Parution d'un Best of et de quatre
rééditions-par Bertrand
DICALE pour RFI Musique (18/10/1999)
D‘une discrétion qui confine au secret,
Gérard
Manset publie à la fois un « best of» - ce qui est inattendu -
et quatre
doubles-CD de rééditions d'albums et de chansons souvent introuvables
depuis
des années. L'occasion de plonger dans l’œuvre d'un créateur au profil
très
singulier dans la chanson française.
Parler de Manset, c'est appartenir à une
sorte de
conspiration, c'est sacrifier à un culte sévère et exigeant. Depuis
trente ans,
Gérard Manset sort, de loin en loin, des disques uniques dans la
chanson française
ni tout à fait rock, ni tout à fait narratifs, ni tout à fait
héroïques, ils
naviguent entre rêve d'ailleurs et bruit d‘ici, entre une solennité
sans âge et
le son de l'époque. Ses admirateurs forment une sorte de confrérie
singulière,
qui guette ses disques et ses rares interviews, et qui comprend de
nombreux artistes;
dont les participants au projet Route Manset en 1996 (Jean-Louis Murat,
Alain
Bashung, Nilda Fernandez, Francis Cabrel, Françoise Hardy, Brigitte
Fontaine,
Dick Annegarn, Salif Keita...).
Le 19 octobre, il sort quatre disques. Ce
sont quatre beaux
objets qui inventent des accords de gris, de noir et de blanc, quatre
doubles-CD à la jaquette extrêmement élégante. Rien d'étonnant : leur
maquette,
les photographies des livrets et des pochettes, tout a été conçu et
réalisé par
Gérard Manset. Jaloux, méticuleux, scrupuleux, il a tout supervisé de
cette
non-intégrale en quatre volumes, qui ramène au jour des chansons pour
certaines
indisponibles depuis le temps du 33-tours.
Reprenant l'essentiel des albums
historiques, quelques
chansons inédites, quelques remixages et des titres épars de certains
disques
que Manset aujourd'hui récuse, les quatre volumes sont chronologiques:
Y‘a une
route (1975-
Ainsi, le premier double-CD contient six
chansons sur huit
de Y‘a une route (1975), deux sur huit de Rien à raconter (1976), cinq
sur six
de 2870 (1978), cinq sur huit de Royaume de Siam (1979) et six sur huit
de
L'Atelier du crabe (1981).
Le portrait est évidemment fidèle: les
imprécations
nostalgiques d'un homme qui a toujours regretté le passé, même à
vingt-cinq ans
(il en a aujourd'hui cinquante-quatre), ses indignations devant
l'inhumanité de
notre monde, ses errances dans les noirceurs des villes occidentales,
ses
descriptions du paradis perdu (en Asie ou en Amérique Latine où il
voyage énormément)...
Mélodies languides, ampleurs lentes, vigueurs martiales: les chansons
de Manset
semblent toujours se chanter en majuscules, et d'autant plus que son
timbre, très
détaché, souvent proche d'un débit parlé, est systématiquement renforcé
par le
doublement de l'enregistrement de sa voix.
Et le mystère n'est pas rompu: depuis
presque vingt ans, Gérard
Manset refuse obstinément de laisser publier des photos de lui vu de
face. De même,
il a annoncé maintes fois qu'il ne monterait jamais sur scène. Dans une
de ses rares
interviews (dans Le Figaro, en novembre 1998), il avouait:
« Je me verrais
mal face à un public. J'aime beaucoup jouer avec des musiciens mais
quand bien même
le problème musical et humain de leur choix serait résolu, il faudrait
passer à
l'acte: le rideau s'ouvre et on se trouve face à une salle. Et je
n’aime pas
cette salle. Je trouve impudique, ridicule, de chanter face à un
public. Ou
alors peut-être dans un café, où ne viendrait que ma clientèle, le
genre
post-soixante-huitard. Si j’avais une salle entière de familles flower
power peut-être
pas entièrement nues mais les fleurs dans les cheveux, je viendrais
bien
chanter trois ou quatre titres. »
A demi-mots, la maison de disques de
Manset laisse entendre
que la sortie de ces quatre doubles-CD et d'une compilation de quatorze
chansons (intitulée Manset best of ce qui est surprenant, vu
l’agacement
habituel du chanteur devant les recettes ordinaires du show-biz),
pourrait clore
une époque: elle serait « une sorte de tremplin pour un avenir
ou
l’artiste dit lui-même désirer « changer de son» et travailler
dans d'autres
directions que celles de l’éternel soliste ou du monologue musical»,
selon le
communiqué adressé à la presse. Une annonce en forme de points de
suspension,
qui ressemble à un nouveau mystère.