le titre, un des moments faibles du disque, ligne
mélodique aux accents rappelant "Il voyage en solitaire", le texte
centré sur un mot fort (trop fort), "inutile", les références à la
religion (les croix, Dieu), on passe rapidement.
"Mauvais
Karma" : L'accélération est majestueuse, dès l'intro, on est séduit,
comme subjugué par cet espace de beauté, de lumière...cet accord de
7ème majeur, puis l'arrivée de la rythmique, la guitare en cocotte, les
accords qui s'enchaînent, le texte totalement volontaire
et
décidé, à couper le souffle. Le côté ésotérique du Karma transpire ici
de partout, la notion rapportée à la doctrine bouddhiste est
difficilement interprétable dans nos sociétés occidentales où prévaut
le matériel, le cartésien, le concret (en anglais concrete=béton),
chaque acte de la vie aura un impact incontournable sur le déroulement
futur de nos existences, et un "mauvais karma" va donc, par effet
avalanche devenir un véritable handicap insurmontable.Mais le karma ne
doit pas conduire au fatalisme. Le karma met les êtres dans une
position et dans un monde donnés, l'important est comment les êtres se
comportent à partir des conditions dans lesquelles ils sont placés.
Nébuleux mais philosophique, un must !!
"Les
enfants des tours" ensuite, 2ème titre quelconque ou presque, guitare
plan-plan sans réél esprit de créer un son reconnaissable ou un gimmick
d'accords étranges, juste un Mi-Ré-La, j'oserais dire "basique". Côté
texte on est dans une banlieue ordinaire, ses barres d'immeubles, sa
population plus ou moins métissée, et la conclusion sans réél espoir de
changement, aucune chance...
Cinquième titre, on repart sac au dos
direction l'Asie, encore et toujours, le routard sur les pistes, perdu
entre le Laos, le Viet-Nam et le Cambodge, les hôtels pas chers où l'on
passe une nuit en se demandant ce qu'on fait là, à l'autre bout du
monde, alors qu'on pourrait être peinard dans son canapé en sirotant un
gin-tonic dans un grand verre. Tapisseries qui se décollent, literie
improbable plus ou moins hygiènique, néons blâfards, et la chaleur
moite juste avant la mousson. Musicalement ça débute sur une série de
percussions comme pour marquer le territoire, puis la guitare réverb'
démarre son oeuvre, la batterie arrive (boite à rythmes encore ??
grr...) martelant le propos, quelques flûtes tourbillonnantes, comme
sur des voies ferrées interminables, inarrétables...près de 8 minutes
echevelées, le rock mansetien du meilleur cru.
Deux
voiles blanches, chanson de marin mais côté nostalgique, pour ceux qui
restent à terre quand l'homme est parti au large, c'est beau, c'est
simple, avec un texte presque chuchoté, le piano délimite le tableau,
les doubles voix qui se répondent comme un écho, seul bémol encore et
toujours cette boite à rythme trop synthétique et inappropriée dans le
contexte.
"Est-ce
ainsi..." termine le disque, comme une ode au
poète qui se retourne sur son oeuvre, au musicien qui se voit vieillir
et pour qui la musique n'a plus le même attrait qu'autrefois, pourtant
il lui semble que la vie, l'enfance était hier, presqu'à la toucher du
bout des doigts. Une belle chanson nostalgique (pléonasme ??) pour
finir le disque, sorte de testament que nous livre Manset quand on sait
sa décision proche de tout arrêter ce cirque du show-business, et qui
aurait pu apparaître comme une conclusion de sa vie
d'auteur-compositeur-interprète. On sait aujourd'hui qu'il n'en fut
rien et la source n'est pas prête de se tarir. Ce titre renvoie aussi
au morceau "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?", poème d'Aragon mis
en musique par Léo Ferré, une sorte de contrepoint,
ou d'antithèse, de clin d'oeil tout en notes noires, ambiances fin de
siècle ou fin de vie (de carrière ?), le parallèle semble évident.
MATRICE : Le
come-back. Novembre 1989, le retour de celui que l'on croyait mort,
perdu, parti pour toujours et on se demande ce qu'il va nous servir
après 4 années d'abstinence auditive. Et le résultat est à la hauteur
de l'attente...7 titres d'une concision, d'une beauté, à tomber à la
renverse, alliant les rocks les plus rythmés aux complaintes les plus
sensuelles, toujours les mêmes recettes mais repassées à la moulinette
Manset avec des ingrédients d'une plus belle qualité encore. Un de ses
chefs-d'oeuvre sans conteste possible.
On
ouvre
le propos avec "Matrice", le titre, la recherche du paradis, du jardin
d'Éden, des guitares partout, la Fender Stratocaster en chef de file,
le saxo qui tapisse les chorus en haletant, la montée de gamme comme si
on sautait dans le vide au bord du précipice...Le final vocal avec sa
voix de tête, où l'on a l'impression qu'elle n'ira pas au bout du
morceau, sur le fil du rasoir, échevelé, ébouriffé, moment d'anthologie
!!
Avant l'exil, et
la pression redescend
après les 6.20 de la précédente, rythme assagi, mais des guitares
partout en trame de fond, des sèches, des électriques, un peu la suite
d'"Un Jour Etre Pauvre" tant au niveau mélodique que lyrique, prêt à
franchir le pas définitif et laisser le monde des hommes pour celui de
l'ermite. Mais ceux que l'on aime et qui restent là-bas sont difficiles
à oublier et nous retiennent encore ici-bas...La batterie finit par
arriver, vivante, humaine, assénant ses coups comme autant de pointes
acérées qui nous transpercent le coeur et résonnent dans le cerveau.
Fille
des jardins, ensuite ...jardin d'Éden (??), où est ce paradis, ce
nirvana, ces filles voilées, qui n'ont pas froid aux yeux,
accueillantes et ouvertes comme un petit fruit gorgé de soleil, elles
sont là mais désormais elles ne nous reconnaissent plus....comme
étouffées par quelque doctrine obscure ou religion ultraprotectrice
...hélas toujours d'actualité..!! La musique nous guide avec des
guitares étourdissantes à chaque coin de sillon, des chorus tranchants
comme des cimetères sur des tapis de cordes envoutants, un conte des
mille et unes nuits...
Solitude des latitudes, on pense tout de
suite aux grands espaces canadiens, le grand Nord glacial et le
Klondyke, la ruée vers l'or, aventures et espaces vierges, s'endurcir
et apprendre la vraie vie face aux éléments inhospitaliers (Belliou,
Croc-Blanc) puis la référence à Hannibal et ses éléphants de Carthage
tentant de traverser les Alpes pour dominer Rome (tous mourront de
froid lors de cet épisode), ou comment il est impossible à l'homme
comme à l'animal de survivre dans ces conditions extrêmes. Le froid, la
nuit, les terres inhospitalières, et la voix chevrotante, comme un cri
d'alarme montrant les limites à ne pas dépasser.
Camion bâché :
Guitare hurlante dès le début, le décor est planté, paré pour le drame,
le camion déglingué, modèle hors d'âge tout en acier et tôles, suintant
l'huile et le cambouis de partout, (on pense alors à Montand et Vanel
dans "Le Salaire de la peur" ), ce père qui s'enfuit avec son enfant en
bas âge, pour en avoir la garde ou parce que sa mère a été tuée par la
guerre....jusqu'à cette catastrophe au coin d'un tournant, le virage
manqué, le ravin, la rivière en contrebas, les arbres autour, la mort
du chauffeur et le passager seul au monde qui ne comprend pas ce qu'il
se passe. Une suite tragique au "Comme un guerrier", cette course
inutile vers le bonheur qu'ils n'atteindront jamais, 8 minutes
d'intensité maximale, un titre référence.
Toutes choses : Beauté à
l'état brut, guitares qui se répondent entre chorus et rythmique,
nappes de claviers sobres, presque pas de batterie, la dilution absolue
de la matière dans le néant qui nous entoure, le Lavoisier des temps
modernes ou la chimie ré-interprétée en mode explication de texte.
Pour
terminer, Banlieue Nord, ancré dans la réalité du quotidien, hélas
présent dans toutes les mémoires, Paris, sa banlieue, ses ghettos et sa
faune bigarrée, zone de non-droit où plus personne ne se risque, ni ne
revendique quoi que ce soit. Quelques mots nous rappellent le concret
et ses absurdités incontournables (enfants des îles, filles sans
foulards, les enfants qui jettent des pierres), les ethnies, les
religions, le caillassage, l'intégration, la décolonisation....sur fond
de crasse et de misère noire, la débrouille ou la mort, survivre en
écrasant les autres moins forts. Les guitares lancinantes et qui
semblent matraquer ce texte noir, boostées par une basse omniprésente,
comme une surenchère dans la gravité, quelques virgules distordues de
ci de là, bien aigües, bien aiguisées. Que reste-t'il sinon l'appel à
un hypothétique Dieu, quelle que soit sa couleur ou sa localisation,
même si l'espoir est ténu. 5'50 pour voir le tiers-monde à nos portes,
kamikaze !!
REVIVRE
: Repartir sur la route, prendre la piste, direct vers les tropiques,
après l'épisode "Matrice" centré sur la condition humaine en Europe et
son mal-être, il décide de nous emmener voir ailleurs si c'est meilleur
ou pire. Moins bon que son prédécesseur (trop vite ??) qui alliait
l'urgence et le rock "close to the bone", il reste de grands moments de
poésie et la patte du maître inimitable.
Tristes
tropiques pour
commencer, la référence à Claude
Lévi-Strauss, l'anthropologie à portée
de main, la forêt amazonienne et sa démolition
programmée, les Indiens
repoussés aux limites du supportable, mais au-delà de
cette évidente
allusion, un plaidoyer pour le droit à la différence, le
panurgisme
jeté aux orties et si on n'y prête garde nous serons nous
aussi un jour
ces Indiens décimés, condamnés à vivre en
solitaire à l'écart de la
civilisation. Côté musique, c'est magnifique, retour de la
batterie, la
vraie, qui fait vibrer les peaux et dresser les poils, la
mélodie au
départ facile se change en boucles asymètriques du plus
bel effet, et
le texte colle au plus près de ces volutes audacieux. Le solo
final de guitare déchire l'air comme au début.
Chant
du cygne : la mort en filigrane, l'ascension vers un paradis
hypothètique, tel le ludion dans son tube de verre qui monte et qui
descend selon la pression exercée, les états d'âmes aléatoires. La
guitare partout, omniprésente et la batterie qui cogne son tempo
martial.
Le Lieu Désiré : Ça commence sur un gimmick d'orgue qui n'est pas sans rappeler "La Mer
Rouge", mais plus dépouillé, et puis la mélodie semble ivre, parcourant
la portée sans but précis, retombe sur ses pieds, trébuche, rebondit,
lente progression , sorte de clochard sur son banc, sans but ni futur
avec son passé pour seul fardeau.
Revivre, un peu la suite de
"Toutes choses" sur le précédent, le mythe du temps qui passe ou qui
déjà est passé sans qu'on s'en aperçoive, avec ses choses agréables
qu'on voudrait regoûter. Malgré la décrépitude, la décadence, à
l'intérieur, rien n'a changé, les plaisirs de la vie sont intacts et on
s'y replonge avec délectation. Musique minimale, grand piano, comme un
orchestre à lui tout seul, pour la concentration du propos. Du grand
Manset !!
Capitaine Courageux : Suite de la mort d'Orion, ballade
spatio-temporelle réactualisée aux confins de la galaxie sur un
vaisseau fantôme intergalactique, sorte de Capitaine Némo des âges
futurs dérivant au gré des vents solaires, la terre est morte et elle
ne suffit plus à notre soif d'éxotisme donc il faut décoller et aller
voir ailleurs, seule mémoire sa verdure et ses océans, l'eau, la vie.
Les percussions électroniques refont leur apparition, c'est un peu
indigeste.
Eden Bay : Pays
de connaissance, la mélodie et la structure nous font penser à
l'Atelier du Crabe, sorte de bar-bazar à l'autre bout du monde où tout
le monde vient là parce que c'est le seul commerce à 100 kms à la
ronde, ses serveuses affriolantes qui n'ont pas froid aux yeux; le
dépaysement est donc limité et la chanson ne suscite pas un engoûment
exceptionnel, on la qualifiera d'un peu fade, sans rééls moments de
surprise agréables.
L'album se conclut sur "Territoire de
l'Inini", et la boucle est bouclée, retour sur les tristes tropiques et
l'Amérique du Sud entre Brésil et Guyane peut-être. Flûtes de Pan, le
Maroni, le fleuve immense, les guerriers, contrebandiers, sarbacanes et
esclaves humains; la jungle et ses mystères, ses dangers, 8 minutes
d'échappée belle et l'avion est reparti vers la civilisation.
LA
VALLÉE DE LA PAIX : Trois ans après "Revivre" et rien à jeter dans cet
opus, il a pris son temps, mis toutes les chances de son côté, ramassé
le propos pour éviter la redite ou le juste banal, un album hors du
temps, hors des modes, bref incontournable.
Paradis : Certains y
voient du "hard-rock"...!!! Je pense qu'effectivement nous n'avons pas
la même perception du mot ou alors ils confondent avec "heavy métal",
ici, c'est juste une guitare très en avant qui joue fort et distordue
sur une rythmique bien appuyée. Côté texte, c'est plutôt le mythe
d'Icare qui se rapproche du soleil et qui se brûle les ailes. Y'a t'il
un Dieu à la porte qui filtre ceux qui rentrent ou pas, les références
religieuses sont bien présentes et un peu montrées du doigt, le miroir
aux alouettes. Des guitares partout, des saturées, des sèches, des
rythmiques, rock'n'roll attitude !!
La Vallée de la Paix, le
morceau; 10.20 de plaisir onirique, début sur nappes de synthés, puis
les instruments rejoignent le bal, comme sur la pointe des pieds, texte
à couper le souffle, la marche vers le but ultime, la quête du graal,
on ne s'ennuie pas une seconde à suivre le pélerin et les paysages
défilent comme émerveillements permanents, guitares solos au son des
chevaux qui passent en claquant des sabots, monumental !!
Quand le
jour se lève : Texte grave sur mélodie somptueuse, le défilement des
jours, des nuits, recommencer toujours, la vie continue, puissant et
poignant.
Deux pigeons : Une suite du précédent, la réflexion sur le
couple, les trahisons petites ou grandes, peut-on vraiment s'aimer
toute une vie ? Musique épurée, simple et efficace, tout semble couler
de source.
La ballade des échinodermes : Ce monde où nous vivons court à sa perte, nous nous
battrons pour survivre même si notre carapace est bien faible pour de
tels combats; une ballade style François Villon où les
pendus-échinodermes n'ont plus beaucoup d'espoir, sinon fuir en Italie
(??) et rentrer sous terre. Boucles musicales magnifiques et
répétitives sur fond de guitare rock distordue, splendide et obsédant.
Il fallait oser l'échinoderme et autres vocabulaires inattendus.
La
Terre Endormie : Ballade remplie d'écho et d'effets sonores, batterie
toute en puissance et en sensations véritables, ce titre servira aussi
pour un album photo de voyages. Le temps semble avoir suspendu son vol
le temps de la chanson, comme pris dans la glace; le reste est assez
peu déchiffrable et semble être très personnel, peut-être un jour nous
donnera-t'il les clés ?
Face Aux Objets : Mélodie évidente et rythme
obsessionnel, un classique, comme un cri qu'il voudrait faire sortir de
sa poitrine et qui refuse de se lâcher. L'opposition du concret des
objets et leur caractère quasi-immortel sauf à se briser par rapport
aux valeurs métaphysiques relevant de la réflexion et de l'abstrait.
Philosophie de la vie ? Les guitares grasses et les nappes de synthés
qui se répondent ajoutent au morceau un tourbillon de sensations.
A
Qui n'a pas Aimé : Quelques reminiscences de Royaume de Siam, ambiance
extrême-orientale, flûtes et nappes de synthés, l'être aimé sanctifié en
une atmosphère quasi-érotique assez inhabituelle, l'amour aveugle les
amants et la déchirure n'en est que plus cruelle, volontaire ou non,
comme une partie de soi qu'on abandonne ou dont on ne se sert plus.
JADIS
ET NAGUÈRE : Le disque démarre sur le titre qui donne son nom à
l'album, sorte de fable écolo-pessimiste, le jardin d'Éden et ses
merveilles, ça débute sur quelques arpèges de guitare sèche où tout
ressemble au bonheur jusqu'au moment où la guitare électrique déchire
ce tableau idyllique, les accords mineurs apportant leur touche de
gravité et de sensation de mal-être, boire le calice jusqu'à la lie.
C'était mieux avant mais on suit notre chemin bon gré mal gré...
L'amour
aveugle, un blues acide, un texte à peine murmuré, comme une toupie qui
tourne sans fin, la guitare mène le bal sur une piste tortueuse sans
apporter vraiment la solution qu'on est en droit d'attendre.
Vahiné
ma soeur, l'escapade outre-mer, la seule du disque qui fasse référence
aux voyages, à l'Océanie, sorte de prolongement de "Et l'or de leur
corps" sur près de 10 minutes, la mélodie obsédante, récitation
monocorde sur un tableau aux couleurs éclatantes, quelques éclairs de
cordes pour faire bonne mesure au diapason des guitares lumineuses.
La vahiné mélanésienne et par moments la grâce du "Marin'bar " sur son
atoll en feu, étrange silhouette couleur café, colliers de fleurs,
lagons infinis et chaleur moite. Elle est là-bas, femme inaccessible,
et lui, ici ne rêve que de la rejoindre, toucher son corps, son île,
son oiseau de paradis.
A quoi sert le passé ? Sorte de réponse à
"Jadis et Naguère"; le présent est là et il faut le vivre à cent à
l'heure sinon tu crèves, un rock farouche à la guitare bien destroy
tout à fait digne d'illustrer le propos, quelques références à l'Inde
(Mysore) ou aux Philippines (Cebu) pour se ressourcer et montrer du
doigt où se situe la solution; la fuite pour oublier le passé, le
présent, le futur et vivre ses rêves.
Oraison; tout est dans le
titre, notre monde se meurt et Manset, tel un Bossuet des temps
modernes nous dresse un portrait sans équivoque de la situation
désespérée (bien sûr). Mais la Nature est trop forte, elle reprendra le
dessus, l'homme ne fait que passer, un épisode douloureux mais
infinitésimal. Gratte sèche pour mener la danse, distorsion en fond
comme écorchée vive, sorte de squelette bon pour l'explication et le
cours de sciences naturelles. Blues apocalyptique.
Comme le buvard
boit l'encre; sans doute le plus beau titre, le désespoir à son point
culminant, la musique à faire dresser les poils sur la peau;
l'absorption des sensations extérieures pour les faire siennes,
surpasser le passé et renaître comme un phénix des cendres encore
tièdes.
Quand il était gosse : chanson d'espoir ? Ça commence par
cette voix féminine douce et haut perchée sur riff de guitare rock,
puis le maître pose sa voix de vieux sage qui a tout vécu, tout digéré,
il a forgé son mode de vie depuis l'enfance, appris chaque jour comment
avancer sans compromis et les années passent sans qu'il ne dévie d'un
iota, fidélité aux valeurs.
Un album très rétroviseur, Manset
regarde ce petit miroir et jauge le chemin parcouru, peu de nostalgie,
juste de la clairvoyance et des interrogations, que sera demain si hier
est encore si présent ?
1999,
année pléthorique, un best of et quatre compilations survolant
l'ensemble de la "carrière" mais surtout, chose presque incroyable,
TROIS inédits, sortis des tiroirs et mis en circulation presque sous le
manteau, comme des pépites surgies de la rivière lorsque l'orpailleur
relève son tamis.
Tout d'abord "Pavillon sous la neige", semblant
dater de l'époque "Comme un guerrier" une sorte d'hommage à un maître
(bouddhiste ?) vivant reclus loin des hommes et avant qu'il ne trépasse
il se remémore la vie pleine qu'il a vécu. Un titre un peu anecdotique,
juste pour aiguiser notre appétit mais qui a le mérite d'exister.
Puis
"Bergère", qui aurait dû paraître sur "Matrice"; un titre fort celui-là
par contre, et qui n'aurait en rien dépareillé sur "Matrice"; un amour
de jeunesse ressurgit du passé avec tout ce que cela engendre de
nostalgie et de souvenirs éphémères.Les premiers émois amoureux et sa
capacité à gravir les marches vers la plénitude et la jouissance
féminine.
Enfin "Artificiers du décadent", (époque "Jadis et
Naguère"), texte clairement politique, alarmiste en diable, s'adressant
aux dirigeants de tous bords pour leur montrer que rien ne doit être
négligé, même le plus infime des avis compte et doit être pris en
considération sauf aller à la catastrophe, à la décadence.
LE
LANGAGE OUBLIÉ : Et si celui-ci était le moins bon de Manset ? C'est un
peu la sensation que j'ai eu en le réécoutant récemment...Pourtant tout
commence de manière excellente; "Demain il fera nuit", du très grand
Manset, du texte bien noir, des animaux répugnants, une mélodie
imparable, des guitares électriques bien grasses comme des éclairs dans
un ciel sombre, des sèches comme nappage caramélisé. L'apocalypse n'est
pas que sous ces volcans perdus au milieu des océans, il est à nos
portes, notre société fout le camp et court à sa perte (air maintes
fois rabâché que certains vont trouver réac' ou glorifiant le
passé).Une introduction somme toute classique mais de bon goût....
Puis
"Quand on perd un ami", piano au démarrage, écho et réverb', du Manset
encore classique, encore une oraison funèbre sur fonds de cordes genre
violoncelle, musique de chambre mais mortuaire...la mélodie un peu
monocorde, le texte un peu poussé sur la fin, à la limite de la rupture
vocale, comme un cri qui resterait sans force à cause de la douleur ou
de l'émotion. Prenant mais pas forcément indispensable.
"Le
coureur arrêté"; là j'ai un peu de mal, ça commence sur une récitation
après une intro prometteuse, un accordéon (..sérieux ??), ambiance cour
des miracles franchouillarde, ensuite la mélodie est intéressante, le
texte de bonne facture, onirique à souhait, on attend en vain une
explosion plutôt que ces mots assénés sans réelle volonté de faire
décoller cet avion aux ailes surdimensionnées. Le final et cette
récitation qui recommence...passons sur cette erreur de
parcours...7.43' quand même !!
A un jet de pierre et on repart sur
de bons rails, rythmique toute en finesse, guitare omniprésente,
lyrisme échevelé, cordes soutenant l'édifice, thème cher au maître, la
voix parfois au bord du précipice, les deux pieds ancrés dans le
quotidien, le bonheur existe-t'il ? Est-il accessible ? A votre avis ?
Mensonge
aux foules,....pfff quoi dire, une sorte de reggae, comme on pensait
qu'il avait tiré le trait depuis "Quand les jours se suivent...", donc
on en remet une couche...dispensable, mélodie basico-basique, guitares
tantôt grasses, tantôt enluminures, malgré un texte intéressant
quoiqu'un brin trop premier degré à mon goût, l'opium du peuple version
low-cost, je zappe
Le langage oublié, le titre...ça débute par une
série d'accords assez improbables, du moins pour en faire une mélodie
acceptable puis cette voix de femme qui rappelle le "Fade to grey" de
Visage (si,si...) puis le vrai texte arrive, compliqué et cahotique,
déchiré par les guitares saturées et les cordes remplissant l'espace.
Le cheminement est compliqué, d'une gravité absolue (sans doute ces
accords mineurs...), assez novateur mais pas facile même après dix
écoutes attentives, 8.30 sur les manières de communiquer entre homme et
femme...ardu. Pas si loin de la légende d'Orion en fait.
Que ne
fus-tu ? D'abord le titre, moins vendeur que ça tu meurs....ensuite la
mélodie (le mot est un peu exagéré) quasi-incompréhensible, on dirait
un débutant qui fait ses gammes sur une guitare sèche eventrée, sa mère
a dû le faire souffrir pour écrire un truc pareil, je zappe aussi donc
sans plus de commentaires.
La fin du dernier monde connu, retour aux
vraies valeurs, guitares menant le bal, la basse qui ronronne et tire
le tout vers le haut, sur un thème nihiliste en diable, comme d'hab'
oserai-je dire. L'ermite devant sa grotte regarde le monde heureux
qu'il a connu jadis se déliter, s'évaporer vers le néant; que
pouvons-nous y faire et pour essayer de l'oublier faisons l'amour en
cette belle journée, opposition de styles entre le malheur et le
bonheur.
A quoi sert ? Sans doute la suite du titre précédent, même
thématique, envols des guitares, poussées dans leurs derniers
retranchements, le propos est bien sombre mais la musique laisse place à un optimisme latent. Un grand titre.
Dans les jardins du 21ème
siècle pour finir, reprise du thème du jardin si souvent utilisé,
(jardin d'Éden ?) , la Fender Stratocaster égrénant ses accords bruts
sans presque de distorsion comme un chapelet pour concrétiser la prière
au Dieu rock'n'roll.
En conclusion un disque en trompe l'oeil, 3
titres dispensables qui grèvent le bilan, aucune allusion aux voyages,
une sorte de panorama sur notre société occidentale qui va à vau-l'eau;
le choix du tableau de Magritte en pochette ne peut passer inaperçu,
chantre du surréalisme, adepte de la toute puissance du rêve comme
moyen d'expression, on ne peut qu'y voir une volonté affirmée de
refuser la réalité telle qu'elle nous est imposée par notre monde
actuel et de se réfugier dans l'onirisme pour trouver un sens à nos
existences même si la nostalgie du passé transparaît partout; il faut
regarder devant et croire que tout est encore possible.
OBOK
: Retour à un Manset plus classique, pochette de l'artiste, de dos,
ouverture sur des horizons
connus de lui seul, l'Afrique en fil conducteur (moins classique...) et
ça commence par un coup de tonnerre, cet "Enfant-soldat" rempli de vécu
et de réalité trop vraie pour être belle, des images chocs façon
journal télé de 20h avec des larmes, du sang et de la chair à vif...bon
appétit !! Pourtant ce morceau est une tuerie au sens moderne du terme,
mélodie parfaite, carrée, production riche, instrumentation de bon
goût, ce saxo qui vous file le frisson, les mots font mouche à chaque
vers, la mangrove, Lagos, Conakry, les zébus, l'eau sale, la compresse,
coups de crosse, on y est en spectateur involontaire et quelque peu
coupable de cette situation; l'Afrique telle qu'on ne l'a jamais
imaginée, la guerre, les enfants et les kalach', la barbarie sous le
soleil de feu; une ouverture magistrale.
Jardin
des délices : Après la guerre et la poussière des pistes africaines,
une pause dans le jardin d'Éden, comme un caravansérail au milieu du
désert, le titre est la marque de fabrique de Manset, grand piano,
réverb' au maximum, façon "Il voyage en solitaire", "Vies monotones" ou
"Revivre" avec en plus ici une production riche comme un loukoum,
saxos, nappes de synthés, batterie squelettique et guitare rythmique
omniprésente. La voix se fait presque chevrotante lorsqu'il monte dans
les aigus. On se prélasse dans ce bain tiède avec délectation, comme un
baume sur une plaie béante qui vient apaiser le traumatisme.
Fauvette
: retour dans la banlieue d'on ne sait où, suite de "Banlieue Nord", la
cité perdue, Noël, le froid, la neige et cette nana paumée, habillée
comme une traîne-misère, maigre et fatiguée, hirsute, la clope au bec,
croisée au hasard d'un café ou d'un trottoir, un blues du coin de la
rue, comme un miroir tendu pour apercevoir la vie quotidienne de
millions de personnes, un combat pour survivre où chaque minute se
gagne.
Obok
: le titre, résolument rock, façon "Le Train du soir", guitare grasse
et distordue, l'orgue qui ronronne en contrepoint, retour en Afrique,
sa chaleur, sa moiteur, son urgence, Obok en face de Djibouti,
Lalibela, l'Éthiopie, la chrétienté et son chemin de croix au milieu de
terres où l'Islam est majoritaire, et même à St Cloud on peut se sentir
comme un étranger alors que l'on y est né, parce qu'un jour on est
parti, on a vu autre chose, et le retour au pays n'a plus la même
saveur.
Ne les réveillez pas : la sonate au clair de lune pour seule
référence, Beethoven, classique, la vision bienveillante du grand père
qui jette un dernier regard sur le sommeil de ses petits-enfants, qui
voit cette nouvelle génération pousser, grandir. Les accords mineurs
pour accentuer le propos.
Chaines : Le prisonnier de l'inutile réclame
sa liberté, il veut encore jouir de tout, la vie, les femmes, les
plaisirs simples qui nous manquent si cruellement lorsqu'on en est
privé, musique au groove pénétrant, rythmé sur la grosse corde de mi,à
la limite du désaccordage à force de vibrato, flutes
tourbillonnantes ou inquiétantes, comme une musique de série américaine
quand le méchant prépare son forfait, le final fait la part belle à la
batterie qui cimente l'ensemble.
Pacte
avec mon sang, un thème totalement nouveau chez Manset, le diable...il
l'aurait rencontré et signé un pacte avec lui (on n'y croit qu'à
moitié...), d'habitude ce genre de tracasseries lui sont étrangères
(Dieu, diable et consorts), mais là il nous livre une sorte de vision
du malin et de leur accord pour devenir célèbre et rempli de tunes (là
on n'y croit plus du tout...), restent quelques allusions (Jules Verne,
Maupassant, le Gange, le Quang Xi) à l'univers plus classique.
Musicalement, une guitare en cocotte gère la rythmique, la sèche en
tapisserie soutenue par un orgue qui ronronne, quelques chorus de
gratte aux moments clés ponctués de zébrures de distortion, comme une
rivière descendant vers la mer sur une plaine en pente douce.
Veux-tu
? Grand piano, voix posée, écho comme dans une église, le temps qui
passe et qui lamine tout, les choses, les hommes, les femmes, l'amour
entre les deux êtres demeure, il évolue mais reste immuable.
La voie
royale : L'asie du Sud-Est, le Cambodge, le Pnom, fin du parcours,
longue mélopée célébrant cet inconnu, prince mystérieux qui jadis fut
un personnage important, le saxo vient toucher de ses notes grasses la
mélodie pour lui donner cet aspect feutré et confortable,
mid-tempo et voix reconnaissable entre mille (la voix royale ?)
MANITOBA
NE RÉPOND PLUS : Est-ce le fruit du pacte avec le diable passé
précédemment ? Un hasard, une prise de conscience médiatique? Rien en
tous cas n'explique l'engoûment soudain pour Manset suscité par la
sortie de cet énième opus, les ingrédients sont les mêmes, la voix, la
musique idem, aucune concession à un show-biz ou une mode quelconque,
mais le résultat est là, la presse unanime salue ce disque comme un
événement incontournable, les ventes explosent et voilà notre héros
propulsé au pinnacle sans la moindre volonté de s'y rendre ni de
l'expliquer. Il est vrai que tout est parfaitement huilé sur ce disque,
mais comme d'habitude, en fait, la main du maître contrôle l'oeuvre de
bout en bout, paroles, musiques, orchestrations, photos, promotion,
seuls les musiciens fidèles viennent poser leur dextérité sur les
partitions qu'on leur soumet. Manset commence à intéresser le monde du
show-biz de manière crédible (Bashung, Birkin..) ou pas (Clerc,
Raphaël, Gréco, Pagny, Indochine) mais la patte-Manset ne se transmet
pas aussi facilement, un texte ne suffit pas, l'univers est plus
complexe à apprivoiser. Déjà le fiasco "Route Manset" m'avait laissé
sans réaction....comment peut-on vouloir rendre hommage de son vivant à
cet auteur majuscule (qui d'ailleurs n'a pas trop commenté le sujet) et
passer autant à côté de l'essentiel, comme s'ils ne comprenaient rien
au "phénomène Manset". Rien à sauver de ce désastre !!
Comme un Lego :
La version originale, ce titre ayant été "cédé" à Bashung pour l'album
"Bleu Pétrole" (qui essaiera de s'attaquer à "Il voyage en solitaire"
également....), les paroles ayant été adaptées ou ré-arrangées pour
mieux les posséder seul. La vision du monde sous le versant de
l'uniformisation, construit avec ces briques de Lego où pas une n'est
différente des autres. Les voix de chorales façon gospel nous
rappellent "Lumières", frisson garanti.
Dans un jardin que je sais,
retour du mythe du jardin (un par disque ou presque...), le piano comme
une fontaine de jouvence et la guitare qui égrène ces notes de rosée
arrosant cette végétation luxuriante. Une chanson d'amour toute en
retenue et grâce sans qu'il soit besoin de montrer des images crues ou
obscènes, la classe !!
Le pays de la liberté, le titre qui a failli
donner son nom à l'album, mais son côté trop "politique" lui a fait
faire marche arrière. Il n'est pas besoin d'aller chercher bien loin
pour comprendre que ce pays n'est plus le nôtre, même si le mot est
inscrit dans notre devise. La quète du St Graal, comme un serpent qui
se mord la queue, aucune chance d'arriver au but.
Aux
fontaines j'ai bu, le groove immédiat, dès l'intro, cette guitare qui
imprime son rythme, cet orgue qui se glisse entre les silences, qui a
bu boira, mais là, à l'évidence l'addiction est forte, le
plaisir
ressenti en appelle d'autres encore, quand on goûte au paradis on veut
y revenir toujours, tellement humain...
Quand une femme : les choses
simples, le quotidien qu'on ne voit plus et qui pourtant sont la vie,
cordes au démarrage, puis guitare presque transparente sur le couplet,
toute en arpèges jusqu'au refrain où les accords distordus viennent
recouvrir ce mur du son.
Genre humain : Paris, hymne à la foule, à
l'invisible, au néant, la suite de Fauvette d'Obok, version mâle, ce
gosse qui renvoie l'image de ce qu'il fut sans doute dans ces rues de
la capitale, les années 50, Doisneau, photos noir et blanc d'une époque
si lointaine.
Voulez-vous savoir ? Un titre très fort au niveau du
rythme, on l'imagine très facilement pour une version "live", mais je
rêve...!! La voix en rupture sur certaines fins de chorus ajoute
l'intensité dramatique, les images fortes, les chairs coupées, les
membres amputés, du Manset pur jus, plus un final paré pour un
rendez-vous au tas de sable, une tournée ....vite !!!
O Amazonie :
seule concession au voyage sur ce disque, retour en Amérique du Sud, le
Brésil sans la samba et le carnaval, loin des touristes et des plages
de Copacabana, du foot et de la bossa nova, ici, c'est la forêt
inextricable, sa faune, sa flore, tout ce que la déforestation n'a pas
encore réduit à néant, la forêt d'émeraude, version John Boorman, la
lutte des peuples pour conserver leur paradis jalousé. Le poumon de la
Terre au plus près de l'os.
Le pavillon de Buzenval : retour à St
Cloud, rue de Buzenval, son pavillon dans la cité de banlieue, il
retrouvait cet amour de jeunesse, belle et svelte, joueuse et
amoureuse, les années-bonheur qui passent en un éclair mais qu'on
n'oublie jamais malgré l'oeuvre du temps qui détruit tout. Nostalgique
et simplement beau. On sent le vécu à chaque phrase.
Dans mon
berceau j'entends : La voix qui se casse plus souvent qu'à son tour,
perchée dans les aigüs, piano+guitare en duo, squelettique comme une
renaissance au sens premier du terme.
UN OISEAU S'EST POSÉ :
Nouvelle maison de disques, nouveau challenge, fidèle à sa marque de
fabrique où rien n'est jamais figé et où tout se retravaille avec le
temps, le nouveau disque sera fait de reprises d'anciens titres,
ré-arrangés, remixés, remis au goût du jour, en duo parfois, bref un
melting pot où chacun pourra y trouver son compte ou presque. Les
titres sont joués live en studio (soi-disant), donc une sorte de
concert sans public....Un inédit quand même qui donne le nom à l'album,
à première écoute cela pourrait dater de la période "Obok" (mais rien
n'est moins sûr...), les nappes de synthés se marient assez bien avec
le texte un peu glacial comme si cet oiseau se posait sur un paysage de
neige encore inviolé.
Entrez dans le rêve : dans cette version la
boite à rythmes d'origine est remplacée par une vraie batterie, ce qui
donne un côté humain beaucoup plus agréable, le son de guitare a lui
aussi été modifié, plus grasse, trainant sur le fuzz, plus un saxo qui
épaissit le trait, la voix plus en avant semble presque palpable
tellement elle est proche. Donc plutôt une réussite...
Cover me with flowers of mauve (élégie
funèbre, version anglaise) : un duo avec Mark Lanegan, voix
d'outre-tombe, bizarre d'entendre cette mélodie avec des mots qui ne
semblent pas faits pour elle; c'est glacial, parfait pour un
enterrement, seule la voix de Manset arrive un peu à tirer le frêle
esquif sur des rivages un peu plus accorts, une curiosité sans plus.
Comme
un guerrier : On a l'impression d'une version épurée (est-ce vraiment
possible ?) piano limite bastringue, l'intro de guitare un peu
sous-estimée, la voix traîne un peu par-ci par-là au lieu de magnifier
l'urgence des images, les cordes se font un peu tirer l'oreille avant
de nous délivrer leurs traits lumineux, pas franchement indispensable
non plus....
Matrice
: La question demeure, peut-on dépasser la perfection ? La version de
1989 avait-elle besoin d'un retraitement, cette guitare aux accents
pinkfloydiens, pourquoi ? Puis cette légère accélération du tempo, ces
flûtes tourbillonnantes, tout était déjà dit sur la VO, franchement je
cherche mais ne vois pas...pas obligatoire, le mieux est l'ennemi du
bien, la voix traîne un peu par moment et semble peiner à raccrocher
les wagons qui filent sur les rails...
No man's land motel : Un duo
avec Paul Breslin, son guitariste made in USA, avec texte anglais, plus
récité que vraiment chanté, le piano a totalement disparu au profit
d'une guitare sèche et de nappes de synthés, pas vraiment une réussite à mon goût.
Lumières : Version épurée, guitare sèche, vraie
batterie, du moins au début, la chorale finit quand même par arriver
vers 6.30 pour une petite incartade éphémère; on sent le plaisir à
jouer ce titre, à porter ce texte jusqu'à son terme, comme un objet
ancien qu'on redécouvre et qu'on palpe pour sentir les matériaux
nobles, sans plastique, ni silicone, la redécouverte du toucher.
Celui
qui marche devant (avec Axel Bauer) : Duo, enfin plus ou moins, Bauer
récitant de manière monocorde en baryton le texte par-dessus le chant
de Manset, assez intéressant mais qui aurait gagné à ne garder que la
voix de Manset....of course !!
Manteau
jaune : Une sorte d'inédit (cette chanson donnée à Raphaël n'avait
jamais été interprétée par Manset) et je ne connaissais pas la version
de Raphaël qui me laisse de marbre, Raphaël, pas la
chanson....
Un rock assez classique drivé par une fuzz bien en chair, grasse à
souhait rejointe par un solo de guitare bien agréable, après le manteau
rouge, le jaune (abricot), l'hiver peut arriver on est parés.
Toutes choses
(avec Raphaël) : La guitare sèche prend la place de l'électrique,
ambiance feu de camp au milieu du désert, pour ce duo avec son protégé
(ou celui de sa fille...son gendre ??), Manset traîne un peu sa voix,
comme fatigué, articulant à peine ou même zappant certains mots
d'origine. La voix fluette de Raphaël semble peu en accord avec ce
texte, comme un décalage, absent ou pas concerné, trop admiratif du
maître pour pouvoir donner une quelconque personnalité.
Deux
voiles blanches : Démarrage au biniou....(??) pour le côté celtique
(??) ou proche de la Bretagne pour la mer....puis les flûtes
irlandaises, il ne manque qu'un peu de batterie écossaise pour être au
festival interceltique... Je cherche encore le pourquoi d'un tel
traitement, alors que l'original était une pierre angulaire de
"Prisonnier de l'inutile", là je ne vois pas où se situe l'amélioration
ou l'approche...Next !!
Genre
humain : Production différente, cordes en retrait mais batterie qui
déboule plus tôt, orgue qui tapisse le mur du fond, sinon la voix est
quasiment copiée-collée.
Le pont : Une version un peu délavée à mon
goût, comme un vieux jean qu'on a adoré, qu'on retrouve au fond de
l'armoire et qu'on remet quand même, en se disant qu'autrefois il
seyait à merveille mais quelques détails laissent une impression de
temps qui passe....La guitare se fait moins rauque, je préfère
l'original même si on sent le plaisir d'avoir rejoué ce titre en live.
Manteau
rouge : Rythmique genre ferroviaire, voix éraillée presque monocorde
limant la mélodie, guitare moins Knopfler, difficile de surpasser
l'original, restent les rajouts de texte, une strophe rajoutée pour
faire bonne mesure (l'anaconda et le bain d'acide), seul intérêt.
La
ballade des échinodermes : La voix semble nous chuchoter ce texte
sublime, accompagné au saxo qui tire un peu la couverture à lui sur des
arpèges de sèche et de glissandos d'électrique, cela perd en intensité
alors que la VO nous délivrait un blues maximal grâce à un corps
squelettique, tout ça est trop riche, trop gras, comme une patisserie
industrielle, jusqu'à la nausée.
Rouge-gorge : Piano électrique,
percussions boite à sable, la mayonnaise semble un peu longue à monter,
les cordes arrivent enfin comme une délivrance; la voix sombre traîne
un peu son blues, bof, bof....
Animal on est mal (avec DEus):
Revisitation sous la houlette des belges de DEus, Manset chante comme
si la chanson était d'hier, avec force et conviction même si la
rythmique façon click-track fait un peu cheap, y'a une présence, un
tourbillon que la version originelle laissait apparaître sans vraiment
parvenir à ses fins, plutôt une réussite donc et une énergie
communicative de DEus.
Le
train du soir : Trop de production tue la production, ou comme une
voiture tunée avec ses rajouts de carrosserie et ses pots chromés, la
vulgarité n'est jamais très loin. J'avais succombé au savoir-faire de
Manset sur le titre original, sa guitare grasse, sa rythmique d'enfer,
son univers monochrome; là ça manque de personnalité et de conviction,
je garde la VO.
En conclusion en lisant mes lignes, on
s'aperçoit qu'il n'y a pas grand'chose à sauver de cet effort; il nous
tarde la suite des aventures, de vrais nouveaux titres, la patte du
maître dans toute sa splendeur, mais si vous découvrez Manset
aujourd'hui ne commencez pas par celui-là.
2015
: Sortie d'une énième compilation (pourquoi faire ? Résumer l'oeuvre à
ces titres ultimes alors que tant d'autres demeurent
incontournables...? Je cherche le sens caché.....?). Je retiendrai les
bribes de nouveautés proposées; à savoir tout d'abord l'inédit,
"Rimbaud plus ne sera" ou comment en remettre une couche après le "Être
Rimbaud" donné à Raphaël (qu'on aurait vraiment adoré entendre chanté
par Manset...). L'atmosphère est ici 100% parisienne, la Seine.... une
sorte de mariage pour tous entre l'héroïne de "Fauvette" et le gamin de
"Genre Humain", leur liaison passionnée, juste pour visualiser leur
sexualité. Texte sobre, dénudé, dépouillé, l'amour impossible finissant
sur Juliette et Roméo. Musicalement pas de trouvailles mélodiques
alambiquées, ça reste classique, rectiligne ( le mineur et les 2
majeurs derrière ) mais ça produit toujours son effet immédiat. Les
arrangements sont par contre bien construits; la progression de
l'ambiance à son apogée. On démarre sur une guitare trame de fond et la
mayonnaise va monter au fur et à mesure des ajouts, la batterie, puis
les guitares de toutes sortes, des acoustiques, des électriques, le
solo, les choeurs, les breaks; il ne manque rien, on est gâtés....
Deuxième
bonus, la version revue et repensée de "Revivre" le titre de 1991.
Alors que la version originale était décharnée pour laisser apparaître
"l'os de son visage", aiguisée comme une lame de coupe-coupe, la
version 2015 prend une allure quasi-sépulcrale, la voix est mixée en
arrière, comme au fond d'un monastère, dans une salle des pas perdus
avec écho et choeurs qui subliment encore un peu plus le propos déjà
très fort en émotion, le frisson parcourt l'échine, la faucheuse ne
semble pas très loin et l'ambiance entre deux eaux (entre vie et mort)
appelle à se demander s'il faut vraiment revivre ou plutôt penser à
l'au-delà. Choix cornélien....
Puis, en fin de disque, la nouvelle
version d'"Animal", après la secousse donnée par DEus en 2014 il
n'était pas question de rester en retrait, donc on remet le bleu de
chauffe et en avant toute !! Rock'n'roll sur toute la ligne, musique au
son survitaminé, stéroïdes anabolisants ou EPO qu'importe, un nouveau
souffle pour l'animal !! La voix quant à elle, fluette et peu assurée
en 68 a mué, pris de la pâtine et du coffre, le 48 pistes numérique
fait quand même des miracles et on se plait à regoûter à ce cocktail énergisant. Vivement la suite des aventures.....
2016: Opération Aphrodite.
J'ai
mis du temps à me plonger dans cet opus, sa forme étrange, l'arrivée
d'une voix extérieure en fil rouge, et je voulais prendre un peu de
recul avant de juger sur un plus long terme qu'une écoute à la va-vite
ne pouvait que desservir.
Avec un mois de délai malheureusement je
reste très dubitatif sur les qualités de cette oeuvre, qui au final ne
m'a pas transcendé, ni conquis, c'est un euphémisme !!
J'ai commencé
par supprimer les passages parlés par la "comédienne" que je juge hors
de propos, d'une part sa voix se marie assez mal avec l'univers Manset,
trop fluette, trop scolaire, pas assez investie dans l'oeuvre, comme
une bonne élève à qui on permet au jour des récompenses annuelles de
déclamer un texte lu ou appris par coeur sans qu'il transpire un
soupçon d'âme, de créativité ou d'intérêt, on a juste envie que son
bla-bla se termine pour passer à la musique, aux guitares, basse,
batterie qui nous font dresser l'oreille et frisonner l'échine.
Peut-être qu'en utilisant sa propre voix on aurait mieux avalé la
pilule, à savoir...Donc exit et concentration sur les "vrais morceaux
musicaux".
Ça commence par "L'Amour Brisé" et malheureusement tous
ces oripeaux reggae qu'on croyait rayés des tablettes depuis "Quand Les
Jours Se Suivent" refont surface, de manière édulcorée certes mais
hélas gâchent le morceau qui, sans être à tomber, possède quelques
qualités mélodiques indéniables.
"Comme un arbre ses fruits"
ensuite, et là grosse déception, une sorte de slam (rien que le nom
m'écorche), musique sans ligne mélodique basée sur des accords
improbables assénés à l'orgue de balloche, on pense à Grand Corps
Malade et sa poésie de quatrième zone où les rimes feraient sourire un élève de sixième.... le tout sur plus de 7'; la nausée !!
"Landicotal"
arrive, sorte de rythm & blues propulsé par des cuivres
vitaminés.
Le texte est somme toute assez classique pour Manset, on voyage entre
le quart-monde et ses soucis du quotidien, une histoire banale sur fond
de rencontre, idéal pour une face B de 45T, pas plus.
"Le Lys Dans
La Vallée", là on est conquis d'emblée, on retrouve les éléments qui
nous font vibrer, voix grave, accords au déroulé harmonieux et
production millimétrée, des guitares partout. Le texte très rock'n'roll
nous montre un Manset masochiste (se faire mal, avaler des clous)
cherchant l'être aimé sans espoir de le trouver ou de l'approcher,
juste un rêve sur du papier glacé sans doute.
"L'Amour En
Océanie", parfum de recyclage, pas une mauvaise chanson, juste la
reminiscence de "Marin'Bar" un peu trop présente et un texte limite
pastiche (Oh c'est Annie.... beaucoup trop facile et évident pour un
type comme Manset). Bref le recyclage c'est bien pour les déchets, pour
la musique c'est la panne d'inspiration ou du foutage de gueule.
"Que
t'ont-ils fait ?" Du Manset grand cru, chronique d'une violence
quotidienne, on pense au droit des femmes et aux pays où il n'existe
pas; le désir de fuir ce chaos qui nous entoure et qui fait peur, cette
guerre planétaire omniprésente.
"Ma Collection Particulière", superbe chanson
"Divinités"
je zappe, 11' de cross-over entre texte antique, chanson classique,
voix parlée, chant, j'accroche pas, non concerné.
"Galaxie", on se
demande si le fantôme d'Orion ne se ballade pas quelque part dans les
recoins de ce machin dénué de mélodie, de direction, j'oublie.
Au
final ce disque est un raté, à force de vouloir se différencier de la
bouillie atone de la chanson française, on en arrive à se demander si
Manset n'a pas un peu pris le melon, si sa vanité n'a pas occulté son
talent ou son sens visionnaire d'une oeuvre cohérente (ceci transpire
assez dans les interviews récentes entendues ici ou là, où il assène
des vérités (les siennes) limite mégalo avec une sorte de diktat ou de
certitude sans discussion possible). Ce disque me fait penser à ces
émissions de TV au milieu de la nuit où une jeune femme généralement
peu vétue pour attirer le chaland déclame des textes de littérature
pendant des heures interminables; c'est vulgaire et peu appétissant
surtout si la lecture n'est pas la tasse de thé de la demoiselle sus
évoquée. La Belgique nouvel eldorado culturel de Manset, après Hergé
(référence Manitoba) voici Pierre Louys et son Aphrodite moitié
moyen-âge, moitié 21ème siècle....Étrange chemin !! Je resterai sans
voix sur les allusions grotesques et les jeux de mots incongrus (simone
s'ignorait et jean se marrait..???). Disque de trop ou venu trop vite,
le génie c'est comme un filon d'or, un jour ou l'autre la source se
tarit, et je suis désespéré d'écrire ça....
2018 : A Bord Du Blossom
3
ans que le disque est paru et j'essaie encore de m'intéresser à cet
album, savoir par quel bout le prendre, en essayant de faire
abstraction du précédent...difficile et peu appétissant, allez je me
lance !!
Ce Pays : On retrouve ici tous les éléments insupportables
du précédent disque (voix de femme assénant des textes sans queue ni
tête, musique insipide, gratte sans inspiration, cordes atones, enfants
récitant un texte limite du gag ), tout ça sur plus de 8mn sans mélodie
quelconque.....pfff quelle purge !!! Même Manset quand il s'essaie au
chant sur 2 ou 3 phrases semble perdu ou à côté de la plaque....
On
Nous Ment : On va peut-être rentrer dans le vif du sujet, une chanson,
une vraie, paroles, musiques...j'y arrive pas, tout me semble déjà vu,
une répétition de choses entendues précédemment, flûtes,trompettes,
plus ou moins on jurerait des samples de chansons anciennes mises
bout-à-bout, quant aux jeux de mots, je reste sans voix moi aussi, bof,
bof....
La Falaise : On repart sur une récitation pseudo onirique...1,30 mn sans intérêt
Mon
Karma : Rythme mi-caribéen mi-latino, ambiance Marin'Bar sans l'effet
de surprise, choeurs féminins trop présents voire omniprésents, je zappe
L'équipage
: Texte avec des mots qui claquent, sorte de parenthèse entre deux
morceaux de musique jouée avec de vrais instruments, on n'est pas loin
de s'endormir, hou hou, y'a quelqu'un sur ce bateau à la dérive ?
Manila
Bay : Réveil en sursaut, on attaque avec une guitare bien rock, une
basse ronde, une batterie en rythme, les accords balancés pour poser
les fondations... on y croit, ça y est c'est parti ??? Pas génial mais
au moins on a l'impression de reconnaître le maître comme sorti de sa
torpeur ou de sa convalescence post-apocalyptique. De l'électricité
enfin, même si c'est du 110 volts on veut y croire et on va assister à
un frisson digne de notre enthousiasme...peut-être le morceau suivant ??
Le Hamac : Raté, encore une récitation ....
Une
Chambre à La Havane : On se prend à croire à un moment de créativité
comme Manset nous en livre à chaque album, la guitare déroule ses
accords, le chant se fait mélodique et envoutant, et puis soudain
patatras, le texte se fait de nouveau récitation, on jurerait du slam,
vide et grotesque, quant au parallèle Havane, Pavane...comment dire ?
Désolant...
La Flûte de l'archipel des Perles : Intermède aussi
transparent que les précédents, vaguement mené par une guitare sèche,
sorte de démo, travail bâclé à mon sens....
La Vierge Pleure : 2
accords, quelques vagues chorus de Stratocaster, des mots balancés en
espagnol pour l'exotisme (grande première), pas de quoi me faire
frissonner
Sa Tribu Primitive : Interlude....je baille aux corneilles !! 59s c'est un coup à se décrocher la machoire...
Le Fils du Roi : Gratte sèche, Violoncelle, chant à la limite du décrochage, ennui total...
Dame Nature : Réveillez-moi à la fin....zzzzzz
Pourquoi
les Femmes ? : 9mn42 pathétiques, on hésite entre le foutage de gueule
et l'absence d'inspiration, on est loin de Matrice et de la flamboyance
de jadis....au secours, il est devenu fou ???
Le Paradisier : On
avait déjà eu, il y a une eternité, l'oiseau de paradis et il avait un
autre plumage; là on se croirait dans une volière avec cette fille à la
voix cristalline mais sans âme reprenant des bouts de phrases comme si
Manset n'arrivait plus à imprimer sa légendaire marque de fabrique des
pistes de voix multipliées à l'envie, mélodie réduite à sa plus simple
expression, guitares vaguement hispaniques, quant
au défilé des oiseaux aux noms aussi improbables que ridicules, ce doit
être ça se faire traiter de tous les noms d'oiseaux....fin du calvaire.
Inutile d'épiloguer,
je ne suis pas fan de cet opus et je suis poli...on dirait par moments
une resucée de la Mort d'Orion réactualisée et au ras des paquerettes
ou des coraux....quelle sera la suite ? et y'en aura t-il une digne
d'intérêt ? Je veux y croire encore un peu, mais je doute....
2022 : Le Crabe aux Pinces d'Homme
Dans Un Pays De Pain d’Épices : Une
ballade exotique, soutenue par une batterie clic-clac, quelques
vocalises en portugais, un passage en talk-over, la voix de Manset
comme limitée lorsqu'il cherche les aigus, ça ne me fait ni chaud ni
froid, sans âme, sans émotion.
Le Crabe Aux Pinces d’Homme : Cuivres, guitare basique pas vraiment
excitante et plutôt rengaine, texte insipide et totalement suréaliste,
7'50 quand même, c'est long... le crabe on a déjà eu l'Atelier et c'était une autre tenue...
L'Espérance : On retombe sur les travers des 2 disques précédents... ça
parle, ça discute plus que ça ne chante, la musique....un accord égréné
jusqu'à l'ecoeurement.....pfffffff, on perçoit une guitare saturée par
bref moments... la nausée.
Marilou-Marilou : Mélodie
plan-plan, 2 accords, un mélange d'exotisme, choeurs féminins, rien de
formidable, même pas de quoi faire une face B de 45tours, histoire sans
queue ni tête et phrases déjà entendues avant, on s'ennuie
grave...13'05 ouf !!
Pantera : On a l'impression d'une
suite de la précédente, des récitations de noms d'animaux... Animal on
est très très mal.... On a du mal à accrocher à cette histoire de sa
mère, son nom, son surnom... couper le cordon ombilical oui, il est temps !!
Laissez-nous : La dernière du
disque, ça ressemble à une sorte de délivrance, par rapport à la
bouillie des titres précédents, presque écoutable....presque. Les
aigus encore à la ramasse, quelques arpèges de Fender plutôt réussis
mais noyés dans le gloubiboulga c'est presque anecdotique.
Je ne pense pas ré-écouter ce disque, le dernier morceau écoutable
reste pour moi "Rimbaud Plus Ne Sera", je vais me le refaire de
suite, guitare en main, un vrai dernier frisson avant de refermer la
boite de Pandore.